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Nouvelle PAC : place aux négociations Conseil – Parlement – Commission

Dans la douleur, après de longues et âpres négociations, le Conseil des ministres de l'UE et le Parlement européen ont finalement pu arrêter la semaine passée – chacun de leur côté – leur propre position sur la nouvelle politique agricole commune. Si l'essentiel a été adopté dans les deux cas, les points de divergences restent nombreux. Rapprocher ces deux versions, et celle de la Commission, ne sera pas plus aisé.

Lentement, la nouvelle politique agricole commune – composée de trois textes relatifs aux plans stratégiques (les aides des deux piliers), au règlement horizontal (financement, gestion et contrôle de la PAC) et à l'organisation commune du marché des produits agricoles proposés par la Commission européenne en 2018 et qui ne s'appliquera pas avant 2023 – prend forme. Deux étapes supplémentaires viennent d'être franchies la semaine dernière : la première au terme de négociations marathons, dans la nuit du 20 au 21 octobre, avec l'adoption, après deux ans et demi de discussions, d'une position commune par les ministres de l'Agriculture des Vingt-Sept ; la seconde le 23 octobre, avec l'adoption par le Parlement européen de sa propre position sur ces textes, après quatre jours de vote. Compte tenu des oppositions tant au sein du Conseil que du Parlement, ces compromis ont été salués. Reste désormais à concilier ces deux positions, sans oublier la Commission, ce qui sera tout sauf aisé.

"Renationalisation de la PAC"

Comme le proposait la Commission, dans une approche visant à privilégier "l'efficacité à la conformité", une plus grande liberté de gestion de la PAC sera octroyée aux États membres. Elle prend corps via les plans stratégiques nationaux, s'appliquant aux deux piliers, dans lesquels chaque État membre, au regard de ses spécificités préalablement analysées – un diagnostic qui n'a pas été sans susciter le débat en France –, détermine des objectifs quantifiés et différentes d'actions pour atteindre les neufs "objectifs généraux" de l'UE (soutien des revenus agricoles, climat, biodiversité…). Le tout devant être validé par la Commission, qui a proposé au printemps dernier de rendre publics tous ses documents relatifs à l'évaluation de ces objectifs quantifiés et de ces plans.

Côté Parlement, comme dans d'autres cénacles, on ne goûte toutefois guère cette "renationalisation" de la PAC. Il a ainsi pris le soin de préciser dans le texte que "le modèle de mise en œuvre ne devrait pas donner lieu à 27 politiques agricoles nationales distinctes, puisqu'une telle situation mettrait en péril l'esprit commun de la PAC". "Si c'est le cas, nous ne pourrons éviter les distorsions et garantir une égalité de traitement entre les agriculteurs européens opérant au sein du marché unique et il s'agira de savoir quel État membre tirera le mieux son épingle du jeu, maximisera son avantage comparatif par rapport à ses voisins, retirera le plus d'argent avec le minimum de contrôle", avertit Anne Sander, députée européenne PPE, interrogée par Localtis. Le Parlement a également ajouté que ces plans "sont poursuivis conformément à l'accord de Paris".

Les éco-programmes du pilier I validés

Alors que la nouvelle PAC entend contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de l'environnement – en renforçant notamment la conditionnalité –, les Vingt-sept se sont finalement accordés sur le caractère obligatoire des programmes écologiques ("éco-régimes" ou "éco-programmes", plus connues dans leur version anglaise d'eco-schemes), l'une des principales innovations de la réforme. Le dispositif prévoit une aide complémentaire aux agriculteurs qui mettent en œuvre des programmes volontaires pour le climat et l'environnement allant au-delà des exigences réglementaires. Une mesure à laquelle les États de l'Est étaient défavorables, redoutant la perte de fonds. Pour répondre à cette crainte, le Conseil s'est prononcé pour une période transitoire de deux ans afin de permettre aux acteurs de se familiariser avec les nouvelles règles. Plus encore, les Vingt-sept se sont accordés pour que ces programmes, qui viennent en sus des "engagements agroenvironnementaux et climatiques" du second pilier, représentent 20% des paiements directs. Si la Commission n'avait pas fixé de minimum, elle s'était prononcée en mai dernier en faveur d'une telle mesure "à condition que le niveau d'ambition ne soit pas limité". Restera toutefois à trouver un compromis avec le Parlement, qui a décidé, lui, d'un taux de 30%, rejoignant ici la position du Comité européen des régions.

