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Modes de garde, ASE, insertion, RUA... : Emmanuel Macron livre son programme pour l'action sociale

Emmanuel Macron a ouvert le 6 janvier le congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) en déroulant un bilan de son action en matière de lutte contre la pauvreté... et un diagnostic sur ce qui reste selon lui à faire. Sur la plupart des sujets (enfance, insertion...), le chef de l'Etat a mis en avant la nécessité de résoudre les complexités institutionnelles actuelles, ce qui impliquerait un repositionnement du rôle des collectivités. Le RUA pourtant abandonné a refait surface dans ses propos : "En fusionnant le RSA, la prime d'activité, les APL, nous pourrions sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté", a-t-il déclaré.

Le 6 janvier, Emmanuel Macron a ouvert le congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Initialement prévu en présentiel à Rennes, ce congrès s'est finalement tenu en distanciel, compte tenu de la situation sanitaire, et le chef de l'État s'est donc exprimé depuis l'Élysée. Dans un discours de plus de 45 minutes, il a dressé le bilan de son action en matière de lutte contre la pauvreté. Si la proximité de échéances électorales ne se prête pas à des annonces, Emmanuel Macron a néanmoins livré des "analyses" – selon l'expression utilisée par son entourage – qui ressemblent furieusement à ce que seraient les dossiers prioritaires d'un nouveau quinquennat.

Des "vigies de notre République sociale"

Le chef de l'État a commencé par rendre hommage à l'engagement et au dévouement des associations et des personnels sociaux et médicosociaux et des bénévoles lors de la crise sanitaire. Qualifiés de "vigies de notre République sociale", ceux-ci ont en effet "répondu présents en étant des acteurs absolument essentiels et des maillons de cette chaîne de solidarité nationale [...], en mettant à l'abri des personnes à la rue, en répondant aux demandes d'aide alimentaire qui ont fortement augmenté, en continuant d'accueillir nos enfants pris en charge par la protection de l'enfance, en poursuivant vos actions en faveur de l'insertion, par exemple, en mobilisant les chantiers d'insertion pour abonder les aides alimentaires ou en continuant d'aider nos aînés et nos concitoyens porteurs de handicaps".

À ces efforts du monde associatif et des travailleurs sociaux a répondu un engagement sans précédent de l'État, marqué par la volonté "de déployer tous les filets de sécurité et de solidarité nationale". Pour Emmanuel Macron, "le quoi qu'il en coûte est en effet une politique économique et sociale inédite qui nous a permis d'éviter que la crise sanitaire sans précédent que nous traversons ne se double d'une véritable catastrophe sociale", l'État allant jusqu'à prendre en charge les salaires de plus de 9 millions de personnes. Le chef de l'État a rappelé les différentes mesures mises en œuvre à ce titre dans le champ de l'action sociale : pérennisation de 200.000 places dans l'hébergement généraliste, aides exceptionnelles pour les plus précaires versées à deux reprises à 4 millions de personnes, repas à un euro pour les étudiants boursiers, remboursement des consultations des psychologues, plan "1 jeune, 1 solution"... Il voit la réussite de ces actions dans le fait que le taux de pauvreté est resté stable en 2020.

Un système d'accueil de la petite enfance "à bout de souffle"

Pour autant, "la crise a révélé certaines situations ou dysfonctionnements et [...] notre pays compte aujourd'hui encore un peu plus de 9 millions de personnes en situation de pauvreté". Le président est donc longuement revenu sur les politiques menées en ce domaine depuis près de cinq ans, en insistant plus particulièrement sur trois aspects. Le premier est la politique de prévention de la pauvreté dès l'enfance, "pour éviter que la pauvreté ne se transmette de génération en génération, contre toute égalité des chances". Ceci s'est traduit notamment par le parcours des 1.000 premiers jours de l'enfant et les différentes mesures qui l'accompagnent, mais aussi par le congé paternité d'un mois, l'école obligatoire dès trois ans, les petits déjeuners gratuits dans les écoles défavorisées, la cantine à un euro dans les communes rurales, le dédoublement des classes de grande section jusqu'en CE1 ou encore les vacances apprenantes.

