Michel Fournier : "La métropolisation génère des problèmes qu'on ne sait pas traiter"

Maire des Voivres (Vosges) et président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) depuis 2020, Michel Fournier a réussi à imposer l'idée du programme "Villages d'avenir" dans le cadre du plan France ruralités présenté le 15 juin. Selon lui, ce plan est "un premier pas". Il plaide pour un véritable "plan Marshall" pour les centres-bourgs et, plus généralement, pour une politique d'aménagement du territoire qui accompagne le regain d'attractivité de la ruralité. Car cette dernière répond à bien des enjeux que la métropolisation "ne sait pas traiter".

Localtis - Le programme Villages d'avenir, proposé par l'AMRF, figure bien dans le plan France ruralités lancé la semaine dernière. Y retrouvez-vous vos petits ?

Michel Fournier - C'est quelque chose qui me tenait à cœur personnellement. A l'AMRF, après Action cœur de ville et Petites villes de demain (PVD), deux programmes portés par l'ANCT, je trouvais inécoutable qu'il n'y ait pas de troisième volet pour les communes rurales. Mais cela n'a pas été sans mal de le faire accepter, même pour le nom il a fallu batailler ! Ce programme traduit une reconnaissance forte des besoins d'ingénierie pour ces communes rurales. L'ingénierie proposée va s'ancrer dans une forme de labellisation, sur des actions spécifiques qui dépendent de la volonté d'un ou plusieurs élus avec toutes les forces vives du territoire. Il s'agit de s'assurer qu'un projet puisse aller au bout et de ne pas se contenter d'un accompagnement juridique. 100 délégués "Villages d'avenir" seront mis à disposition au niveau de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, et une vingtaine de délégués supplémentaires au niveau du Cerema, ce sont donc 120 chefs de projets financés à travers l'ANCT qui vont être recrutés.

Tous les villages seront-ils éligibles ou bien doivent-ils, comme pour PVD, assurer des fonctions de centralité ?

Non, il n'y a pas de tels critères. C'est le projet qui doit primer, quelle que soit la taille du village. "L'imagination doit être au pouvoir", comme on disait en 1968. C'est ce qui importe : il faut abandonner l'idée que pour être soutenu un projet doive forcément être "structurant".

Que pensez-vous des trois autres volets du plan sur l'amélioration des conditions de vie, la revalorisation de la dotation "biodiversité" ou la réforme des zones de revitalisation rurale ?

J'ai plus de réserves par rapport à ces mesures. S'agissant du doublement des maisons de santé par exemple, on peut afficher la volonté de soutenir les collectivités qui ont mis en place de telles structures, mais je connais plusieurs communes qui ont des structures vides et neuves. Ce n'est pas la maison qui résout le problème. En matière de logement, il est proposé une prime de 5.000 euros pour les propriétaires qui remettent un logement sur le marché, s'ajoutant aux dispositifs de l'Anah. C'est toujours intéressant mais il faudrait un véritable plan Marshall pour revitaliser complètement les centres-bourgs. Dans beaucoup de villages, on voit des maisons abandonnées, en mauvais état. Or il n'y a pas de traitement spécifique. Bruno Le Maire a même annoncé l'abandon du Pinel (lors des Assises des finances publiques, ndlr).

En revanche, nous sommes très intéressés par la reconnaissance des "aménités rurales". La forêt, l'eau, l'espace, ces potentialités d'implantations des énergies renouvelables… tout cela, c'est chez nous. Mais ces aménités ne sont toujours pas valorisées à leur juste apport à la société tout entière. Le passage de la dotation de 42 à 100 millions d'euros est un premier pas. On peut le considérer comme une forme de reconnaissance de la capacité des territoires à apporter du positif mais c'est aussi la marque de l'incapacité de l'Etat à reformer la dotation globale de fonctionnement, tellement inégalitaire depuis des décennies. Personne n'ose y toucher. Certains me disent que cette dotation biodiversité est un peu un pis-aller. Pour bien faire, il faudrait deux choses : la reconnaissance des valeurs que la ruralité peut apporter et qu'on n'abandonne pas pour autant l'idée de rétablir dans la DGF une équité qui n'a jamais eu lieu.