Verdissement du Feader

Le Parlement entend de son côté également renforcer le verdissement du pilier II, en portant à au moins 35% (contre 30% dans la proposition de la Commission, rejointe ici par le Conseil) la part du Feader au plan stratégique relevant de la PAC réservée aux interventions liées à l'environnement et au climat. Il a en outre décidé que non seulement le "Feader ne devrait pas soutenir des investissements susceptibles de porter préjudice à l'environnement" (version de la Commission), mais encore "devrait soutenir prioritairement les investissements générant des bénéfices à la fois économique et environnementaux, ainsi que ne pas soutenir les investissements susceptibles de porter préjudice à l’environnement ou incompatibles avec les objectifs en matière de climat, d’environnement, de bien-être animal et de biodiversité". À titre d'exemple, seraient ainsi interdits de soutien les agriculteurs dont les activités comprennent l'élevage de taureaux destinés à la tauromachie.

Pour autant, ce "verdissement" de la PAC est jugé notoirement insuffisant par les associations de défense de l'environnement. Le collectif "Pour une autre PAC" a ainsi dénoncé "l'absence d'une remise en cause de la logique de la PAC", ne relevant que "des améliorations à la marge" mais parfois "contradictoires" (visant ici plus particulièrement le compromis, parfois bancal, du Parlement). Un jugement au contraire réfuté sans surprise par le Copa Cogeca, principale organisation d'agriculteurs européens, qui s'inscrit en faux contre une PAC qui serait "synonyme d'écoblanchiment", mais salue "une décision responsable" du Parlement, dénonçant par ailleurs les "fausses informations", "pressions" et "intimidations".

Transferts entre les piliers

Autre sujet qui nécessitera conciliation, même si sans doute moins passionnel que le précédent (en tout cas moins grand public), celui de la possibilité de transférer des fonds entre paiements directs et dotations Feader. La Commission proposait 15% dans un sens ou dans l'autre. Un taux que les Vingt-sept ont porté à 25% (voire 30% pour les transferts Feader vers les paiements directs dans 12 pays, dont ne fait pas partie la France) alors que le Parlement l'a au contraire revu à la baisse. Ce dernier entend ainsi limiter à 12% le transfert possible de l'enveloppe des paiements directs vers le Feader, en y ajoutant une condition supplémentaire : que les fonds transférés soient utilisés pour des interventions agro-environnementales dont les bénéficiaires sont les agriculteurs. Dans l'autre sens, seuls 5% des fonds Feader 2024-2027 pourraient être transférés vers les paiements directs, et à la condition de ne financer que des éco-programmes. Le Comité européen des régions s'était, lui, opposé à tout transfert du second vers le premier pilier.

Développement rural non agricole

Le Parlement se fait également l'avocat du monde rural non agricole, en ajoutant notamment comme objectif du texte "de favoriser le développement, la création et l'implantation d'entreprises non agricoles". Soulignant les investissements insuffisants dans le haut débit, le Parlement demande notamment aux États membres d'élaborer et de déployer dans le cadre de leur plan stratégique une stratégie relative aux "villages intelligents", ajoutant l'installation de technologies numériques dans les zones rurales au rang des activités pouvant bénéficier de subventions. Le Parlement insiste également sur le rôle clé des femmes "dans le développement et la préservation des zones rurales", et invite à mieux les prendre en compte.