À cette occasion, Emmanuel Macron a esquissé plusieurs "analyses", qui ressemblent fort à un programme présidentiel. Des analyses qui interpellent tout aussi fortement les collectivités territoriales, à commencer par les départements. Le président estime ainsi que le système d'accueil de la petite enfance "est à bout de souffle et c'est un problème social, c'est un problème à la fois pour la lutte contre la pauvreté et pour l'éducation de nos enfants, c'est un problème pour l'égalité femmes-hommes et c'est un problème pour la natalité française". Aujourd'hui ce système ne répond plus aux besoins, puisque près de 20% des parents n'obtiennent pas de mode d'accueil, que 160.000 d'entre eux ne reprennent pas le travail, faute de solution de garde, et que le nombre de places manquantes est estimé à 200.000. Le chef de l'État a reconnu que "nous pensions ouvrir 30.000 places en crèches sur le quinquennat. Et nous arriverons à en ouvrir moitié moins", en raison d'un système éclaté, complexe, beaucoup trop long et facteur d'inégalités territoriales (voir notre article du 6 janvier 2021). Sans évoquer de mesure précises, Emmanuel Macron a expliqué qu'il faut donc "concevoir un nouveau système plus clair, plus centré sur la réponse directe aux besoins des parents, notamment ceux qui ont des besoins spécifiques [...]. En somme, mettre en place un véritable droit à la garde d'enfant". Cela nécessite "de désigner un chef de file unique qui sera donc le responsable de cette politique de l'accueil du jeune enfant au plus près du terrain".

La protection de l'enfance "mérite une clarification institutionnelle"

Dans le prolongement du précédent, le second thème abordé par le chef de l'État est celui de l'enfance et de l'adolescence. Au titre du bilan, il a notamment cité le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui doit être définitivement adopté en ce mois de janvier, avec en particulier la généralisation du contrat jeune majeur (voir notre article du 16 décembre 2021). Mais, là aussi, Emmanuel Macron estime que "nous devons continuer à aller encore plus loin dans la protection de ces enfants". Pour lui, cette responsabilité "mérite une clarification institutionnelle et cette responsabilité doit incomber à l'État", car "quand cela dysfonctionne, cela remonte à l'État et personne ne peut comprendre que par des choix démocratiques, nous ayons des hétérogénéités locales sur un tel sujet".

Mais il estime surtout que "nous devons inverser la logique actuelle", en cessant de faire de la majorité des jeunes de l'ASE un moment d'angoisse et de bascule et, sur ce point, "je ne peux pas dire, malgré le texte de loi qui est très important, que [...] nous l'ayons réglé durant les cinq années qui viennent de s'écouler". Conclusion : "Je vous le dis très clairement, la prise en charge par l'ASE ne doit plus s'arrêter à 18 ans. Ces jeunes de l'aide sociale à l'enfance doivent pouvoir continuer à être hébergés, accompagnés, soignés dans un cadre qui se substitue à leur famille tant qu'ils en ont besoin et non en fonction d'une règle administrative déterminant un âge couperet". Le chef de l'État va même plus loin en estimant "qu'il s'agit de réhumaniser la protection de l'enfance en cessant de donner l'impression à ces enfants qu'ils sont en quelque sorte de trop dans notre société".

Accès aux soins et recours aux droits

Le troisième volet, évoqué plus brièvement, concerne l'accès aux soins. Le bilan fait notamment état de la mise en place de la complémentaire santé solidaire (CSS) et, depuis le 1er janvier 2021, de l'offre 100% santé, qualifiée d'"avancée majeure" et accessible à tous les Français bénéficiant d'une complémentaire santé responsable ou de la CSS.

Sur ces trois volets tournant autour de la prévention, Emmanuel Macron a également insisté sur la nécessité "d'améliorer le fonctionnement des services publics à l'égard des personnes en situation de pauvreté ou de précarité", en particulier pour lutter contre le non recours aux droits. Si beaucoup de choses ont été faites en ce domaine, notamment avec le développement de "l'aller vers", il demeure encore des "éléments de fracture", face auxquels il convient notamment d'améliorer le fonctionnement des maisons France services (voir notre article du 27 septembre 2021).

Insertion : "Nous ne sommes pas à la hauteur de l'ambition que j'avais fixée"

Le chef de l'État a ensuite évoqué "une autre conviction profonde" en matière de lutte contre la pauvreté : le rôle essentiel du travail. S'il s'est réjoui d'avoir "effacé quinze années de hausse du chômage des jeunes ces quatre dernières années", il reste néanmoins près de 500.000 jeunes ni en études, ni en emploi et qui "ne parviendront pas à trouver une activité par leurs propres moyens". Il convient donc "dans un premier temps [de] pousser les dispositifs qui marchent, comme la garantie jeunes" et de poursuivre la montée en charge du contrat d'engagement jeunes, qui est "une révolution en termes d'approche et en termes d'organisation collective". Ce contrat devra toutefois être adapté pour les jeunes en rupture, avec un parcours spécifique de plus longue durée. Au-delà des jeunes, la politique en matière d'insertion a été notamment marquée par le dispositif "Territoire zéro chômeur de longue durée", que le chef de l'État a qualifié d'"exemple type d'une politique publique complète, menée avec les élus locaux, avec le terrain [...]".

