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Elections : le Sénat fait la lumière sur "le fiasco" de juin

Une mission d'information du Sénat, transpartisane et dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, fait la lumière sur le "désastre" de la distribution de la propagande électorale lors des élections départementales et régionales du mois dernier. La mission a réuni une somme de témoignages et d'indices qui accablent l'un des prestataires en charge de la distribution et ne dédouane pas le ministère de l'Intérieur. Dans son rapport présenté à la presse ce 22 juillet, elle avance 12 propositions pour éviter une nouvelle "catastrophe" lors des scrutins de l'an prochain.

"Désastre", "fiasco sans précédent", "catastrophe industrielle"… Ce 22 juillet, la mission d'information constituée par la commission des Lois du Sénat après les élections départementales et régionales des 20 et 27 juin n'a pas cherché à minimiser les ratés de la distribution de la propagande électorale survenus dans le cadre de ces scrutins. Bien au contraire.
La mission d'information cite une enquête Ipsos menée pour le Centre de recherches politiques de Sciences-Po et l’Association des maires de France : un quart des 10.105 électeurs (représentatifs de la population française) y ayant répondu n'a pas reçu de propagande électorale avant le premier tour des élections. 
Malgré les remontrances du ministère de l'Intérieur à l'égard des responsables des sociétés chargées de la distribution de la propagande électorale (La Poste et Adrexo), les dysfonctionnements se sont à l'évidence poursuivis à l'occasion du second tour – alors même que Adrexo avait choisi de sous-traiter à ce moment-là une partie de la distribution des plis qui lui incombaient à La Poste. Selon les statistiques transmises par la société mise en cause, 27% des plis électoraux qui lui ont été confiés n'ont pas été distribués au second tour pour les élections départementales, et 46% pour les régionales.

Lien avec l'abstention 

Mais, pour les sénateurs, ces "chiffres affolants" sont "très certainement sous-évalués". "Au second tour plus encore qu’au premier, les remontées des préfectures font état de discordances manifestes entre les tableaux de reporting de la société Adrexo et les constatations du terrain", fait remarquer la mission d'information. La préfecture du Cantal rapporte par exemple que la société Adrexo fait état de plus de 112.000 plis livrés. Dans le même temps, la préfecture a connaissance que "seuls 28.000 plis sur 114.000 (pour les élections régionales) ont été livrés sur le site de la société situé à Aurillac.
Ces faits accablants sont confirmés par les quelque 3.000 maires ayant répondu à la consultation du Sénat. Près de 83% d'entre eux déclarent une absence totale de distribution des plis. Quand celle-ci a été incomplète, elle a concerné majoritairement plus de 30% des électeurs.
Pour les sénateurs, les défaillances de la distribution de la propagande électorale ont certainement favorisé la poussée de l'abstention, qui cependant s'explique par un faisceau de facteurs. Pour s’en tenir au cas des élections régionales, "on observe une assez nette corrélation entre la proportion d’électeurs n’ayant reçu aucune propagande électorale et la hausse de l’abstention", indiquent-ils.

Responsabilités partagées

Pour la Haute Assemblée, le ministère de l’Intérieur et son prestataire "portent chacun une part de responsabilité" dans "le fiasco des élections". Au moment de l'examen des candidatures à l'appel d'offres destiné à attribuer le marché, le ministère avait souligné la faiblesse des moyens humains de la société Adrexo, au regard du défi que constitue la distribution de plis auprès de plus de 40 millions d'électeurs et pour deux scrutins simultanés. Mais "les moyens humains effectivement déployés sur le terrain pour distribuer les plis" ne représentaient qu'à peine plus de 3% de la note totale des candidats. Insuffisantes en nombre, les équipes d'Adrexo étaient surtout constituées d'intérimaires peu formés et mal encadrés. De plus, cette entreprise qui distribue des imprimés publicitaires avait une faible expérience de la distribution du courrier, tâche plus compliquée.
Au second tour, les difficultés pour distribuer les documents électoraux ont été aggravées par des retards pris en amont de la chaîne, notamment par des prestataires chargés de la mise sous pli. Plus globalement, les délais très serrés entre le premier et le second tour n'ont pas facilité les choses. 

Non à la dématérialisation intégrale

Afin que les défaillances soient corrigées d'ici les élections présidentielle et législatives de 2022, le ministère devra "le cas échéant", selon les sénateurs, lancer une nouvelle procédure de marché public pour les prestations aujourd'hui confiées à Adrexo et ce, en revoyant profondément les critères de sélection. La mission d'information exclut que le ministère de l'Intérieur travaille "en direct" avec la société La Poste, sans la soumettre à la concurrence - une piste que Gérald Darmanin avait évoquée après le premier tour des élections (voir notre article du 23 juin). Une telle solution serait contraire au droit européen. Mais ils ne voient pas d'obstacles, en l'état du droit, à ce que La Poste se voie attribuer la totalité du marché de la distribution des plis électoraux.
Comme par le passé, les sénateurs se montrent très attachés à ce que les professions de foi demeurent diffusées au format papier. Mais ils sont ouverts à la possibilité, pour les électeurs qui en feraient la demande, de recevoir la propagande électorale uniquement au format numérique. Le ministre de l'Intérieur avait lui-même fait cette proposition lors de son audition, fin juin, au Sénat.
Enfin, la mission d'information recommande qu'en cas de "concomitance de deux élections générales" - comme ce fut le cas le mois dernier - le délai de l’entre-deux-tours soit porté de une à deux semaines.
Selon le président de la commission des Lois et rapporteur de la mission, François-Noël Buffet, les évolutions envisagées ne nécessitent pas de modifier la loi.

 

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