Pour une autre civilisation de l'alimentation, la commune de Barjac s'investit dans un film documentaire

La petite commune Barjac (Gard) nourrit les enfants des écoles avec des produits issus de l'agriculture biologique et de circuits courts. Pour cette raison, elle est devenue le personnage principal d'un film documentaire, "Nos enfants nous accuseront", qui dénonce les méfait de l'agriculture conventionnelle.

Le film "Nos enfants nous accuseront" est projeté depuis le 5 novembre 2008 dans les salles de cinéma et sera bientôt diffusé en DVD. D'une durée de 1h47, il est écrit et réalisé par Jean-Paul Jaud, l'un des pionniers de Canal +. La commune de Barjac (1.498 habitants) y tient le premier rôle car elle est filmée dans toutes ses composantes : enfants, parents, maîtres, agriculteurs, épicerie, boulangerie, cuisiniers, patrimoine paysager et bien entendu le maire et le curé. Barjac a été choisie par l'équipe du film car celle-ci recherchait une commune française qui avait fait "le choix du bio". Or, la municipalité de Barjac a décidé en 2006 que la cantine scolaire s'approvisionnerait progressivement en produits issus de l'agriculture biologique. Plus précisément, elle a voulu élargir l'action sociale (2,50 euros) et éducative menée à l'école jusqu'au domaine de la restauration collective en prônant, à travers le choix du bio, l'éducation au goût et à la santé. "L'éducation des papilles est ce qui va leur rester toute la vie, dit Edouard Chaulet, maire de Barjac et conseiller général. Transmettre ce patrimoine à nos enfants c'est leur assurer une source de plaisir tout au long de la vie et en même temps asseoir leur capital santé sur des bases saines. C'est les prémunir contre la malbouffe."
Il y a une vingtaine d'années, la restauration dans les écoles de Barjac (aujourd'hui cent-vingt enfants et cinq enseignants) était confiée à une association qui employait du personnel peu qualifié et sans préoccupation diététique. La municipalité a décidé d'agir par étapes. Pour commencer en 1996 /1997, elle refait les locaux scolaires ce qui lui permet de placer la cuisine centrale au coeur de l'établissement, de telle sorte qu'il y ait un contact pédagogique entre le personnel de cuisine, le personnel de service et les enfants. Dans le même temps, la commission scolaire a affiché son attente d'une alimentation équilibrée et le personnel s'est pris de passion pour la question.

 

Des enfants et des cuisiniers motivés

Les enfants de Barjac et leur enthousiasme pour le bio ont été filmés tout au long d'une année. Au fil des saisons, ils sont là qui parlent, chantent, cultivent les légumes du jardin scolaire et les mangent. Les cuisiniers municipaux, vêtus de leurs toques blanches, participent de plain-pied à cette vie scolaire. "Ils sont deux cuisiniers, un aide-cuisinier et deux femmes de service, sans compter des bénévoles qui viennent donner un coup de main pour le repas des tout-petits, explique Edouard Chaulet. Dès leur recrutement, nous leur avons conseillé de lire le menu de chaque jour à haute voix et avec une certaine emphase de façon à mettre leur travail en valeur et, de ce fait, à honorer les enfants qui vont manger leurs préparations. De même on aime qu'ils passent parmi les enfants pour voir ce qui est apprécié et expliquer ce qu'il y a dans les assiettes. Et moi-même je mange à la cantine de temps en temps Le plus souvent, j'interviens auprès des enfants pour le bruit, les mains propres, la tenue à table..."

 

Autour de l'alimentation bio, une coopération intercommunale de fait

Aujourd'hui, la cantine bio n'est plus réservée aux seuls enfants de Barjac. Des communes alentours viennent chercher des repas avec leur véhicule et payent ces repas à la commune de Barjac à raison de 5,87 euros le repas. Ce qui fait qu'une pratique de coopération intercommunale s'est instaurée de fait, sans pour autant se traduire administrativement. Par ailleurs, la cuisine centrale exporte vers l'école privée soixante-dix repas par jours. Enfin, un véhicule municipal spécialement équipé porte quarante repas par jour aux personnes âgées. Toute cette activité s'effectue en "liaison chaude" : les plats confectionnés le jour même partent chauds, par plateaux glissés dans des caissons isothermes, vers leurs consommateurs. Ce qui permet à ceux-ci de manger chaud si le trajet de distribution n'excède pas 1h30. Et cela à l'exception du vendredi, jour où la liaison est dite "froide" pour les repas du week-end.
En fait, tout un état d'esprit local favorable au basculement vers un autre type d'alimentation se met en place : le boulanger sert des boules de pain bio, l'épicerie locale commercialise des légumes provenant de maraîchers locaux. Et sur le marché, les agriculteurs bio vendent leur production. D'ailleurs, le département du Gard souhaite se positionner comme territoire bio et quatre-vingt cuisiniers municipaux sont en formation sur ce thème.

