Polluants éternels : un rapport d'inspection recommande à l'Etat d'agir "sans tarder"

Un rapport de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) rendu public ce 14 avril recommande au gouvernement de prendre "sans tarder" des mesures face à ces polluants dits éternels, en vue d'améliorer les connaissances et les contrôles et de les interdire.

"La réglementation française des émissions industrielles encadre encore trop peu les rejets en PFAS et leur suivi (...) est quasi-inexistant", souligne en préambule un rapport de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) rendu public ce 14 avril.  Commandé en février 2022 par Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique, ce document recommande notamment "d'engager sans tarder les actions de maîtrise du risque les plus urgentes" à l'égard des substances per- et polyfluoroalkylés désignées sous le sigle anglais PFAS. Cette famille de composés organofluorés de synthèse (plus de 4.700 molécules), développées depuis les années 1940 pour leurs propriétés anti-adhésives et imperméables sont massivement présentes dans la vie courante (poêles en Teflon, emballages alimentaires, textiles, automobiles...) Quasi-indestructibles - d'où leur surnom de "polluants éternels" -, elles sont décrites par certains experts comme "la plus grande menace chimique au XXIe siècle", mais jugées en partie incontournables par l'industrie.

"Les connaissances sur les risques sanitaires associés aux différents PFAS sont insuffisantes, voire absentes (...) mais des effets nocifs et toxiques sur le métabolisme humain ont été observés pour plusieurs PFAS et leur caractère cancérigène est suspecté", souligne l'IGEDD. La contamination se fait notamment via la consommation d'eau et d'aliments et l'inhalation de l'air et de ses poussières et la liste des effets est longue : diabète, obésité, effets immunitaires, hématologiques, neurologiques, nécrose du foie, cancers...

"Principe de précaution"

Face à ce "constat inquiétant", la première recommandation est donc d'"appliquer le principe de précaution" et de demander à l'État français "d'oeuvrer pour une restriction Reach (en référence à la réglementation européenne destinée à préserver la santé humaine et l'environnement des produits chimiques, NDLR) conduisant à une interdiction d'usage, de production et d'importation de l'ensemble des PFAS", estime le rapport.

L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a publié le 7 février la proposition de cinq pays européens (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Norvège, Suède) pour bannir dans l'UE les PFAS, qu'elle évaluera avant de soumettre une recommandation à Bruxelles et aux Vingt-Sept, pour une mise en oeuvre après 2026. Cette démarche a été appuyée par plusieurs États, dont la France.

L'IGEDD préconise aussi la "substitution des PFAS chaque fois que c'est possible par des substances moins nocives", de mieux informer le public concernant les risques et la présence de ces polluants dans les différents produits et d'engager un programme de recherches pour améliorer les connaissances.

Trop peu de réglementation de ces substances en France

Actuellement, "la France ne réglemente aucun PFAS dans le contrôle des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine" et la "réglementation française des émissions industrielles encadre encore trop peu les rejets en PFAS", note le rapport, ajoutant que des lacunes similaires existent pour l'air et les sols. Le rapport montre des contaminations marquées de certaines nappes souterraines (Alsace, région rhodanienne, vallée de la Seine, Moselle, Méditerranée ...), ajoutant que celle des eaux superficielles "est plus générale".

Alors que la directive européenne du 16 décembre 2020 fixe des teneurs maximales à respecter d’ici janvier 2026 pour les eaux potables pour le total des PFAS (0,50 μg/l) ou pour la somme des 20 PFAS "substances préoccupantes" (0,10 μg/l)', "la France pourrait utiliser les deux paramètres", souligne la mission qui note aussi que l’élimination des PFAS avant rejet dans le milieu aquatique apparaît "très peu maîtrisée aujourd’hui". "Les PFAS résistent aux traitements épuratoires classiques et les stations d’épuration dédiées aux PFAS sont très rares", poursuit-elle. "La réhabilitation des sols pollués aux PFAS relève de la politique classique des sites et sols pollués avec des techniques connues (isolement-couverture, confinement hydraulique, excavation et élimination, …) et d’autres restant au stade de la recherche", ajoute-t-elle. Selon la mission, la seule méthode de destruction fiable des PFAS consiste en un traitement thermique mais "les températures d’incinération nécessaires pour les détruire sont encore en débat entre scientifiques (900°C ou 1 300 °C ?)" tandis que de nombreux incinérateurs d’ordures ménagères pourraient ne pas atteindre une température suffisante et constituer "une source de contamination par voie atmosphérique".

Une proposition de loi prônant une interdiction dès 2025

Début 2023, le gouvernement a publié un "plan d'action" pour mieux "évaluer les effets des PFAS et ainsi les limiter plus strictement" tout en soulignant que les actions doivent être prises au niveau européen. Le député écologiste Nicolas Thierry, qui estime que ce plan est une "diversion", a déposé ce 13 avril une proposition de loi réclamant une interdiction des PFAS dès 2025 quand il y a une alternative, avant une interdiction totale en 2027.

Le rapport de l'IGEDD, bloqué selon lui et l'ONG Robin des bois depuis des mois par le gouvernement, est "aussi inquiétant qu'on le pressentait", a-t-il réagi auprès de l'AFP. "C'est le début d'un long combat face à un scandale sanitaire d'une ampleur inédite. Le problème est connu depuis 20 ans et l'inaction de l'État et des industriels est coupable" alors que "des alternatives aux PFAS existent déjà".

"Alors que la pollution est généralisée (...) l'inaction de l'État est totale" et son plan "n'est pas à la hauteur des enjeux", fustige de son côté Générations Futures, estimant qu'il est "urgent d'adapter la surveillance" notamment sur les denrées alimentaires et l'eau. "Attendre des normes européennes, connaissant la lenteur des processus (...), est insuffisant", conclut l'association.

 

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