Prévention des feux de forêt : le Sénat adopte sa proposition de loi

Gagner la "guerre contre le feu" suppose d’engager des réponses transversales, articulant prévention et lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. C’est le sens d’une proposition de loi votée à l’unanimité par le Sénat, en première lecture, ce 4 avril, qui ambitionne notamment de mieux réguler les interfaces forêt-zones urbaines, et mobilise plusieurs leviers pour mieux appliquer les obligations de débroussaillement. 

Le Sénat a adopté à l’unanimité, ce 4 avril, la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, portée par Jean Bacci (LR), Anne-Catherine Loisier (centriste), Pascal Martin (centriste) et Olivier Rietmann (LR), traduction législative de leurs propositions regroupées dans un rapport d’information, publié en août dernier, et dont le déclencheur avait été l’incendie ravageur de Gonfaron dans le Var l’année précédente. Après les feux de forêt gigantesques en Gironde qui ont marqué l'été 2022, le président de la République avait également annoncé, fin octobre, une "stratégie nouvelle" de lutte et de prévention contre les incendies, prévoyant notamment un renforcement des moyens des départements et de la protection civile. La procédure accélérée étant engagée, ce texte consensuel soutenu par le gouvernement a toutes ses chances d’être publié avant l’été, alors que la sécheresse de cet hiver fait dès à présent craindre de nouveaux feux de forêt d’ampleur. 

La ministre des Collectivités territoriales, Dominique Faure, y voit "un signal fort envoyé aux propriétaires forestiers, aux riverains des forêts, aux associations de protection de l'environnement, aux élus locaux et à tous ceux qui agissent avec engagement au quotidien dans la prévention et la lutte contre les incendies de forêt". "Il s'agit de leur montrer que nous sommes capables, ensemble, d'avancer pour nous adapter au changement climatique", a-t-elle ajouté. "La bonne volonté ne suffit pas", a de son côté averti la sénatrice PS de Gironde Laurence Harribey, soulignant que "l'État devra prendre ses responsabilités" en termes de moyens humains et financiers.

L'un des rapporteurs, Jean Bacci, a insisté sur "l’accueil très positif" réservé à ce texte par "les fédérations d'élus locaux, les administrations des trois ministères concernés, les forces de sécurité civile, les propriétaires et gestionnaires forestiers, les agriculteurs et le monde associatif". C’est donc sans surprise que, en commission, puis en séance, la chambre haute en a validé les grandes lignes, tout en y apportant des compléments notamment pour tirer les leçons des feux hors normes de l’été 2022. De nombreux amendements "de toutes les travées" ont ainsi été adoptés par la commission spéciale (73 au total, dont 46 des rapporteurs) et près d’une quarantaine en séance pour enrichir ce texte dense, qui comporte désormais 51 articles (contre 38 initialement) déclinés en huit axes d’actions. 

Une stratégie nationale de défense contre les incendies

Élaborer une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, tel est l’objet du titre Ier (articles 1er à 7 ter). Elle sera le fruit d'une collaboration entre de nombreux acteurs (représentants de la protection civile, collectivités territoriales, associations de protection de l’environnement etc.), auxquels la commission a prévu d’ajouter l'Office national des forêts (ONF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF). Y seront également associées les associations syndicales autorisées (Asa) de DFCI et les chambres d’agriculture, suite à une série d’amendements d’identiques en séance.

À l’article 2, les élus du groupe RDPI ont proposé un "cadrage" par décret pour définir les modalités de classement des territoires exposés aux risques d’incendies. À l'article 3, la commission a en outre imposé un plan de protection des forêts contre les incendies (PPFCI) dans les zones classées à risque d'incendie, alors qu'il n'était que recommandé dans la version initiale du texte. Les élus des collectivités concernées seront consultées lors de son évaluation à mi-parcours.

À l'article 5 qui vise à intégrer systématiquement le risque incendie dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR), le texte mentionne explicitement leur prise en compte dans l’élaboration des PLU (amendement du groupe SER en commission). Deux articles additionnels ont par ailleurs été introduits en commission pour intégrer la stratégie nationale et interministérielle incendies dans la politique de gestion de l'eau (7 bis) et de protection de la biodiversité (7 ter). 

Des obligations légales de débroussaillement renforcées

Parmi les mesures phares du titre II (articles 8 à 14 bis), dont l’objectif est de mieux réguler les interfaces forêt-zones urbaines pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité des personnes et des biens, figure le renforcement des obligations légales de débroussaillement (OLD). Plusieurs améliorations y ont été apportées en commission, pour renforcer le caractère dissuasif des sanctions. Un article additionnel 9 bis (introduit par trois amendements du groupe SER) accroît les sanctions administratives et pénales en cas de non-respect des OLD. Dans le même esprit, l’article 11 - rendant la franchise obligatoire dans les contrats d’assurance en cas de non-respect des OLD - a été modifié pour durcir la lutte contre les fausses attestations d’OLD (rapporteurs). Sur le plan incitatif, le plafond du crédit d’impôt au titre des dépenses de travaux de débroussaillement (art. 10) a aussi été relevé à 2.000 euros.

