La loi de lutte contre le narcotrafic, légèrement rabotée, désormais publiée
La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été publiée au Journal officiel ce 14 juin, après avoir été très légèrement rabotée par le Conseil constitutionnel deux jours plus tôt – six articles en tout ou partie censurés sur les 38 dont il a contrôlé la conformité. La rue Montpensier a également formulé quelques réserves d'interprétation, dont l'une concerne la possibilité octroyée aux préfets de prononcer la fermeture des "blanchisseuses" : si elle ne trouve rien à redire s'agissant des locaux commerciaux, elle invite à la plus grande mesure s'agissant des lieux de réunion, locaux associatifs ou lieux de culte.

© Anthony MICALLEF-HAYTHAM-REA/ Un guetteur dans les quartiers nord de Marseille
Adoptée fin avril (lire notre article du 30 avril), la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic(Lien sortant, nouvelle fenêtre) a été publiée au Journal officiel ce 14 juin, après avoir été très légèrement rabotée par le Conseil constitutionnel, aux termes d'une décision(Lien sortant, nouvelle fenêtre) particulièrement longue, rendue ce 12 juin. Il faut dire que pas moins de 38 des 64 articles du texte étaient contestés via trois saisines différentes – la première portée par les députés LFI, la deuxième par les députés LFI et écologistes et la troisième par les députés socialistes. La grande majorité des articles soumis au contrôle de la rue Montpensier ont toutefois été déclarés conformes, parfois sous réserve d'interprétation, seuls six d’entre eux ayant été, entièrement ou partiellement, censurés.
Six articles, en tout ou partie, censurés
Parmi les dispositions particulièrement contestées, figurait singulièrement le "dossier coffre", qui vise à ne pas divulguer à la défense certaines techniques spéciales d'enquête jugées sensibles pour conjurer le risque de représailles. Le Conseil constitutionnel en a validé le principe (en formulant par ailleurs quelques réserves d'interprétation sur ses modalités), mais à la condition que les éléments qui y sont versés ne puissent servir "qu'à orienter l'enquête, et non à fonder une condamnation". En conséquence, il a censuré certaines dispositions particulières qui permettaient de déroger à ce principe.
N'ont par ailleurs par survécu au passage par le Palais Royal les dispositions qui :
- conféraient aux services de renseignement un accès direct à toutes les informations des bases de données fiscales, par dérogation au principe du secret fiscal ;
- permettaient le traitement algorithmique des URL, faute d'encadrement des données susceptibles d'être traitées ;
- aggravaient les peines de privation de liberté en cas de port d’arme lors de la commission de certains crimes et délits, disposition que les membres du Conseil ont jugé "disproportionnée" ;
- étendaient certaines règles de procédure applicables à la criminalité organisée aux infractions de corruption et de trafic d’influence (le recours à la garde à vue allongée à 96 heures) ;
- posaient pour principe le recours exclusif à la visioconférence pour la comparution des personnes placées en quartier de lutte contre la criminalité organisée et des personnes.
Plusieurs réserves d'interprétation
Parmi les dispositions pour lesquelles le Conseil a formulé des réserves d'interprétation, on relèvera en particulier celle qui permettait au préfet de prononcer, sous conditions, la fermeture de "tout local commercial, établissement ou lieu ouvert au public ou utilisé par le public" pour prévenir la commission ou la réitération de certaines infractions pénales ou en cas de troubles à l'ordre public. Si le Conseil n'a rien trouvé à redire aux mesures prévues pour la fermeture des locaux commerciaux, il prévient en revanche que la fermeture de lieux de réunion, de locaux associatifs ou de lieux de culte, "susceptible de porter une atteinte particulièrement grave au droit d'expression collective des idées et des opinions, à la liberté d'association ainsi qu'à la liberté de conscience et au libre exercice du culte", doit être une mesure "strictement nécessaire, adaptée et proportionnée, notamment par son périmètre et sa durée, aux objectifs recherchés".
Parmi les autres réserves formulées, signalons également :
- celle relative à la nouvelle obligation introduite pour le locataire de "s'abstenir de tout comportement ou de toute activité qui, aux abords de ces locaux [donnés à bail] ou dans le même ensemble immobilier, porte atteinte aux équipements collectifs utilisés par les résidents, à la sécurité des personnes ou à leur liberté d'aller et venir", le Conseil précisant que cette obligation "ne saurait concerner qu'un comportement ou une activité du locataire qui a lieu à proximité suffisante du logement donné à bail et qui cause un trouble de jouissance au préjudice d'autrui" ;
- celle relative à l'activation à distance d'appareils électroniques fixes ou mobiles afin de capter sons et images. Considérant qu'un tel dispositif est "susceptible de faciliter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée", le Conseil ne l'autorise que pour les délits commis en bande organisée et punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans ;
- celle autorisant "l'informateur infiltré" à participer, sans être pénalement responsable de ses actes, à certains délits – à l'exclusion, précise notamment le Conseil, des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et des agressions sexuelles ;
- celle limitant la réalisation de fouilles intégrales, possible "que dans les cas où la surveillance de la visite par un agent de l'administration pénitentiaire a été empêchée par des circonstances particulières tenant à l'intimité de la personne détenue, à la nécessité de préserver la confidentialité de ses échanges ou à des difficultés exceptionnelles d'organisation du service pénitentiaire", et en prévoyant par ailleurs des assouplissements, "pour tenir compte, notamment, de l'état de santé ou de vulnérabilité de la personne détenue (…)".
"La peur change de camp"
Rappelant sur X que la loi était "issue du Sénat, grâce au travail exceptionnel et transpartisan d'Étienne Blanc et de Jérôme Durain", le ministre de l'Intérieur a salué un texte qui "réarme l'État, les préfets et protège les forces de sécurité intérieure". "La peur change de camp", assure-t-il, estimant que les outils que le texte introduit "permettront de mener cette guerre totale contre le narcotrafic, le blanchiment et la corruption que les Français attendent".
Références : loi n° 2025-532 du 13 juin 2025(Lien sortant, nouvelle fenêtre) visant à sortir la France du piège du narcotrafic, Journal officiel du 14 juin 2025, texte n° 2 |