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Décision publique - Principe de précaution : l'Opecst relève des "dérives" et plaide pour un meilleur encadrement

"Le législateur s'est arrêté en chemin. Si le principe de précaution répond à une demande, il n'en demeure pas moins que les bénéfices à attendre du progrès ne doivent pas être réfrénés. Le principe de précaution ne doit pas s'opposer au devoir d'innovation". Telle est la conclusion de la synthèse d'une audition publique organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur le principe de précaution quatre ans après sa constitutionnalisation. Le document qui vient d'être mis en ligne relève d'abord "l'influence décisive du juge sur la portée réelle du principe de précaution". "Les responsabilités en matière d'application du principe de précaution ont été clarifiées", constate-t-il. Ainsi, "les juges ont estimé qu'il revenait à l'Etat, qui dispose des pouvoirs de police spéciale, et non aux maires qui ont des pouvoirs de police générale, de prendre des mesures invoquant le principe de précaution, que ce soit pour interdire l'utilisation d'un insecticide, la plantation d'organismes génétiquement modifiés ou encore l'installation d'antennes-relais".

Alors que le législateur a souhaité limiter le champ d'application du principe de précaution à l'environnement, le juge ne l'a que peu utilisé dans ce domaine. Par contre, il s'en est surtout saisi dans les secteurs de l'urbanisme et de la santé, souligne le document de l'Opecst qui fait état de deux dérives. Tout d'abord, "la confusion entre la prévention et la précaution à travers l'utilisation du principe de précaution pour des risques avérés dont on ignore le territoire d'application (risques sismiques, éboulements)". Une autre dérive résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 février 2009. Celle-ci avait estimé que l'implantation d'une antenne-relais était "source d'un trouble anormal de voisinage" non pas en raison du "risque sanitaire éventuel" mais en raison de "la crainte légitime que constituait l'impossibilité de garantir au voisinage l'absence de risque sanitaire généré par l'antenne-relais".

 

Confusion entre risque potentiel et risque avéré

"Si l'on suivait la logique de la cour, cette jurisprudence pourrait s'appliquer à toutes les installations industrielles, aux équipements tels que les éoliennes, voire aux camions et aux voitures dont la présence dans notre voisinage suscite également une angoisse légitime !", ironise le document de l'Opecst qui cite aussi comme exemple de "dérive" le moratoire imposé par la culture des OGM. Ainsi, "l'Etat ne se contente plus de gérer un risque, il doit gérer un rapport social (…) : ce n'est pas parce que les scientifiques ont démontré que telle implantation ou telle plante n'est pas dangereuse que l'Etat ne doit pas intervenir". En clair, le principe de précaution devient "un outil de gestion de l'opinion publique" et cette interprétation aboutit à la "disqualification de l'expertise scientifique" et au "renversement de la charge de la preuve", regrette le rapport. Il estime aussi qu'"au lieu de rassurer les populations, l'application du principe de précaution peut donner le primat à l'émotion et à l'irrationalité" et amener à confondre "risque potentiel et risque avéré".

Pour mieux organiser la mise en œuvre du principe de précaution, plusieurs pistes ont été avancées lors de l'audition menée par l'Opecst. Tout d'abord l'adoption de mesures proportionnées et provisoires doit s'appuyer à la fois sur "une analyse comparée des dangers avérés et des bienfaits découlant d'une technologie nouvelle susceptible de remplacer celles en usage" et sur "un bilan des coûts et des bénéfices attendus des mesures envisagées". Plus généralement, il a été rappelé que l'évocation du principe de précaution devait "s'accompagner systématiquement du lancement d'un programme de recherche visant à faire avancer l'état des connaissances".

D'autres propositions visent plutôt à compléter le cadre mis en place par l'article 5 de la Charte de l'environnement, en suggérant par exemple un encadrement plus strict des recherches et des expertises. Certains intervenants ont mis l'accent sur la nécessité d'un "partage des connaissances entre les scientifiques, les décideurs politiques et les citoyens" et sur l'"effort de pédagogie" à entreprendre pour dissiper les confusions entre dangers et risques et aussi rendre intelligible une notion comme la marge d'incertitude des études scientifiques. Enfin, certains ont plaidé pour l'amélioration des outils de la décision politique en appelant la puissance publique à désigner un responsable unique de la gestion politique du principe de précaution depuis la mise en place de l'instruction jusqu'à la prise de décision.

 

Anne Lenormand