Le Sénat a également adopté en séance, à l'initiative des rapporteurs, de nouvelles propositions techniques tendant à améliorer la mise en œuvre des OLD, notamment créant autour des campings une zone d'OLD de 50 mètres, voire de 100 mètres sur décision du maire ( nouvel art. 8 quinquies), en intégrant des OLD aux informations des acquéreurs et des locataires-IAL (nouvel art. 9 bis A), ou encore en facilitant la mise en œuvre par le préfet d'une amende administrative en cas de non-respect de l’obligation. Il y a aussi été question de clarifier les règles en cas de superposition avec les OLD applicables aux infrastructures et responsabiliser les propriétaires pour les voies ouvertes à la circulation publique (nouvelle art. 8 bis), simplifier les travaux de débroussaillement des sites classés (nouvel art. 8 ter) et de faire peser l'évacuation des rémanents issus des coupes de bois sur le propriétaire (nouvel art. 8 quater). 

Les articles 13 et 14 qui intègrent la lutte contre l'incendie dans les politiques d’urbanisme n’ont été modifié qu’à la marge. En revanche, l’article 12 qui prévoit d’établir par arrêté la liste des communes devant faire l'objet d'un plan de prévention des risques d'incendies de forêt (PPRif) et la possibilité de recourir à une procédure de modification simplifiée des PPRif a fait l’objet d’une réécriture globale en séance (amendement du gouvernement sous-amendé par le rapporteur), en particulier pour limiter les contraintes d’évaluation environnementale. "Ces plans pourront être modifiés de façon simplifiée, en quatre à six mois, contre dix-huit mois actuellement", s’est félicitée Dominique Faure. 

La commission avait de son côté introduit un article 14 bis visant à consulter systématiquement les structures de défense des forêts contre l’incendie pour l'élaboration des PLU et des Scot dans les communes à risques d’incendie. 

Consacrer le rôle préventif des forestiers et des agriculteurs

Au titre III (articles 15 à 20 bis), afin d’accentuer l’effet "pare-feu" de la sylviculture, la commission spéciale fait monter en charge le "DEFI forêt" (art. 20) pour dynamiser la gestion et le regroupement des parcelles : 24.000 propriétés boisées (210.000 ha) dotées de codes des bonnes pratiques sylvicoles (CBPS) pourront bénéficier d’un crédit d’impôt de 25% sur leurs travaux. Un nouvel article 15 bis (introduit en séance par un amendement LR) intègre aussi les enjeux de DFCI dans les règlements types de gestion et codes des bonnes pratiques sylvicoles. 

Le titre IV (article 21 à 24), dont la proposition essentielle est d’instaurer un droit de préemption "DFCI" des parcelles forestières sans document de gestion durable (art. 22), a peu évolué. Outre des améliorations rédactionnelles, les rapporteurs ont supprimé en séance le renvoi "superfétatoire" à un décret en Conseil d’État précisant les modalités de recours à ce nouveau droit de préemption. Le titre V (articles 25 à 29) a été adopté sans modification en séance publique. L’article 25 relatif aux indemnités de défrichement avait toutefois fait l’objet d’une réécriture complète en commission pour répondre aux craintes exprimées "tant chez les forestiers, qui craignaient des défrichements abusifs, que chez les agriculteurs, qui considéraient que l'indemnité restait encore trop élevée pour être intéressante", explique le rapporteur Olivier Rietmann. 

Sensibiliser les populations au risque incendie

Au titre VI (articles 30 et 31), l’article 31 a été complété par la commission spéciale pour inclure explicitement le jet de mégot parmi les causes pouvant "provoquer involontairement l’incendie des bois et forêt" et valoriser le rôle de vigie des gardes-champêtres. Pour les cas les plus graves entraînant la mort d’une ou de plusieurs personnes, les sanctions pénales pourraient ainsi atteindre dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.

Un nouvel article 30 bis (amendement du gouvernement en séance) consacre dans la loi l’organisation de la journée nationale de la résilience, qui a lieu le 13 octobre, depuis cinq ans.  

Au titre VII (articles 32 à 34 bis), qui prévoit d’équiper la lutte incendie à la hauteur du risque, l'exonération bonus-malus écologique a été étendue en commission à tous les véhicules des acteurs de la DFCI (art.33), en sus des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Plusieurs mesures ont été adoptées pour renforcer les moyens des Sdis, en créant notamment un mécanisme de réduction de cotisations patronales pour les employeurs acceptant de libérer leurs employés sapeurs-pompiers volontaires pour la réalisation de leurs missions opérationnelles (art. 34). Pour tirer les leçons des feux qui ont embrasé la Gironde en 2022, la commission a également donné une assise juridique au recours aux "coupes tactiques" pour les nécessités de la lutte contre l’incendie, mises en œuvre, en juillet dernier, pour la première fois depuis 1949 (nouvel art. 34 bis). Le texte donne compétence au préfet pour réquisitionner les moyens nécessaires à la réalisation de ces coupes tactiques, sur proposition du commandant des opérations de secours (amendement RDPI en séance).  Un nouvel 34 bis A (introduit en séance par un amendement du gouvernement) reconnaît le caractère dangereux du métier et des missions exercés par les personnels navigants de la sécurité civile, sur le modèle de celle qui existe pour les sapeurs-pompiers depuis 2004. 

Enfin, au titre VIII (articles 35 à 37), la commission spéciale a également entendu améliorer le dispositif initial en cas de "sinistre de grande ampleur", en excluant toute possibilité de déroger aux conditions écologiques et DFCI posées aux aides publiques (art. 35).