Narcotrafics : les maires de villes moyennes face à une démonstration de force
Plusieurs villes moyennes ont été en proie à une flambée de violences liées aux narcotrafics ces derniers jours. Le maire de Charleville-Mézières a même été la cible de tirs de mortiers lors d'une opération de démantèlement d'un point de deal, mercredi dernier. Dans ce contexte de guerre de territoire, les maires ont peu de moyens, si ce n'est de prendre des arrêtés couvre-feux pour les mineurs. Mais à Limoges, cette mesure "n'a servi à rien" au dire de son maire.

© @nimes/ Le quartier Pissevin à Nîmes
Mercredi dernier, alors qu’il participait à une opération de démantèlement d’un point de deal, le maire de Charleville-Mézières (Ardennes) Boris Ravignon a été la cible de tirs de mortiers. "Cette nuit, des délinquants organisés, armés de mortiers d’artifice et ultra violents se sont déchaînés suite à la fermeture de leur point de deal déguisé en café (…) Leur volonté était claire : casser, brûler, prendre à parti les forces de l’ordre", a-t-il commenté sur twitter. Pour l’association Villes de France, cette affaire est le signe d’une "spirale inquiétante". "Les maires sont aujourd’hui en première ligne face aux défis de sécurité (…). Mais ils sont aussi de plus en plus souvent confrontés à des violences verbales ou physiques dans l’exercice de leurs fonctions", souligne-t-elle dans un communiqué publié lundi, rappelant que cette agression "vient s’ajouter à une longue liste d’actes visant directement les représentants de l’État et des territoires". Elle appelle "solennellement à une réponse extrêmement ferme de la justice" et à des "peines exemplaires".
Arrêtés couvre-feux
Charleville-Mézières, Limoges (Haute-Vienne), Béziers (Hérault), Nîmes (Gard)… Un mois après la promulgation de la loi "narcotrafics" (voir notre article), de nombreuses villes moyennes ont été en proie à une recrudescence de violences liées aux trafics de stupéfiants ces derniers jours. Plusieurs d’entre elles ont mis en place des couvre-feux pour les mineurs. C’est le cas à Nîmes dont un tel arrêté a été mis en place lundi soir dans six quartiers sensibles entre 21h et 6h, pour quinze jours. "Depuis quelques jours la situation est devenue intenable à cause de l’action armée des narcoterroristes, créant ainsi un climat de peur et de terreur. Je ne peux concevoir qu’une jeunesse se détruise ainsi", a affirmé le maire LR de la ville Jean-Paul Fournier, sur le site internet de la commune. La cité gardoise a été frappée d’effroi mardi après la diffusion sur les réseaux sociaux de l’exécution, dans un village proche, d’un jeune de 19 ans originaire de Seine-Saint-Denis, dont le corps a ensuite été brûlé.
D’autres villes, de couleurs politiques différentes - Béziers, Triel-sur-Seine (Yvelines) ou Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) - ont pris des arrêtés similaires. "Cette mesure vise à protéger les plus jeunes et à prévenir les troubles à l’ordre public durant la période estivale. En cas de non-respect, les forces de l’ordre pourront intervenir et reconduire les jeunes à leur domicile ou au commissariat", indique sur son site la municipalité socialiste de Saint-Ouen qui, au printemps, avait fait parler d’elle avec le déménagement d’une école maternelle située en plein milieu d'un quartier miné par les trafics. Mais le bilan de ces couvre-feux est sujet à caution. A Limoges, des scènes de guérilla ont eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi alors qu’un tel arrêté est en vigueur pour la durée des vacances scolaires. "Dans le quartier où devait s’appliquer le couvre-feu, plus de 100 jeunes ont affronté une trentaine de policiers et comme ils étaient plus nombreux il n’y a pas eu d’interpellation, on ne sait pas l’âge de ceux qui intervenaient, mais là, le couvre-feu n’a servi a rien", a déploré, lundi, le maire LR de la ville Emilie Roger Lombertie, sur BFMTV. L’élu manifeste sa grande inquiétude face à ce qui s’apparente, selon lui, à une guerre de territoire.
"La situation s'aggrave"
Il y a un un an et demi, c’est la situation à Marseille qui avait conduit le Sénat à mettre en place une commission d’enquête. Au gré de ses travaux, celle-ci avait montré qu’aucun territoire n’était épargné (voir notre article). En 2024, le nombre de mis en cause pour trafic a augmenté de 7% selon les statistiques du ministère de l’Intérieur. Et 20% des mis en cause pour trafic sont mineurs. Pour le sénateur LR Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête et co-auteur avec Jérôme Durain (PS) de la loi "narcotrafics", "la situation s’aggrave". Trois éléments permettent d’en juger : "le degré de violence", l’augmentation des "affaires de corruption" et "les masses financières colossales" en jeu, a-t-il expliqué, lundi, sur Europe 1. "L’essentiel du travail doit être fait par l’Etat" mais "les collectivités territoriales apportent un plus : c’est la surveillance de rue et une chose très importante, l’information et le renseignement", a-t-il insisté, rappelant que la loi a prévu un renforcement des Cross (cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants). Au moment du vote de la loi en avril, sept prisons avaient été attaquées, comme pour défier l’autorité publique. Quelques jours plus tard, au moment de la promulgation du texte (après censure partielle du Conseil constitutionnel), le ministre de l'Intérieur s'était voulu confiant. "La peur change de camp", avait-il clamé.