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Développement économique - Nicolas Bouzou : "Il faut renforcer la décentralisation économique"

Macro-économiste de formation, Nicolas Bouzou, fondateur du cabinet Astérès, s'est intéressé sur le tard au développement territorial, comme il le reconnaît lui-même. D'abord pour suivre les entreprises qu'il conseille. Mais aussi parce qu'on assiste à un tournant au niveau mondial. S'il reconnaît le rôle important que les Etats ont joué pour juguler les effets de la crise, il voit dans le centralisme français un handicap pour l'avenir. Le Cner (Conseil national des économies régionales - fédération française des agences de développement et des comités d'expansion économique) a voulu en savoir un peu plus sur la pensée de ce jeune économiste, lors d'une rencontre organisée à Paris le 26 octobre.
"Ma découverte a été la faiblesse du poids des régions par rapport à tous nos partenaires, aussi bien en termes de compétences que de budget", constate d'emblée celui qui, en quelques années, est devenu le chantre de la décentralisation économique.

"Compétence exclusive" des régions

Son premier message : si la relance a été nécessaire (la demande publique a pris le relais de la demande privée défaillante), elle doit s'arrêter, vu l'état d'endettement de la France. Et un scénario à la grecque n'est pas à écarter. Les politiques keynésiennes doivent s'interrompre au plus vite pour laisser place à des politiques de l'offre, estime l'auteur du Capitalisme idéal (Eyrolles, 2010), qui s'inquiète des difficultés de la France à se réformer. "On fait les mêmes réformes dans tous les pays développés, mais en France, on en fait plutôt moins", remarque-t-il. La réforme de retraites ? "Un sujet transpartisan, néanmoins on ne la fait pas... Que de douleurs pour en arriver là", se lamente-t-il. Pendant ce temps, la compétitivité de la France est en régression constante : "On perd des parts de marchés à l'export, à un rythme qui m'affole."
Le nerf de la guerre économique ? L'innovation. Or, il y a un "énorme problème de la recherche et développement en France". Au rythme actuel, l'objectif arrêté à Lisbonne en 2000 par les chefs d'Etat européens de consacrer 3% du PIB à la R&D d'ici à 2010 ne serait atteint qu'en... 2165. Mais en France "c'est 'Retour vers le futur', on recule : nous dépensions 2,4% du PIB en 1992, on en est à 2% aujourd'hui". "Les collectivités rament pour essayer de contrebalancer la baisse de l'Etat et des entreprises, constate encore Nicolas Bouzou. Quand les régions le font cela fonctionne très bien."
L'économiste constate par ailleurs un creusement des inégalités territoriales du fait de "la combinaison entre la mondialisation et le progrès technique qui engendre un éclatement des performances territoriales". Partout, la richesse se concentre dans les métropoles. Face à ce phénomène, il suggère "d'accroître la décentralisation économique pour que les collectivités aient des moyens d'action pour générer ces effets d'agglomération". Selon lui, "la région est une très bonne échelle". Défenseur d'une économie ouverte fonctionnant en réseaux, Nicolas Bouzou plaide paradoxalement pour une "compétence exclusive" des régions en matière économique, même s'il prend des précautions pour le dire. "Si tout le monde peut tout faire, ce pourrait être une saine émulation, mais en France, on n'arrivera jamais à se mettre tous d'accord." La multiplication des échelons conduit à une "balkanisation de l'économie" dans laquelle les entreprises ne se retrouvent plus.

Fantasme des baronnies locales

Le principal handicap des régions françaises ne tient ni à leur PIB ni à leur taille  ou à leur population ("l'idée de fusionner les régions est un non-sens"), mais à leur budgets dérisoires au regard de leurs homologues européennes : "La part du budget par rapport à la population est inversement proportionnelle entre l'Aquitaine et le Pays basque [espagnol]." L'économiste balaie d'un revers de main les craintes d'une augmentation de leurs dépenses et des impôts locaux. "Le fantasme des baronnies locales qui dépensent trop n'est pas vérifié dans les faits. La part de la dette dans les budgets est de 2,7% chez les collectivités contre 9,6% pour l'Etat", rappelle-t-il, même s'il concède qu'il y a parfois des dérives auxquelles il faut remédier. Et de pointer l'incapacité de l'Etat à stabiliser ses dépenses dont la masse salariale représente 29,8% contre 29,2% pour les collectivités.
Le renforcement des régions doit passer par un transfert des compétences de l'Etat et des départements vers elles. Nicolas Bouzou plaide pour l'autonomie fiscale des régions qui ne représentent que 11% des dépenses des collectivités et ne perçoivent que 9% de la fiscalité locale, écornant au passage la réforme de la taxe professionnelle (TP). "Le mouvement de recentralisation qui s'opère via la réforme de la TP notamment est vraiment une erreur, cela ne correspond pas aux problématiques du moment", martèle-t-il. Enfin, l'économiste invite les régions à mettre en place de véritables stratégies de développement économique et d'innovation. Et il leur donne même une idée. Selon lui, le second volet du crédit impôt recherche - qui prévoit un doublement des taux si l'entreprise s'associe à un laboratoire public - est passé inaperçu. "Mettez en place des portails de recherche sur internet, comme Meetic, pour aider à trouver l'âme soeur. Bercy veut le faire. Mais c'est dommage, c'est aux régions de le faire, toutes les études montrent que la recherche doit être territorialisée."
 

 

Propos recueillis par Michel Tendil
 

Les régions estiment leurs marges de manoeuvre réduites

A l'issue d'une rencontre sur la formation et le développement économique, le 27 octobre à Limoges, les régions ont exprimé "leurs plus grandes craintes" quant à leur capacité d'intervention dans les prochaines années. L'Association des régions de France (ARF) s'inquiète notamment des effets de la réforme de la taxe professionnelle, du gel des dotations sur trois ans mais aussi de la volonté du gouvernement de "prendre la main sur la gestion du fonds social européen". Autant de décisions qui, selon l'ARF, empêcherait les régions "de mener les politques nécessaires aux besoins de leurs territoires et de leurs habitants". Face à cette situation, elles estiment devoir recentrer les aides aux entreprises vers les efforts en matière de formation, d'emploi des jeunes, de dialogue social et de qualité environnementale. Les régions envisagent d'associer plus étroitement leurs différentes stratégies entre elles : développement économique, innovation, formation professionnelle et aménagement du territoire. A ce titre, la sécurisation des parcours professionnels des jeunes sera "au coeur des stratégies régionales".