Archives

Réforme territoriale - Nouvelle carte intercommunale : une France de 1.200 à 1.400 communautés en 2017 ?

La plupart des préfets ont à présent dévoilé leurs projets de cartes intercommunales. De ces propositions, que les élus locaux peuvent désormais amender, pourrait naître un paysage profondément modifié. Selon l'Assemblée des communautés de France (ADCF) qui a procédé à un premier bilan, le nombre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pourrait baisser de 40%. De nombreuses communautés seraient très étendues, ce qui poserait des difficultés concrètes, par exemple quant à la gouvernance de ces structures.

Le nombre d'intercommunalités à fiscalité propre, qui est actuellement de 2.133, pourrait baisser d'environ 40% si les projets de cartes intercommunales présentés par les préfets ce mois-ci sont finalement mis en œuvre le 1er janvier 2017, en application de la loi "portant nouvelle organisation territoriale de la République" (Notr).
Dans un peu plus d'un an, le nombre des communautés pourrait ainsi être compris entre 1.200 et 1.400, estime l'Assemblée des communautés de France (ADCF). L'association a analysé 82 projets de schémas départementaux de coopération intercommunale, soit la quasi-totalité des projets présentés à ce jour. Le bilan qu'elle en tire confirme les tendances qu'elle a déjà mises en évidence à partir de la lecture d'une quinzaine de projets de schémas et qu'elle avait exposées lors de sa convention annuelle, qui s'est tenue le 8 octobre dernier à Tours (voir notre article du 12 octobre 2015). Ainsi, de nombreux préfets ont été "ambitieux", comme les y avait appelés la ministre en charge de la décentralisation. Sur les 82 projets analysés par l'ADCF, 36 prévoient une baisse supérieure à 50% du nombre des communautés. Dans certains départements, la baisse dépasse 70%, comme en Ariège, dans la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques ou encore la Manche. Dans ce dernier département, il ne subsisterait que cinq communautés, dont une réunissant quelque 200 communes. Autre signe du volontarisme généralement manifesté par les préfets : la réduction programmée du nombre des communautés n'est inférieure à 20% que dans sept départements.
Pour justifier leurs choix, les préfets "ne se sont pas focalisés" sur le seuil des 15.000 habitants ou sur une limite inférieure dans les départements les moins denses, alors que cette notion de seuil a fait l'objet de vifs débats au Parlement, analyse Nicolas Portier, délégué général de l'ADCF. Ils ont plutôt fait référence aux "espaces vécus". L'usage fréquent de cette notion n'a pourtant pas conduit à fusionner en nombre des communautés issues de départements différents.

Pas moins de 460 fusions

Pour parvenir à ces objectifs "ambitieux", les fusions de communautés sont privilégiées. 65% des communautés actuelles seraient concernées, le mouvement aboutissant à 460 fusions, soit bien plus que le nombre des fusions qui ont eu lieu en 2012 et 2013 à la suite de la loi de réforme des collectivités territoriales. Ces fusions pourraient impliquer parfois beaucoup plus que deux communautés. Un record est ainsi prévu, encore dans la Manche, avec le regroupement de 11 communautés.
Conséquence de ces fusions, le nombre des communautés "XXL" pourrait croître significativement, puisque 142 fusions regroupant plus de 50 communes sont programmées. Cinq, voire six projets de ce type existent dans des départements comme le Doubs, la Seine-Maritime, le Calvados et la Marne. Ces communautés très étendues vont devoir rapidement relever plusieurs défis. La poursuite de l'exercice des compétences de proximité en est un. La solution peut passer par la création de communes nouvelles au sein de ces communautés, ou encore par la constitution de pôles de services mutualisés portés par des communes, précise Nicolas Portier. Un autre challenge sera de trouver un système de gouvernance qui ne soit pas bloqué par les effectifs pléthoriques du conseil communautaire.
Si les projets de schémas prévoient très peu d'évolutions pour les métropoles – puisque seules celles de Strasbourg et de Lille vont s'agrandir – ce n'est pas le cas des agglomérations de taille moyenne. 14 nouvelles communautés d'agglomération sont au programme, par exemple autour de Cognac, Dinan, Clisson, Pamiers et Abbeville. En outre, certaines agglomérations doivent considérablement s'agrandir, comme celle de Troyes (qui passerait de 19 à près de 100 communes) et de Bourg-en-Bresse (de 15 à 77 communes). Parmi les agglomérations plus grandes, quatre doivent devenir des communautés urbaines : celles de Limoges, Caen, Clermont-Ferrand et, dans la Marne, le regroupement inédit des agglomérations de Reims et de Châlons-en-Champagne.

Syndicats de communes : on est loin de la fin

Comme c'était déjà le cas en 2011 lors de la première phase de "rationalisation" de l'intercommunalité, les préfets ont été plus timides sur le volet des projets de schémas concernant les syndicats de communes. Un quart seulement des quelque 13.000 structures de ce type doivent disparaître (principalement par leur dissolution). Dans certains départements, comme le Pas-de-Calais, l'Oise, le Haut-Rhin, ou la Seine-Maritime, qui comptent tous plus de 200 syndicats, la diminution sera "relativement faible". On pouvait s'attendre à plus d'audace de la part des préfets, sachant que le gouvernement s'était fixé pour objectif une "réduction significative" du nombre des syndicats. Ce premier bilan suscite un sentiment de "regret" de la part du président de l'ADCF, Charles-Eric Lemaignen. S'agissant en particulier des transferts des compétences des syndicats aux intercommunalités dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et des déchets, l'association a noté que les projets de schémas ne détaillent pas les modalités, les préfets voulant se donner du temps.
Selon l'ADCF, les projets de schémas n'ont pas suscité de "rejet brutal de la part des élus locaux", à la différence des projets présentés en 2011 qui, pourtant, étaient parfois moins "ambitieux". Les cas de tension entre le préfet et les élus seraient limités à quelques départements. Le compromis trouvé entre le Sénat et l'Assemblée nationale, les difficultés financières des collectivités territoriales et la concertation généralement menée en amont par les préfets auprès des élus locaux expliqueraient ce contexte. Par ailleurs, les élus auraient à présent bien compris qu'ils peuvent amender le texte au sein de la commission départementale de la coopération intercommunale. Une information clé dont ils n'avaient pas tous connaissance il y a quatre ans.

Reporter les délais ?

Malgré ces "bonnes nouvelles", l'ADCF ne cache pas une certaine inquiétude sur les délais de mise en œuvre des nouvelles cartes intercommunales. Pour elle, l'entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2017 va entraîner des difficultés sur le terrain. "Ces délais trop courts doivent être repoussés, souligne Charles-Eric Lemaignen. Ce serait en effet dommage de gâcher pour des raisons de délais un mouvement qui va dans le bon sens." Le président de l'ADCF s'en entretiendra prochainement avec le Premier ministre. On notera que le vecteur législatif permettant de concrétiser cette demande existe déjà. Il s'agit d'une proposition de loi déposée récemment par le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, qui accorde aux élus de l'intercommunalité un an de plus pour préparer les fusions.
L'ADCF plaidera aussi auprès de Manuel Valls pour un assouplissement des règles en matière de gouvernance, par exemple s'agissant des effectifs de conseillers communautaires après une fusion. Si un trop grand nombre de conseillers devaient renoncer à leurs fonctions avant le terme du mandat prévu initialement en 2020, des projets de communautés pourtant "cohérents" pourraient être abandonnés, pointe l'ADCF. Pour qui "il ne faut pas rater" le rendez-vous du 1er janvier 2017. Car après cette date, la carte des intercommunalités ne devrait plus évoluer qu'à la marge.