Motifs de recours, rôle du maire : l'instruction en famille réformée prend forme

De jurisprudence en réponses ministérielles, les nouveaux contours de l'autorisation de l'instruction en famille se font jour. Y compris à propos du contrôle obligatoire effectué par les maires.

Entrée en vigueur à la rentrée 2021/2022, la réforme de l'instruction en famille (IEF) a déjà fait couler beaucoup d'encre. Et pour cause. Malgré des décisions des rectorats ou, en cas de refus de leur part, des décisions de justice qui ont suivi, les règles sont encore loin d'être stabilisées. Quelques tendances se dessinent toutefois, tant du côté de l'institution judiciaire que de l'administration, y compris à propos de l'intervention des maires en la matière.

Issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, la réforme de l'IEF a considérablement durci les conditions de recours à ce mode d'éducation, la faisant passer d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation préalable selon des critères restreints : état de santé ou handicap de l'enfant, pratique intensive d'activités sportives ou artistiques, itinérance de la famille ou éloignement de tout établissement scolaire public, et existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif.

Intérêt de l'enfant

Selon un recensement récent effectué par un cabinet d'avocats spécialisé, la jurisprudence "paraît éclatée"… même si les pièces du puzzle se mettent lentement en place. Concernant le motif de santé, alors qu'une demande d'IEF pour un enfant avait été rejetée par le rectorat puis par la commission de recours ad hoc, le tribunal administratif (TA) de Limoges a retenu la phobie scolaire pour justifier une autorisation. Cette décision s'inscrit dans la logique émanant du Conseil d'État, selon laquelle il convient d'autoriser l'IEF non seulement lorsqu'il est établi que l'état de santé de l'enfant rend impossible sa scolarisation dans un établissement d’enseignement mais également lorsque l’IEF est, en raison de cet état de santé, la forme la plus conforme à son intérêt.

Concernant le motif d'éloignement de tout établissement scolaire public, le TA de Grenoble a récemment donné raison à une famille qui avait vu sa demande d'IEF rejetée par l'inspection d'académie. Le juge a considéré que l'offre de transport public "ne permet raisonnablement pas une utilisation quotidienne [du bus]" par l'enfant. Plus troublante est la mention, dans le jugement, de l'incompatibilité d'une scolarisation de l'enfant en internat "en raison de l'importance de ses difficultés d'ordre psychologique et relationnel". En effet, commente le cabinet d'avocats, "le jugement peut faire peur [sic] puisqu'il n'écarte pas, par principe, l'idée d'imposer une scolarisation sous forme d'internat dans les hypothèses d'éloignement géographique de tout établissement scolaire." Or aucune obligation de scolarisation dans un internat en cas d'éloignement n'est prévue dans la loi.

Situation propre à l'enfant

Mais c'est le quatrième motif qui pose le plus de difficultés. À cet égard, on peut avancer que l'objectif de diminution du nombre d'enfants concernés par l'IEF a bien été atteint. Hervé Maurey, député de l'Eure, rapporte ainsi dans une question écrite que dans son département seules 20% des demandes fondées sur une situation propre à l'enfant auraient été acceptées. Pour le Calvados, le député Pascal Allizard s'interroge sur les refus opposés à certaines familles qui instruisent déjà un enfant de la fratrie à la maison, et pour lequel les contrôles administratifs s'étaient avérés positifs.

Pour le ministre de l'Éducation, il résulte de la loi que "la délivrance d'une autorisation d'instruction dans la famille pour un enfant membre d'une fratrie n'emporte pas de droit à la délivrance d'une telle autorisation pour un autre membre de cette même fratrie [car] cette dernière situation ne relève pas d'un des quatre motifs d'autorisation prévus." Il admet toutefois qu'à la suite des premières décisions du Conseil d'État en la matière, il s'agit de retenir la forme d'instruction la plus conforme à l'intérêt de l'enfant et ajoute que "si chaque enfant est donc considéré individuellement et indépendamment de la situation de ses frères et sœurs, […] l'existence d'une instruction à domicile déjà accordée à ceux-ci peut constituer un élément d'appréciation dans l'étude de la situation, sans cependant emporter une autorisation automatique".

De son côté, le TA de Versailles a fait avancer le débat. Dans une série de décisions rendues en novembre 2023, il estime que l'instruction en famille d'une fratrie, a fortiori quand les contrôles pédagogiques ont été satisfaisants, fonde une situation propre à l'enfant.

Difficultés des maires

Enfin, une question écrite du député du Puy-de-Dôme Éric Gold permet d'en savoir plus sur les conditions de contrôle de l'IEF par les maires. L'élu rappelle que l'autorisation de l'IEF pour un enfant entraîne, outre le contrôle pédagogique par les services de l'Éducation nationale, une enquête du maire dont l'objectif "est de contrôler les raisons données pour justifier l'instruction en famille, mais également de déterminer si l'école à la maison est compatible avec l'état de santé et les conditions de vie de la famille". Or, selon Éric Gold, plusieurs élus de son département "témoignent de leurs difficultés face à cette évolution législative de l'encadrement de l'enseignement à domicile". Parmi les griefs rapportés : le manque de moyens et de directives précises pour réaliser ces enquêtes, et une chronologie qui place les maires dans une situation inconfortable car ils reçoivent des demandes d'enquêtes alors même que l'autorisation d'IEF a été accordée et que l'année scolaire a déjà commencé. Le député souhaitait donc savoir si le gouvernement prévoyait de préciser le rôle des maires et la chronologie dans laquelle il s'inscrit dans le guide sur l'IEF dont l'actualisation a été annoncée.

Dans sa réponse, publiée au Journal Officiel du Sénat le 21 décembre 2023, le ministre de l'Éducation nationale reconnaît que le nouveau régime de l'IEF a modifié l'objet de l'enquête du maire. Ce dernier "doit, d'une part, vérifier la réalité des motifs avancés par les personnes responsables de l'enfant pour obtenir l'autorisation et, d'autre part, contrôler s'il est donné à l'enfant une instruction compatible avec son état de santé et les conditions de vie de la famille". Il ajoute que l'enquête doit être réalisée dès la première année d'IEF puis tous les deux ans. Il précise surtout qu'"il ne s'agit pas d'instruire à nouveau la demande d'autorisation […], mais de s'assurer de l'existence du motif pour lequel l'enfant a reçu une autorisation […]". En outre, les responsables de l'enfant doivent fournir au maire une attestation de suivi médical, récente et établie par un professionnel de santé, distincte d'un certificat médical et attestant que l'enfant fait l'objet d'un suivi individuel. Si cette attestation n'est pas transmise, le maire doit en faire mention dans les résultats de l'enquête. Enfin, le ministre confirme que le guide relatif au rôle des acteurs locaux dans le cadre de l'IEF est bien en cours d'actualisation.