Politique de cohésion : la Cour des comptes européenne prépare l’après 2027

Dans un rapport publié ce 19 janvier, la Cour des comptes européenne conduit une analyse comparative des dispositifs de relance et de la politique de cohésion pour préparer l’après 2027. L’on devine que la Cour verrait peut-être d’un bon œil que la politique de cohésion, à l’image du plan de relance européen, soit plus étroitement associée au Semestre européen, accorde une plus grande place à "l’obtention de résultats" ou soit moins chronophage. Reste que si la politique de cohésion prend en compte les disparités – et les autorités – régionales, le plan de relance les ignore. À court terme, la Cour relève les difficultés pour les autorités de gestion à faire face à ces deux instruments, "susceptibles d’exacerber les problèmes de capacité administrative". Et de menacer l’actuelle programmation.

Afin de "contribuer aux cadres financiers pluriannuels (CFP) de l’après-2027", la Cour des comptes européenne vient de publier, le 19 janvier, une analyse comparative des financements octroyés par l’UE via la politique de cohésion, d’une part, et la facilité pour la reprise et la résilience (FRR, principal dispositif du plan de relance européen) d’autre part. Une anticipation bienvenue, alors que la Cour souligne que les évaluations ex post de ces deux instruments "interviennent trop tard pour éclairer les propositions législatives de la période suivante".

L’éclairage apporté par ce rapport, "qui ne résulte pas d’un audit", sera pâle, la Cour se bornant pour l’essentiel à décrire les "similitudes et les différences" de ces deux instruments, sans en tirer – explicitement du moins – de conclusions. Non sans logique, puisqu’il est encore trop tôt pour connaître les résultats effectifs de la FRR, entre autres. Dans sa note, la Cour prend le soin de rappeler que ces deux instruments n’ont pas la même finalité, et donc temporalité : "La politique de cohésion est le principal instrument d’investissement à long terme dont dispose l’UE pour promouvoir le développement économique, social et territorial des États membres et des régions, tandis que la FRR est un outil temporaire de 'réaction à la crise' conçu pour atténuer les répercussions de la pandémie". On croit néanmoins percevoir qu’elle verrait d’un bon œil la reprise d’un certain nombre d’éléments de la FRR pour les prochaines programmations de la politique de cohésion.

La FRR, un modèle ?

Parmi ces "emprunts", pourrait figurer le fait que "le financement au titre de la FRR est censé être plus étroitement lié aux réformes prévues dans les recommandations par pays" (celles du "Semestre européen" instauré en 2011 suite à la crise financière). Et ce, alors que s’agissant des fonds de la politique de cohésion, la Cour a constaté que "souvent, les États membres n’avaient pas mis l’intégralité des recommandations les concernant et que le lien entre les dépenses de l’UE et la mise en œuvre [des recommandations] était ténu". Reste que la Cour observe que "certaines réformes structurelles importantes" prévues dans les recommandations ont également été ignorées dans les plans de relance et de résilience (PRR) de la FRR qu’elle a examinés jusqu’ici.

De même, le fait que le FRR accorde une plus grande place à l’obtention de résultats – avec la FRR, "une opération bénéficie d’un financement lorsqu’elle produit des résultats ou remplit des conditions préalablement définies" – est souligné. Et ce, alors qu’est noté dans le même temps que "seule une petite partie des dépenses de cohésion de la période 2014-2020 avait été remboursée selon des modèles de financement fondés sur la performance". La Cour ajoute que "jusqu’alors, presque tous les programmes relevant du Feder et du fonds de cohésion étaient exclusivement mis en œuvre selon le principe du remboursement des frais exposés" (pour la programmation 2021-2027, les options de coûts simplifiés sont devenus obligatoires pour les opérations financées au titre du Feder et du FSE+ dont le coût ne dépasse pas 200.000 euros). Et ce sans compter que "dans le cas de la politique de cohésion, la performance est déconnectée des rapports financiers". Elle relève encore, non sans logique, que "la politique de cohésion ne prévoit pas de mesures préventives ou de corrections financières en cas de résultats insuffisants" alors qu’il "en va autrement pour la FRR, la Commission pouvant suspendre le paiement de la totalité ou d’une partie de la contribution financière si elle estime qu’un jalon ou une cible, ou plusieurs d’entre eux, n’ont pas été atteints de manière satisfaisante". La Cour admettant toutefois que "la Commission doit encore clarifier la méthode employée pour déterminer la part d’une contribution qu’il convient de suspendre ou de réduire en cas de non-réalisation".