À ses yeux, le bilan est nettement moins positif en matière de RSA, puisque "nous ne sommes pas à la hauteur de l'ambition que j'avais fixée en septembre 2018 sur l'insertion des bénéficiaires du RSA, de la même manière que je l'ai fait pour les dispositifs de prévention". En effet, seuls 20% des bénéficiaires de cette prestation retrouvent un emploi chaque année. Il faut donc "regarder ce que nous n'avons pas réussi à faire évoluer". Des progrès ont certes été accomplis malgré l'impact négatif de la crise sanitaire, en particulier grâce à la contractualisation avec les départements. Mais, il reste "un double sujet de fond". Il s'agit, d'une part, de "la réduction des budgets dédiés à l'insertion face à la hausse des budgets consacrés au paiement du RSA par les départements, qui est le fruit, il faut bien le dire, à mes yeux, d'un vrai dysfonctionnement qui a été pensé il y a une quinzaine d'années", avec la décentralisation d'une "compétence aveugle". Conséquence : "On met les départements les plus pauvres dans des situations absolument insurmontables", d'où la recentralisation du RSA en Seine-Saint-Denis ou dans plusieurs territoires ultramarins. D'autre part, "les inégalités inhérentes à la décentralisation ont encore accru ce dysfonctionnement". Il faut donc aujourd'hui "traiter nous-mêmes les complexités et les enchevêtrements institutionnels et administratifs".

Revenu universel d'activité : le retour, si…

Après avoir évoqué la situation des mères célibataires – et rappelé l'augmentation de 30% de l'aide à la garde individuelle d'enfants pour ces familles et la mise en place du service public des pensions alimentaires –, Emmanuel Macron a tenu à "partager avec vous les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés". De façon inattendue, il est revenu sur un sujet phare qui semblait pourtant enterré : le revenu universel d'activité (RUA, voir notre article du 8 décembre 2020). Il est vrai que, la veille, Fabrice Lenglart, le directeur de la Drees, avait présenté devant la commission des affaires sociales du Sénat les grandes lignes de son rapport d'évaluation sur le RUA, sur lequel Localtis reviendra très prochainement. Pour Emmanuel Macron, "au bout de deux ans de travaux techniques d'une ampleur inédite, [...] nous pouvons désormais affirmer qu'en fusionnant le RSA, la prime d'activité, les APL, nous pourrions sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté. Avec une telle fusion, on poserait donc les bases d'un nouveau système social plus efficace, plus lisible et plus juste".

Il "souhaite donc maintenant que nous puissions avancer jusqu'au bout de cette voie, associée à une réforme en profondeur dans notre service public de l'emploi et de l'insertion". Sur ce dernier point, le chef de l'État est revenu sur la question de la décentralisation, en demandant "qui pense une seule seconde que la politique sociale, en particulier la lutte contre la pauvreté dans notre pays est une politique départementale ? Je ne crois pas que ce soit vrai". Du coup, les départements agissent comme "des opérateurs de l'État". Tout en estimant qu'il faut "beaucoup plus de cohérence et de synergie entre tous les acteurs, casser les silos qui peuvent exister entre communes, départements, régions, Etat, monde associatif", Emmanuel Macron n'a toutefois pas évoqué de pistes en la matière.

Des métiers "insuffisamment reconnus"

Le chef de l'État a conclu son intervention sur "un sujet crucial pour notre société" : celui des métiers du travail social, qui "sont en crise". La raison en est que ces métiers "sont insuffisamment reconnus avec des perspectives de carrière trop peu attractives et des conditions de travail difficiles", d'où une perte d'attractivité et un déclin des vocations. Emmanuel Macron a donc confirmé la tenue de la conférence des métiers et de l'accompagnement social et médicosocial, annoncée par le Premier ministre en novembre dernier (voir notre article du 10 novembre 2021). Elle devrait finalement se tenir au mois de février et aura pour objet "de repenser globalement ces professions, les conditions de travail, les parcours professionnels, les passerelles entre les métiers, les salaires, la reconnaissance de ce qu'est le travail aujourd'hui et les défis qu'il doit relever". Il s'agit en l'espèce d'un "investissement pour éviter les situations de précarité ou de pauvreté qui nécessitent un accompagnement humain et pas simplement le versement de prestations".

 

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