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Cour des comptes - Pour Didier Migaud, "le logement social doit mieux cibler les publics modestes et défavorisés, sans créer de ghettos"

Entre ceux qui estiment que l'objectif n° 1 du logement social est d'accueillir les personnes pauvres et ceux qui mettent en avant l'objectif de mixité sociale (donc accueillir aussi des personnes de la classe moyenne), la Cour des comptes semble à première vue avoir choisi le premier camp. A la lecture du rapport présenté le 22 février sur "Le logement social face au défi de l'accès des publics modestes et défavorisés", sa position paraît toutefois plus subtile. En gros : aux organismes HLM de loger les pauvres dans leur parc ; aux collectivités de programmer les politiques d'habitat pour organiser la mixité au niveau du quartier et/ou de la ville.

"Mieux cibler les publics modestes et défavorisés." C'est l'objet des quatre premières recommandations du rapport de la Cour des comptes sur "Le logement social face au défi de l'accès des publics modestes et défavorisés" présenté mercredi 22 février (voir les 13 recommandations en encadré ci-dessous). Un logement social qui a bénéficié de 17,5 milliards d'euros en 2014 d'aides publiques, "soit 43% de l'ensemble des aides au logement", souligne la Cour, précisant que "ce montant se répartit entre 8 milliards d'euros d'aides personnelles et 9,5 milliards d'euros d'aides aux organismes de logement social, principalement pour la construction". Les 4,8 millions de logements sociaux représentent un logement sur six et près de la moitié du parc locatif total.
La position de la Cour ne passe pas inaperçue dans un débat qui divise les partisans de la spécialisation du parc social dans l'accueil des ménages les plus modestes et les partisans d'un parc social composé de populations "mixtes" d'un point de vue social.
Selon Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, les deux objectifs ne sont pas contradictoires. "Le logement social doit mieux cibler les publics modestes et défavorisés, sans créer des ghettos", estime-t-il. D'ailleurs, la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a bien assigné ces deux objectifs au logement social : "améliorer les conditions d'habitat des personnes des ressources modestes ou défavorisés" et "contribuer à la nécessaire mixité sociale des villes et des quartiers".

Les échelles de la mixité

Pour Pascal Duchadeuil, président de la cinquième chambre, il n'y a aucun doute : "C'est sur l'ensemble de ces territoires que la mixité doit être assurée et constitue un objectif de politique publique" et non pas à l'intérieur du parc social. Et l'USH se tromperait quand elle pratique la "mixité par le haut" en accueillant des ménages aux revenus qui lui permettraient d'accéder au parc de logements privés. Autrement dit, elle n'a pas à "assurer en son sein une forme de mixité entre les différentes catégories de locataires", à une exception près : "dans les zones où le logement social représente une part majoritaire des logements". Dans ce cas, la Cour convient que "la question de l'occupation du parc social peut se poser dans une perspective d'équilibre d'ensemble de peuplement du quartier". Ce cas, reconnaît-elle, constitue tout de même le quart du parc social...
"Nous ne nous laisserons pas entraîner dans la spirale d'une spécialisation du parc social dans l'accueil des ménages les plus pauvres. Ce chemin, plusieurs pays européens l'ont emprunté, avec des résultats catastrophiques et la reconstitution de ghettos", a aussitôt réagi Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat. L'USH s'est de tout temps opposée à la "conception dite 'résiduelle' du parc social" (un vocabulaire que la Cour a volontairement banni de son rapport). Elle la juge même "en complète contradiction avec les orientations fixées par les pouvoirs publics".

Abaisser les plafonds de ressources en zone tendue

De fait, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement et de l'Habitat durable, a rappelé, à l'occasion de la sortie du rapport, son attachement à la "vocation généraliste" du modèle français du logement social. "Indispensable pour accueillir les plus fragiles, ce segment du parc de logements doit aussi servir l'objectif de mixité sociale nécessaire à la cohésion du pays. Le logement social doit en effet cibler toutes les catégories de ménages modestes et de classe moyenne", estime-t-elle.
Aussi, la ministre ne partage pas la toute première recommandation de la Cour des comptes visant à "abaisser les plafonds de ressources d'accès au parc HLM". La recommandation de la Cour dit précisément : "abaisser les plafonds de ressources en zone tendue et de façon différenciée selon la situation des territoires et la nécessité de promouvoir la mixité sociale". Un dispositif "indissociable de l'élaboration d'une politique locale cohérente", insiste Pascal Duchadeuil. La bonne échelle étant sans conteste intercommunale.
Sans doute la ministre est-elle également sceptique face à la recommandation n°7, à savoir : "introduire dans les zones tendues des baux à durée limitée, en subordonnant leur renouvellement à un réexamen de la situation des ménages". Comme le fait remarquer Matignon dans sa réponse, cela reviendrait à remettre en cause le "droit au maintien dans les lieux" qui est d'ores et déjà subordonné à une analyse annuelle des ressources des locataires.

48% des occupants du parc social ne sont ni "défavorisés" ni même "modestes"

Quoi qu'il en soit, "l'idée qui consiste à dire que le logement social ne loge pas les ménages les plus modestes est une absurdité", s'enflamme Jean-Louis Dumont, rappelant que "sur les 450.000 attributions réalisées chaque année, la moitié concerne des ménages qui se situent en dessous du seuil de pauvreté". Et de conclure : "Voilà la réalité à laquelle sont confrontés les organismes HLM !"
Une réalité que la Cour ne nie pas. Mais elle semble considérer que "la moitié", c'est peu. Car de réalité, elle en voit une autre : "Le logement social ne bénéficie qu'à la moitié des ménages situés sous le seuil de pauvreté" tandis que l'autre moitié, logée dans le parc locatif privé, "doit s'acquitter de loyers 40 voire 50% plus élevés" (soit 240 euros par mois en moyenne, 400 euros en Ile-de-France) sans que leurs APL (aides personnalisés au logement) soient plus élevés. Alors que 48% des occupants du parc social ne sont ni "défavorisés" (1), ni même "modestes" (2).
De plus, " le logement social se trouve impuissant à accueillir les ménages dont les ressources n'atteignent pas la moitié du seuil de pauvreté et qui relèvent davantage des dispositifs de logement d'insertion", souligne la Cour qui propose dans sa recommandation n°2 d'aller dans le sens d'une "approche globale des publics défavorisés".