 

"Ces vignes-là se nourrissent de produits chimiques, pas de la terre. Celle-ci est morte."

En somme, les habitants de Barjac et les réalisateurs du film partagent la même idée : l'agriculture conventionnelle alimente mais a cessé de "nourrir" les populations. Elle est devenue une menace pour la santé : des agriculteurs qui pulvérisent des pesticides et des médecins témoignent des risques sanitaires (cancers, stérilité). Par ailleurs, les sols meurent. Le lien entre agriculture bio et développement durable est particulièrement lisible dans une séquence. On y voit le journaliste du film invité par un viticulteur bio à se rendre dans les vignes. Des deux côtés d'une limite de propriété, deux modes d'exploitation se côtoient. A la gauche de la caméra, la production bio, à la droite la production conventionnelle. Le viticulteur commence par planter sa fourche dans le sol de droite, chez son voisin. La motte de terre qu'il remonte et émiette est structurée en states horizontales. "L'eau n'y pénètre pas, dit-il. Elle ne peut y pénétrer car cette terre est morte. Elle ne contient aucun des organismes vivants qui assurent la vie de la terre." Puis, il plonge sa fourche dans le sol de sa propre vigne. La motte qui ressort est grouillante de vers de terre. "Ici la terre est vivante. Les engrais n'ont pas tué les vers. L'eau peut s'enfoncer. Il y a vingt ans, quand j'ai débuté, les sols des deux parcelles étaient au même niveau par rapport au chemin. Alors que le sol de ma vigne est resté à la même hauteur que le chemin, le sol de mon voisin est en soubassement de vingt centimètres. Cela est dû à l'érosion. Quand la pluie tombe, comme elle ne pénètre pas dans la terre, elle ruisselle en emportant la couche supérieure du sol. Bientôt, il n'y aura plus rien avant le rocher. Ces vignes-là se nourrissent de produits chimiques - il montre celles du voisin. Elles ne se nourrissent pas de la terre. Car celle-ci est morte."

 

Ouvrir un marché à l'agriculture durable

Tout au long du film alternent et se croisent deux thèmes que le public n'est pas accoutumé à embrasser d'un même regard : d'un côté la marchandisation mondiale des biens alimentaires et ses conséquences ; de l'autre l'action locale d'une municipalité pour éduquer une poignée d'enfants à la santé et au plaisir alimentaire. D'un côté de sombres perspectives énoncées lors de grandes rencontres internationales (un colloque à l'Unesco). De l'autre, une petite action locale. Or, argumente le film, la partie n'est pas aussi inégale qu'il paraît. Il n'y a aucune raison pour que la cantine scolaire de Barjac reste un cas isolé. En basculant vers le bio, les cantines scolaires peuvent aider l'agriculture bio à sortir de son ghetto et lui ouvrir un marché. Car c'est la diffusion non mondialisée, inhérente à sa nature, et non subventionnée qui rend les produits bio plus coûteux que ceux de l'agriculture industrielle. Or ce handicap du coût, des milliers d'actions publiques locales peuvent contribuer à le lever. L'un des orateurs du forum Unesco propose ainsi que les sommes versées par l'Union européenne à l'agriculture française (9,5 milliards d'euros au titre de la PAC) soient transformées en subventions pour les cantines municipales afin que celles-ci aient les moyens de s'approvisionner en produits biologiques.
D'ores et déjà, la commune de Barjac ne s'est pas contentée de se laisser filmer. Elle a nourri l'équipe de tournage (six personnes sur quarante jours) à sa cantine.

 

François Poulle, pour la rubrique Expériences des sites Mairie-conseils et Localtis

Mairie de Barjac

mairie.barjac@wanadoo.fr

Edouard Chaulet

Maire et conseiller général du Gard

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