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Education - Mixité sociale : et si les collectivités aidaient les écoles privées à s'installer dans les quartiers ?

Les députés Yves Durand et Rudy Salles ont formulé 16 propositions en faveur de la mixité sociale dans l'Education nationale. Trois d'entre elles passent par un soutien à l'enseignement privé, notamment dans les "ghettos" urbains.

"Encourager l'implantation des établissements privés dans les quartiers défavorisés" est l'une des 16 propositions formulées par les députés Yves Durand (PS, Nord), qui fut rapporteur en 2013 du projet de loi Peillon sur la refondation de l'école, et Rudy Salles (UDI, Alpes Maritimes). Leur rapport d'information sur l'évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l'éducation nationale a été déposé le 1er décembre, au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée, soit peu de jours après les annonces de la ministre de l'Education nationale sur l'expérimentation, à partir de la rentrée 2016, de secteurs multicollèges dans le but de favoriser la mixité sociale (voir notre article du 10 novembre 2015).
Les deux députés estiment que la mixité sociale "ne peut être l'alpha et l'oméga de la politique scolaire". L'école n'a, selon eux, "pas vocation à réparer les fractures que la société ne parvient pas à résorber et à rééquilibrer socialement des ghettos scolaires eux-mêmes implantés dans des ghettos urbains". Autrement dit : "l'école n'a pas à faire de la mixité là où les politiques du logement et de la ville ont échoué". Il n'empêche qu'ils ont planché sur la question pour aboutir à une série de propositions dont certaines concernent de près les collectivités.

Fermer les établissements "ghettos" et ouvrir des établissements privés

L'une d'elle serait, tout simplement, de fermer les établissements "ghettos" pour les fusionner avec d'autres structures "plus attractives" ou "en construire de nouvelles", notamment à la faveur d'opérations Anru (proposition n°8). L'idée n'est pas nouvelle.
Une autre proposition, plus originale, serait donc d'"encourager l'implantation des établissements privés dans les quartiers défavorisés" par des aides accordées par les collectivités locales, ce qui aurait le mérite de ne pas "déstabiliser les établissements publics existants" (proposition 6). Le rapport liste les aides des collectivités possibles : aide à l'investissement (en précisant que "le total des subventions versées à ce titre doit rester inférieur à 10% des dépenses annuelles de l'établissement en vertu de la loi Falloux de 1850) ; aide à la demi-pension pour les élèves défavorisés ; aide à l'équipement des lycées professionnels ; bourses versées par les communes, les régions ou les départements ; gratuité des manuels scolaires. Mais attention, ces aides seraient attribuées à deux conditions : "que les établissements ouverts soient réellement mixtes sur le plan social et scolaire", c'est-à-dire qu'ils ne devront "pas être monopolisés par les catégories moyennes ou supérieures" et "qu'ils n'aient pas pour effet d'accaparer les bons élèves ou ceux issus d'un milieu favorisé des collèges publics géographiquement proches".

Un "bonus mixité" aux établissements privés vertueux

Pour éviter ces deux écueils, les députés suggèrent que ces évolutions fassent l'objet d'un "suivi attentif" de la part de l'Etat, dans le cadre d'accords locaux associant les structures récemment implantées et l'ensemble des collectivités publiques partenaires. Ce suivi serait également la principale mission des "cellules de veille et de pilotage des mixités sociale et scolaire" établies dans les bassins de formation (la création de ces cellules étant l'objet de la proposition n°2).
Considérant décidément que "le rendement scolaire des établissements privés est élevé pour les élèves défavorisés" et qu'à ce titre, "l'implantation de ces structures dans les quartiers ciblés par les politiques de la ville ou l'éducation prioritaire doit être encouragée", les deux députés proposent également un "bonus mixité". L'idée étant de "redéployer" les moyens alloués par l'Etat à l'enseignement privé sous contrat, en faveur des établissements qui s'engagent sur la mixité dans le cadre d'accords conclus avec les autorités académiques (proposition 5).
L'enseignement catholique ne serait certainement pas opposé au principe (voir notre article ci-contre du 15 octobre 2015). Najat Vallaud-Belkacem non plus (voir notre article du 10 novembre 2015).

Evaluer les établissements publics

Mais tout ne passerait naturellement pas par l'enseignement privé, dans l'esprit des députés Yves Durand et Rudy Salles. Ils proposent ainsi de réaliser des évaluations d'établissements (proposition n°13), "afin d'apprécier leur valeur ajoutée par rapport au profil de leurs élèves", en tenant compte de l'ensemble des paramètres de réussite et de climat scolaires (résultats en termes d'apprentissages, de lutte contre l'insécurité, d'implication des élèves et de leurs parents dans les activités éducatives, etc).
Ils seraient aussi favorables à l'idée de "rééquilibrer l'offre éducative d'excellence" (sections linguistiques, sportives, artistiques) au profit des collèges "évités" (l'idée de : "Vous voulez faire du russe ? C'est à Vaulx-en-Velin !", selon l'expression de Vincent Peillon) et de conditionner le maintien de ces enseignements au respect de la mixité scolaire (proposition n°16).
Le rapport de Yves Durand et Rudy Salles propose également de redécouper les secteurs de recrutement (*) "afin de rééquilibrer les flux d'élèves entre établissements comparables" et "lorsque le tissu urbain et social s'y prête" (proposition n° 9). Concernant les secteurs multi-collèges, ils verraient bien des critères d'affectation qui tiennent compte des résultats des élèves au primaire et du niveau de diplôme de leurs parents, et sont favorables à l'idée de permettre des affectations "collectives" d'élèves de fin de primaire dans un même collège afin de respecter le cycle commun CM1-sixième (proposition n°10). Toujours dans les secteurs multi-collèges, les députés proposent de "supprimer le critère balai de dérogation dit 'autre motif' afin de lutter contre les demandes manifestement motivées par la recherche de l'entre-soi" (proposition n°11).

Valérie Liquet

(*) Trois pistes sont évoquées : "expérimenter des secteurs élargis à l'échelle de la commune, ou redécoupés en quadrants, ou selon les lignes de transports en commun" ; sectoriser les collèges en fonction des écoles publiques qui relèvent d'un même conseil école-collège ; accroître le nombre d'Eple "multi-sites", notamment par regroupement de toutes les classes de sixième dans un seul établissement.



Carte scolaire : application de la règle de non réponse de l'administration

Un décret daté du 14 décembre et publié au JO du 16 stipule que la demande de dérogation à la carte scolaire formulée par les parents (ou représentants légaux) auprès de l'autorité administrative "est réputée acceptée si aucune réponse n'a été donnée à l'expiration du délai de trois mois".
Le décret prévoit que les recteurs ou les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) agissant sur délégation du recteur d'académie peuvent fixer un calendrier pour le dépôt de ces demandes.
Pour rappel, le délai de droit commun du principe de "silence de l'administration vaut acceptation" est de deux mois, sauf pour certaines procédures, dont les demandes de dérogation à la carte scolaire.

 

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