Construire ou sortir ?

Autre sujet de discorde : la construction de logements sociaux. Pour Jean-Louis Dumont, "répondre encore plus au défi de l'accès des publics modestes et défavorisés au logement (...) passe par un accroissement très volontariste de son parc". Pour Emmanuelle Cosse, "l'objectif annuel de production de logement social - fixé à 150.000 par le président de la République et en passe d'être atteint - est bien nécessaire, y compris pour lutter contre les inégalités territoriales d'accès au logement social". Aussi, la ministre ne partage pas non plus la recommandation de la Cour des comptes "visant à réduire l'engagement de l'Etat en matière de production de logement social". Engagement de "7,8 milliards d'euros par an", a rappelé Didier Migaud avant de lister plusieurs éléments qui, selon lui, "remettent en question la pertinence de cette dynamique".
D'une part, cette dynamique "ne répond pas de façon suffisamment ciblée aux besoins les plus importants des ménages défavorisés, qui portent sur des logements de petites surfaces, à bas loyers et dans les zones en tension", d'où la recommandation n°8 de "fixer l'objectif de construction neuve à partir d'une approche territorialisée des besoins" (ce que Matignon assure, dans sa réponse, déjà faire).
D'autre part, pour offrir plus de logements sociaux à la location, la construction de logement lui semble bien moins efficiente que de jouer sur la "rotation du parc social", quitte à imaginer un système d'incitation financière à destination des bailleurs sociaux. D'où sa recommandation n°5 : inciter les bailleurs à améliorer la rotation de leur parc, en y consacrant une part de la mutualisation des ressources entre organismes HLM. "Dans un ensemble de plus de 4,7 millions de logements, il suffirait d'améliorer d'un point le taux de mobilité - qui s'élève en moyenne à 9,7 % - pour obtenir une offre supplémentaire équivalente à la construction de 47.000 logements par an, sans que cela n'entraîne de coûts pour les finances publiques", souligne Didier Migaud.
Et pour inciter les ménages qui ont dépassé les plafonds de ressources à quitter leur logement, la Cour recommande, sans originalité, de renforcer encore le supplément de loyer de solidarité (recommandation n°6).

Des recommandations déjà dans la loi

A noter que plusieurs recommandations de la Cour visant à favoriser la mixité sociale ont été saluées par Emmanuelle Cosse :  le renforcement du rôle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière d'attribution de logements sociaux ; l'objectif d'attribution de 25% des logements aux ménages les plus modestes en-dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville ; le durcissement de l'application du supplément de loyer de solidarité. Trois dispositifs qui figurent dans la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017. Une loi dont la Cour estime qu'elle est allée dans le bon sens... "mais pas assez loin".

(1) Ménages dont le niveau de vie est inférieur à 60% du revenu médian de la population, soit 18,5% des ménages selon l'Insee.
(2) Ménages appartenant aux trois premiers déciles de la répartition des niveaux de vie, soit par définition 30% des ménages.
 

Les 13 propositions de la Cour des comptes

Mieux cibler les publics modestes et défavorisés
1. abaisser les plafonds de ressources en zone tendue et de façon différenciée selon la situation des territoires et la nécessité de promouvoir la mixité sociale ;
2. renforcer l'articulation entre les objectifs de construction de logements sociaux affichés à l'appui de la loi de finances et les objectifs d'accueil en logement d'insertion incluant l'accompagnement social, dans une approche globale des publics défavorisés ;
3. appliquer le plafond de ressources PLAI aux logements dont le loyer effectif est inférieur au loyer maximum de cette catégorie, quel que soit le financement d'origine du logement ;
4. augmenter la part des publics les plus modestes dans les logements sociaux situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, en combinant incitation à la mobilité, politique des loyers et procédures d'attribution.

Proposer plus de logements à la location
5. inciter les bailleurs à améliorer la rotation de leur parc, en y consacrant une part de la mutualisation des ressources entre organismes HLM ;
6. faire du supplément de loyer de solidarité un instrument de mobilité, en abaissant son seuil de déclenchement, en limitant les exemptions et en affichant clairement le niveau de ressources pour lequel le coût global du logement social atteint le niveau du marché ;
7. introduire dans les zones tendues des baux à durée limitée, en subordonnant leur renouvellement à un réexamen de la situation des ménages ;
8. fixer l'objectif de construction neuve à partir d'une approche territorialisée des besoins ;
9. accentuer le ciblage de l'effort de production, en réduisant fortement la production de PLS et en se concentrant davantage sur les zones tendues et les logements PLAI ;
10. réduire la concentration des logements sociaux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, en n'y produisant pas d'offre sociale
nouvelle et en localisant hors de ces quartiers la reconstitution des logements sociaux supprimés par la rénovation urbaine ;
11. intégrer dans les objectifs de production de logement social un indicateur mesurant le développement des offres diffuses.

Accroître la transparence et piloter davantage au niveau local
12. mutualiser la gestion des décisions individuelles d'attribution sous l'égide des conférences intercommunales du logement, dans le respect des objectifs globaux des réservataires de contingents ;
13. rendre obligatoire la formalisation et la publication des critères de sélection et d'attribution par les bailleurs.
 

 

 

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