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Habitat - Attribution de logements sociaux : des chercheurs plongent à la source des discriminations

Des chercheurs du Lab'Urba ont analysé les facteurs et les pratiques de discriminations dans le traitement des demandes de logements sociaux de cinq villes, apportant des éléments, sans jugement de valeur, au débat du futur projet de loi Egalité et Citoyenneté. Il apparaît que ces discriminations, qui existent bel et bien, ont de multiples causes dont la première serait le choix assumé de la "préférence communale" (donner la prorité aux ménages habitant déjà la commune). A noter également le rôle marginal joué par les commissions d'attribution.

Le Lab'Urba, de l'université de Paris Est, publie un rapport commandité à la fois par le défenseur des droits, l'Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances) et le Puca (Plan urbanisme construction architecture). Il est vrai que le sujet est particulièrement sensible, puisqu'il s'agit d'une "Analyse des facteurs et des pratiques de discriminations dans le traitement des demandes de logement sociaux". Un sujet qui n'est évidemment pas sans lien avec le volet "peuplement" du projet de loi Egalité et Citoyenneté (voir notre article ci-contre du 15 mars 2016) qui sera présenté en conseil des ministres du 13 avril.
Ce rapport de recherche a été conduit sous la direction scientifique de l'urbaniste Jean-Claude Driant, spécialiste des marchés du logement et des politiques de l'habitat, et de l'urbaniste et sociologue Christine Lelévrier, spécialiste de la politique de la ville.

Cinq sites passés au crible

L'étude est circonscrite à cinq sites, qui présentent néanmoins des profils suffisamment diversifiés pour offrir un minimum de représentativité : la communauté d'agglomération de Mantes en Yvelines (Camy), Nevers, Paris, Plaine Commune (Seine-Saint-Denis) et Rennes Métropole.
Sur le fond, le travail du Lab'Urba présente les forces et les faiblesses des approches universitaires. Côté positif : le travail très approfondi, l'analyse critique, le croisement des méthodes et des hypothèses, l'importance des moyens humains et des compétences mobilisés... Côté moins positif : une certaine tendance à osciller parfois entre truismes ("Il ressort nettement que l'accès à un logement social se joue dans une rencontre entre une offre et une demande, marquée par une tension plus ou moins intense selon les lieux") et l'abus de jargon ("Ceci vaut particulièrement pour l'extranéité des demandeurs").
Au-delà de ces scories, l'étude n'en pose pas moins un certain nombre de questions importantes. Les différentes pistes explorées mettent tout d'abord en évidence qu'il n'existe pas d'explication uni-causale - le lieu, la nationalité, le profil, l'ancienneté de la demande... - aux écarts de traitement qui peuvent être constatés. En effet, "les modes de rapprochement entre l'offre et la demande dépendent aussi des acteurs locaux du logement social et donnent lieu à une grande diversité de pratiques".

Des "filtres" qui influent sur la décision d'attribution

L'étude identifie toutefois "certains filtres" qui se révèlent "particulièrement décisifs" dans la décision d'attribution. C'est le cas de l'offre disponible sur le site (insuffisante et ne correspondant pas besoins des demandeurs) ou de la priorité donnée à l'ancrage local. Cette dernière "s'applique de façon quasi-systématique, tous réservataires confondus et est à l'œuvre dans l'ensemble des terrains étudiés". Le rapport observe que "si cette priorité n'a a priori rien de nouveau, elle constitue un important facteur d'inégalités dans l'accès au logement". L'avant-projet de loi Egalité et Citoyenneté entend d'ailleurs s'y attaquer en interdisant d'avancer la préférence communale comme motif de non-attribution d'un logement social.
Autres filtres décisifs : les exigences posées par les bailleurs (taux d'effort, reste à vivre...), mais aussi les politiques de peuplement mises en place localement au nom de la mixité sociale. L'ensemble de ces éléments forment ainsi "une sorte de règle tacite partagée par les acteurs".

La commission d'attribution réduite à un rôle très secondaire

Le plus surprenant reste toutefois le rôle très marginal joué par la commission d'attribution, "pourtant identifiée comme l'instance décisionnaire". L'étude relève ainsi "le fait qu'en dépit des configurations contrastées, la sélection des demandeurs s'exerce bien en amont de la commission d'attribution", qui n'est ni le seul, ni le principal lieu de tri des dossiers de demande d'un logement social.
Le rapport met ainsi en évidence "les agents d'attribution, qui jouent un rôle central dans l'accueil des demandeur et le traitement de leur demande" et doivent "composer avec un ensemble de contraintes techniques ou matérielles et un ensemble d'acteurs, à la fois au sein de leur institution, dans la relation avec les différents réservataires et partenaires de leur action, et dans la relation directe avec les demandeurs qui jouent comme autant d'effets de chaîne".

 

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