Prestations sociales et indus : le CNLE demande la définition d'un "minimum de ressources insaisissables"

"Sanctions : le point de vue du vécu" est le nom d’un avis du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui invite à considérer les effets des politiques de sanction et de récupération d’indus auprès des bénéficiaires de minima sociaux et d’allocations chômage. A l’approche de la mise en œuvre du nouveau régime de sanctions prévu par la loi Plein emploi, le CNLE plaide pour la définition d’un "minimum insaisissable" garanti aux plus vulnérables. Dans une réponse annexée à l’avis, le directeur général de la Cnaf indique que le système de solidarité à la source devrait entraîner "une diminution très sensible du nombre d’erreurs" et donc des indus et des contrôles. 

Dans un avis publié le 3 avril 2024, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) se penche sur les sanctions relatives à l’attribution des minima sociaux et des allocations d’assurance chômage et sur la façon dont les bénéficiaires perçoivent ces sanctions. La sanction est ici considérée au sens large comme ce qui est "vécu comme tel par les personnes concernées". Cela comprend la récupération d’indus présentée, du fait des "incertitudes et difficultés financières" qu’elle entraîne pour les bénéficiaires, comme "une ‘sanction de fait’ au même titre que les sanctions réglementaires associées aux fraudes manifestes". 

Il est rappelé dans le rapport qu’un nouveau régime de sanctions entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2025 ; il sera commun aux demandeurs d’emploi classiquement inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi, aux allocataires du revenu de solidarité active (RSA), aux jeunes de 18 à 25 ans accompagnés par une mission locale et aux personnes handicapées suivies par Cap emploi, relevant désormais tous du "contrat d’engagement" prévu par la loi Plein emploi. Les "personnes concernées" par la pauvreté siégeant au CNLE s’inquiètent des effets à venir de la nouvelle sanction de "suspension-remobilisation" et de la conditionnalité de l’attribution du revenu de solidarité active (RSA) à 15 heures d’activités hebdomadaires, deux mesures "faisant craindre une instabilité accrue des revenus". 

Suspension de la totalité des prestations sociales : une pratique plus fréquente

Dans le système actuel, le CNLE observe un recours "de plus en plus généralisé sur l’ensemble du territoire" de la sanction consistant à "suspendre la totalité des versements des prestations sociales". Le Conseil placé auprès du Premier ministre appelle à la définition d’un "minimum de ressources insaisissables" ne pouvant être retiré aux familles, "quels que soient les indus à récupérer et les sanctions réglementaires éventuelles". Le CNLE rappelle qu’un tel dispositif existe déjà pour protéger les salariés et les consommateurs endettés, mais qu’il n’y a actuellement "pas de limite légale aux retenues découlant de sanctions, d’une part, et aux récupérations d’indus ou de suspensions préventives". 

Dans le même esprit, le CNLE demande un retour en arrière concernant le mécanisme de "fongibilité inter-branches" en vigueur depuis 2019, permettant aux différentes branches de la sécurité sociale de récupérer des indus sur l’ensemble des prestations versées à la personne (par exemple : un indu de RSA récupéré sur une allocation logement). 

D’autres recommandations sont formulées : mettre fin à des pratiques jugées "anormales, voire maltraitantes" telles que la récupération d’indus sans avertissement ou l’absence de propositions d’échéancier, publier régulièrement les chiffres des contrôles réalisés et des indus notifiés, garantir un accompagnement socio-professionnel de qualité et des voies de recours pour les bénéficiaires en cas d’insuffisances concernant cet accompagnement, prévoir un bilan de santé des allocataires du RSA dès le début de l’accompagnement, "mener un suivi efficace du non-recours et de ses causes".

"Une forte complexité" qui devrait être "considérablement amoindrie" par la solidarité à la source 

Dans une lettre de réaction annexée à cet avis, Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), rappelle que les indus découlent majoritairement du choix du législateur "de s’ajuster au maximum à l’évolution des situations de vie", ce qui "engendre une forte complexité et réactivité de notre système de prestations". Les personnes concernées par des changements fréquents sont les plus touchées par ces indus, Nicolas Grivel indiquant notamment que "plus de sept déclarations de ressources sur dix au titre de la prime d’activité comportent des erreurs".  

"Une grande partie de la complexité déclarative et des erreurs qu’elle génère devrait être considérablement amoindrie par le chantier de la solidarité à la source", poursuit-il. Le pré-remplissage des déclarations trimestrielles des ressources à partir de 2025 devrait entraîner "une diminution très sensible du nombre d’erreurs, de contrôles sur pièce, d’indus, et donc une plus grande sérénité dans les rapports avec la CAF propice à un meilleur accès aux droits", assure le directeur général de la Cnaf. 

Ce dernier rend par ailleurs hommage aux 35.000 agents des CAF et rappelle qu’"un renfort de près de 600 emplois" est prévu sur la période 2023-2027, s’opposant à ce qu’il perçoit comme un procès en "déshumanisation" fait au réseau. Nicolas Grivel pointe enfin la nécessité d’"outils performants pour traiter les près de 700.000 documents" reçus chaque jour. Les situations problématiques citées dans le rapport doivent être mises en perspective par rapport à "la très forte volumétrie" des dossiers traités, selon le directeur général de la Cnaf qui rappelle que des voies de recours et de médiation existent déjà (voir notre article).