Petite parenthèse : je suis un peu agacé qu'on présente parfois le plan France ruralités comme un catalogue de "mesurettes". Ce n'est pas le père Noël. Le problème aujourd'hui est que dès que vous défendez une mesure, on vous taxe d'être pro-Macron. Mais il faudrait aussi tirer le bilan de la période du clivage droite-gauche sur ce sujet. Ceux qui critiquent le plus ce plan se sont moqués royalement de la ruralité pendant des décennies. Or cette ruralité a été reconnue par deux actions. Tout d'abord la réponse à la crise des gilets jaunes qu'a compris Emmanuel Macron, avec l'Agenda rural proposé par l'AMRF. Il s'agissait de calmer le jeu. Et aujourd'hui, le plan France ruralités, avec lequel on est plus dans la construction, dans une nouvelle façon de travailler. On a beaucoup travaillé avec les ministres Dominique Faure et Christophe Béchu pour aboutir à ce plan. Ce n'est pas parfait, c'est vrai. Il manque encore un peu d'éclaircissement, en particulier sur les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou l'application du zéro artificialisation nette (ZAN)… Le maintien des ZRR était un secret de polichinelle, mais on n'a pas encore de définition. On n'a de cesse de défendre l'idée que la définition de base doit être la commune, ce qui n'empêche pas, ensuite, à partir de la commune, d'intégrer l'intercommunalité. Pourquoi pas. J'ai été président d'une communauté de communes classée en ZRR qui a été intégrée dans la communauté d'agglomération d'Epinal, il est assez rare que les centralités de communautés d'agglomération soient en ZRR. Si on retient l'intercommunalité comme maille, on va retomber dans des discussions éternelles. Il faut faire du sur-mesure.

L'école est une priorité pour les maires ruraux. Le plan prévoit la généralisation des Territoires éducatifs ruraux. Quel bilan tirez-vous de ce dispositif lancé en 2021 ? 

C'est un sujet très délicat. Tout ce qui concerne l'école est souvent traité - même parmi les élus -, par des responsables qui sont ou ont été enseignants. L'objectivité n'est pas toujours de mise. Les TER sont une idée qu'on avait travaillée avec le ministère de l'Education nationale. J'avais demandé à ce que les Vosges soient un département pilote, sur un site regroupant trois collèges. Le principe de ces TER est bon. Il faut que les élèves s'approprient leur territoire dès le plus jeune âge. Je suis effaré de voir que certains ados ne savent pas qu'Epinal est le chef-lieu du département, certains ne savent même pas dans quel département ils vivent. Il y a des trous incroyables dans l'éducation. Il faut que les TER remettent du civisme, de la citoyenneté là-dedans, c'est essentiel pour vivre en société, pour que les élèves réapprennent d'où ils viennent. Certains sont aujourd'hui dans la situation d'extraterrestres, sauf peut-être pour ce qui est des réseaux sociaux…

Pendant vingt ans je me suis battu pour l'école de mon village mais, à partir d'un moment, nous nous sommes dit avec mon collègue d'à côté qu'il fallait arrêter cette course à l'échalotte. J'ai évolué car les Vosges perdent 800 élèves tous les ans, à l'échelle du Grand Est on doit être à 3.000. On ne peut pas faire l'école avec trois élèves dans les classes…

On constate cependant un regain d'attractivité pour la ruralité. Est-ce qu'il n'aurait pas été utile de mettre en place une véritable politique d'aménagement du territoire, voire de peuplement ?

L'intérêt et le regain d'attractivité pour la ruralité sont indiscutables. La Covid y a contribué mais pas seulement. Beaucoup de gens voient un intérêt à venir, d'autant qu'ils ont la possibilité de travailler autrement. Il y a des retours manifestes mais ils ne compensent pas la totalité de la déprise. Cela dit, s'il n'y avait pas cet intérêt, la déprise serait plus importante.

Une politique d'aménagement du territoire ? C'est ce que nous demandons. La pensée dominante est encore que les plus gros sont les meilleurs. Or la métropolisation génère des problèmes qu'on ne sait pas traiter : le manque de logements, les difficultés de transports… Toute l'économie est faite pour concentrer les gens dans des villes où ils n'ont pas les moyens de vivre et sont obligés de partir se loger à 10, 20, 30, 40 km. Et après on vient vous parler de l'empreinte carbone. Il faut arrêter les dégâts et faire de l'aménagement du territoire harmonieux. Où s'est installée l'industrie au XIXe siècle ? Là où il y avait de l'eau, du bois, des ressources, la possibilité de produire de l'énergie localement… Avec l'obligation de produire des énergies renouvelables, il redevient impératif d'installer les entreprises dans ces secteurs, de renouer avec la notion de proximité de la façon la plus rationnelle possible. Il faut avoir le courage de faire cette révolution culturelle. Mais sachons aussi reconnaître qu'on vient de loin. France ruralités est un premier pas.