On ne sera donc pas surpris que la Cour mette en avant une étude réalisée en 2018 selon laquelle "la mise en place d’un soutien budgétaire associé à un financement davantage fondé sur la performance pourrait constituer un mécanisme simple et efficace pour les volets des fonds de la politique de cohésion pour lesquels les réalisations peuvent être clairement attribuées au financement". Ou souligne le fait que "la Commission compte également appliquer le modèle de financement de la FRR au nouveau fonds social pour le climat". Et ce même si elle concède qu’il "reste à voir dans quelle mesure les financements relevant de la FRR sont, en soi, davantage fondés sur la performance que ceux de la politique de cohésion".

La transparence pourrait également être un champ d’inspiration, la Cour observant que "les évaluations, par la Commission, des PRR adoptés sont mises à la disposition du public, alors que celles des accords de partenariat et des programmes de la politique de cohésion sont uniquement communiquées aux autorités nationales et régionales concernées".

La Cour constate aussi que "les modalités de paiement applicables aux financements de la FRR sont plus souples que celles de la grande majorité des dépenses relevant des fonds de la politique de cohésion". Et, non sans logique, que "le versement [est] plus rapide pour les fonds de la FRR que pour ceux des programmes relevant de la politique de cohésion". Ou encore que "le taux de préfinancement de la FRR est nettement plus important" et que cette dernière "n’exige aucun cofinancement national ou privé", sans que l’on sache où va sa préférence. Des atouts qui faisaient d’ailleurs craindre que la FRR ne phagocyte la politique de cohésion (v. notre article du 24 juin 2021).

Avec ou sans collectivités ?

L’une des principales différences tient toutefois dans la méthode d’élaboration de ces instruments, et partant la longueur du processus. "Deux tiers des PRR ont été adoptés dans les six mois, tandis que l’élaboration et la négociation des programmes de la politique de cohésion ont pris un retard encore plus important" que d’habitude, la Cour soulignant que ces négociations "n’ont jamais été achevées avant la fin de la première année du CFP". La Cour relève notamment que "les documents de programmation de la FRR étaient moins nombreux que les près de 400 accords de partenariat et programmes nationaux et régionaux". Une différence qui tient notamment au nombre de parties concernées. "Pour les fonds de la politique de cohésion, les États membres doivent appliquer le principe de partenariat […]. Les autorités publiques aux niveaux régional, local et urbain, les organisations de la société civile et les partenaires économiques et sociaux peuvent tous contribuer à la mise au point des accords de partenariat, ainsi qu’à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation de chaque programme", rappelle-t-elle. À l’inverse, lors de l’élaboration des PRR, les autorités nationales ne sont tenues que de consulter les autorités locales et régionales (parmi d’autres), et non de les associer – ce qui n’avait d’ailleurs pas manqué de déplorer le Comité des régions (v. notre article du 26 janvier 2021). Et sa mise en œuvre "relève de systèmes nationaux", "dans le cadre d’une gestion directe, tandis que les fonds de la politique de la cohésion relèvent de la gestion partagée". Tout sauf un détail, alors que d’aucuns redoutent une recentralisation des politiques européennes (v. notre article du 22 mars 2022). De même, la Cour rappelle que "le calcul des dotations relevant de la politique de cohésion tient compte des disparités […] régionales", contrairement à la FRR.

Capacités administratives à l’épreuve

Les deux instruments ne sont toutefois pas sans partager plusieurs points communs. S’agissant de la politique de cohésion, la Cour constate notamment que "les informations disponibles sur les autres coûts administratifs sont rares, voire inexistantes". Et juge qu’il sera "de même difficile d’estimer le coût de la mise en œuvre de la FRR, notamment parce que le règlement qui la régit n’exige pas que les coûts administratifs soient communiqués à la Commission". Dans tous les cas, ce coût apparait certain. "Certains des États membres sélection [dont la France] nous ont fait part de leur intention d’employer du personnel supplémentaire pour la mise en œuvre de la FRR", indique la Cour. Elle considère par ailleurs que la mise en œuvre "en parallèle" de ces deux instruments "est susceptible d’exacerber les problèmes de capacité administrative" (v. notre article du 24 juin 2021). Et ce, d’autant que "les autorités de gestion ont également participé à la programmation de React-EU, ainsi qu’à la mise en œuvre d’autres mesures d’urgence telles que la FRR, les initiatives d’investissement en réaction au coronavirus (CRII et CRII+) et les actions de cohésion pour les réfugiés en Europe (Care et Care+) [v. notre article du 5 avril 2022]. Leurs capacités administratives s’en trouvaient par conséquent d’autant plus dispersées", conduisant au retard évoqué précédemment. "Les États membres devront absorber dans des délais plus brefs les financements de la politique de cohésion qui leur ont été alloués", avertit la Cour (comme l’a fait le Parlement européen – v. notre article du 7 avril 2022). Apportant ainsi du grain à moudre aux régions, qui plaident pour un report de la clôture de la programmation 2014-2020 (v. notre article du 19 janvier).

 

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