Archives

Pour la Cour des comptes, l'Euro 2016 a été organisé dans un "rapport de forces inégal"

Sans remettre en question l'organisation et le succès de l'Euro 2016, un rapport de la Cour des comptes se penche sur le rôle prépondérant de la société à but lucratif, Euro 2016 SAS, détenue par l'UEFA (95%) et la FFF (5%), et sur les "nombreuses défaillances" entre autres de la gestion de la candidature. Tout en regrettant la fragilité financière des collectivités locales mises à rude épreuve par ces grands événements pour une rétribution jugée "faible", et l'occasion manquée de faire évoluer le mode de gestion des stades qui continue à accentuer leurs difficultés.

Quels retours d'expérience les pouvoirs publics peuvent-ils tirer de l'accueil de l'Euro 2016 de football en France ? C'est la question que se sont posée la Cour des comptes et six chambres régionales des comptes. Le résultat est contenu dans un rapport qui vient d'être rendu public. Si le bilan est globalement positif, la cour estimant que "l'Euro 2016 a incontestablement été un succès en termes d’organisation" et que "les moyens de l'Etat, essentiellement de sécurité, ont été déployés sans faille", le rapport fait état de "nombreuses défaillances" dans la gestion de la candidature et le mode d’organisation de la compétition. Par ailleurs, il souligne que l’héritage matériel du tournoi - les stades de la compétition qui ont fait l'objet d'un investissement public de près d'un milliard d'euros -, "n’est pas exempt de risques pour les collectivités locales". Surtout, une occasion historique a été manquée : la transformation de l’économie des clubs et des stades de football.

Un cadre contractuel "fictif"

En ce qui concerne la gestion de la candidature et l’organisation de la compétition, la Cour des comptes résume son avis par une formule choc : "Un rapport de forces inégal, aggravé par les conditions de sa mise en œuvre". Elle estime ainsi que le caractère contractuel de nombreux documents signés avec l'UEFA (cinq contrats généraux d’organisation, dix-sept lettres de garantie nationales de niveau ministériel et plus de cinquante contrats locaux d’organisation) est "largement fictif". En effet, les marges de négociation étaient "très réduites", l’UEFA n’ayant abandonné de ses exigences que les seules mesures d’exonérations fiscales contraires au droit communautaire.
Par ailleurs, la cour pointe le fait que "l'engagement pour l’accueil de l’Euro 2016 a été caractérisé par un manque d’information préalable du Parlement et des organes délibérants des villes". Dans son rapport, la Cour des comptes met particulièrement en lumière un "cadre juridique [qui] comportait de nombreuses dispositions dérogeant au droit national".
La cour pointe encore que les collectivités ont reçu "peu de soutien de l’Etat dans leurs relations avec l’UEFA", et rappelle que "seule l’organisation de leur action dans un Club des villes hôtes a permis aux collectivités territoriales d’obtenir de l’UEFA un assouplissement de ses règles".

Un retour financier "modeste"

Autre aspect négatif pointé par la Cour des comptes : le remplacement, en 2011, de la société locale d’organisation, créée par la Fédération française de football (FFF) sous la forme d’une entité juridique à but non lucratif, par une société à but lucratif, Euro 2016 SAS, détenue par l'UEFA (95%) et la FFF (5%). Ce qui a eu pour effet de soustraire "les données financières du tournoi à toute investigation publique", déplore la cour.
Au rayon financier, le grief le plus important fait par les magistrats financiers est la "faible" rétribution des organisateurs locaux. Selon l’UEFA, le résultat de l'Euro 2016 s’élève à 847,3 millions d'euros. Parallèlement, la dépense publique nette pour l'organisation, coût des exonérations fiscales compris, est évaluée par les juridictions financières à environ 162 millions d'euros, dont 51 millions de charges nettes pour les villes au titre de l'accueil du tournoi. En outre, l'UEFA a reversé 20 millions aux villes pour financer des investissements sportifs de proximité et 20 millions à la FFF en contrepartie de sa participation aux charges d’organisation. Et la Cour des comptes de juger que "sans méconnaître le programme de solidarité de l’UEFA au bénéfice du football européen […], un retour de 40 millions est modeste pour le football amateur français, rapporté à un bénéfice de 847 millions".

Les stades, "une occasion manquée"

Concernant les stades, la Cour des comptes estime que sur 1,9 milliard d'euros d'investissements en rénovation ou construction, 1,2 milliard relève d'une "dépense publique directement rattachable à l’Euro 2016". A propos du financement, elle pointe un soutien financier de l’Etat – 152 millions d'euros par le biais du CNDS (Centre national pour le développement du sport) – "complexe et surcalibré". De surcroît, elle trouve que ces subventions ont "conduit à rehausser certaines jauges au-delà du niveau prévu initialement ou exigé par l’UEFA". La capacité totale des neuf stades rénovés ou construits a été portée à 420.000 places alors que le cahier des charges n'en demandait que 350.000… et les affluences moyennes en Ligue 1 pour les clubs concernés n'ont pas, pour l'heure, augmenté en proportion.
Mais c'est surtout l'occasion manquée pour faire évoluer le mode de gestion des stades que la Cour des comptes met en exergue. Alors qu'en 2008 la commission "Grands stades Euro 2016" recommandait que la préparation du tournoi soit l’occasion de changer le modèle français de propriété et d’exploitation publique des stades, pour soustraire les collectivités locales aux risques de gestion et d’aléas sportifs, les stades construits ou rénovés pour le tournoi demeurent la propriété des collectivités, à l’exception de celui de Lyon.
De plus, pour les stades conçus et exploités sous le régime des contrats de partenariat public-privé (PPP), l’intervention d’un gestionnaire privé "complexifie les relations entre les clubs résidents et les villes propriétaires, sans prémunir ces dernières […] des risques économiques". Cerise sur le gâteau : "La quasi-totalité des redevances [obligatoirement payées par les clubs résidents aux collectivités propriétaires] est inférieure, et parfois dans des proportions importantes, au niveau requis", ajoute la Cour des comptes, selon laquelle "l’ajustement des redevances est une obligation, pour la sauvegarde des finances locales et le respect des règles européennes et d’occupation du domaine public".

Des leçons à tirer avant Paris 2024 ?

Dans sa conclusion, la Cour des comptes s'interroge sur les "réflexions communes" que les Etats devraient avoir face aux grandes associations sportives "pour que l’organisation de manifestations sportives majeures soit assortie d’objectifs en termes d’intérêt public, de coûts, de participation financière et d’impacts". Alors que Paris vient d'être désignée ville-hôte des Jeux olympiques de 2024, cette interrogation est plus que jamais légitime… et urgente !
 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis