Pour la Cour des comptes, les crédits exceptionnels ont privé le ministère de la Culture de ses prérogatives

Dans un rapport consacré aux crédits exceptionnels dont le secteur de la culture a bénéficié ces dernières années, la Cour des comptes dénonce l'usage du Plan de relance, des PIA ou de France 2030 au détriment des missions stratégiques et de financement du ministère de la Culture.

Une déresponsabilisation du ministère de la Culture, tel est le principal grief relevé par la Cour des comptes dans son enquête sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives, commandée par la commission des finances du Sénat et publiée le 20 mars. 

Dans cette enquête, la Cour a cherché à savoir comment avaient été utilisés les plus de trois milliards d'euros de crédits engagés de 2017 à 2023 en faveur du secteur culturel en dehors du budget du ministère, soit presque l'équivalent d'une année des crédits de la mission culture de ce dernier. En l'occurrence, ces crédits exceptionnels d'une ampleur sans précèdent provenaient du Plan de relance, des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et de France 2030.

"Pilotage par la dépense" 

Lancé à l'été 2020 pour accompagner la sortie de crise sanitaire, le Plan de relance a consacré 1,6 milliard d'euros à la culture. Mais alors qu'il visait tant le soutien aux revenus du secteur que l'accélération de ses transformations structurelles en matière économique, industrielle et sociale, la Cour des comptes estime qu'il n'a atteint que le premier de ces deux objectifs. Pour expliquer cette défaillance partielle, la Cour évoque tour à tour un objectif "probablement trop ambitieux dans le cadre d'une action conjoncturelle" et un plan élaboré "dans la précipitation". Elle conclut à une "occasion manquée".

Parmi les points noirs du Plan de relance dans le secteur culturel, la Cour des comptes pointe aussi des crédits "répartis de façon très hétérogène entre secteurs culturels (le cinéma et la presse en bénéficient bien davantage que le livre)" et regrette qu'"une partie a aussi été utilisée pour boucler les plans de financement de grands travaux d'établissements publics". En résumé, elle dénonce un "pilotage par la dépense, parfois au détriment des objectifs de politique publique" qui a eu "un effet inflationniste dans certains secteurs".

Fort taux de sinistralité

Pour ce qui est des PIA 1 et 3, la Cour juge qu'ils "ont faiblement investi le champ culturel et celui des industries culturelles et créatives". En effet, depuis 2017, seuls 278 millions d'euros ont été consommés à ce titre, dont 190 millions ont été transférés au budget de la culture pour financer deux grandes opérations de restauration patrimoniale (Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts et Grand Palais).

Portés par la Caisse des Dépôts et Bpifrance, plusieurs projets culturels emblématiques ont eu, selon la Cour, "une réelle portée en termes d'expérimentation et d'innovation". Et de citer le Grand Palais immersif et la Philharmonie des enfants. De son côté, le soutien apporté à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), "qui dispose d'une excellente connaissance des entreprises culturelles et de liens anciens avec les financeurs de la place," est jugé "cohérent avec l'ambition des PIA et économe des finances publiques".

La Cour a un regard moins positif sur le soutien apporté à "des entreprises au modèle économique fragile" qui ont connu depuis lors "de graves difficultés". Elle donne l'exemple de l'appel à manifestation d'intérêt "Culture, patrimoine, numérique" lancé par la Caisse des Dépôts, qui aurait débouché sur un taux de sinistralité de 35%, "bien supérieur à celui admis en général par la CDC ou Bpifrance". 

Absence de stratégie

Au-delà d'une "disparition de l'argent public investi", la Cour s'interroge également sur un soutien à des projets qui "relèvent parfois d'une conception très extensive des industries culturelles et créatives ou n'en font clairement pas partie, […] voire relèvent d'un champ spéculatif", à l'image  du NFT (certificat cryptographique associé à un objet numérique) sur le marché de la mode.

Ces premières expériences d'investissement dans le secteur culturel, commente la Cour, "ont souffert d'une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la Culture comme de réflexion sur les outils mobilisés, sur la typologie des projets structurants et sur les effets d'accélération recherchés". 

Les PIA inadaptés à la culture

Ces reproches visant une stratégie "trop peu lisible" sont également adressés à France 2030, un programme qui dispose par ailleurs de "moyens considérables". Qu'on en juge : entre les 400 millions d'euros du PIA 4 lancé fin 2020 et les 600 millions de France 2030, finalement rattachés l'un à l'autre en 2022, les industries culturelles et créatives, et plus particulièrement celles de l'image et du numérique, ont bénéficié d'un milliard d'euros.

Ici, les critiques de la Cour portent d'abord sur une certaine opacité : "Ni la stratégie d'accélération, issue d'états généraux des industries culturelles et créatives […], ni même la liste des dix-neuf mesures retenues n'ont été rendues publiques." Puis s'en prennent à la pertinence du programme. Si "les mutations structurelles du secteur culturel peuvent justifier un accompagnement par l'État, écrit la Cour, les PIA apparaissent cependant globalement inadaptés à ce secteur" car "insuffisamment articulés aux objectifs et enjeux de la politique publique".

Logique de subventions

Après avoir déploré "la mise en œuvre rapide" d'appels à concurrence qui créerait "des effets d'aubaine", la Cour s'attaque à une dérive des PIA. Selon elle, "la logique originelle consistant à utiliser des avances remboursables ou à coinvestir pour inciter le secteur privé à s'engager s'est progressivement effacée au profit d'une logique de subventions". Dès lors, on se retrouve dans une "situation paradoxale" : des programmes générant plus de subventions au secteur de la culture que le ministère lui-même.

Plus largement, la Cour assure que "le pilotage des PIA et de France 2030 par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) contribue à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions de pilotage stratégique, d'allocation des financements et de contrôle sur l'équivalent d'une part significative de son budget annuel". Et même s'il a été à l'origine de la conception de la stratégie, en rédigeant les cahiers des charges, le ministère ne siège souvent que comme observateur dans les comités d'attribution des aides. "Si l'on ne veut pas courir le risque de priver durablement le ministère des moyens de remplir ses missions, celui-ci doit reprendre le pilotage des dispositifs initiés dans le cadre de France 2030, et en renforcer significativement le suivi", conclut-elle.