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Modernisation de l'action publique - Rapport Akim Oural : l'innovation territoriale, nouvel accélérateur du développement local

L'innovation territoriale, qui repose sur l'énergie créative des acteurs locaux, est souvent présentée comme une voie nouvelle propre à accélérer la modernisation de l'action publique. Mais elle ne constitue évidemment pas une recette infaillible qui produirait toujours les résultats attendus. Dans le rapport qu'il remis il y a quelques jours à Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, Akim Oural, adjoint au maire de Lille, s'appuie sur les meilleures pratiques des collectivités locales pour identifier les facteurs de succès et formuler des recommandations.

Le Seinergy Lab, pôle d'innovation collaborative des Mureaux, axé sur la ville durable (Yvelines), Paca Lights, un appel à projets centré sur l'innovation à l'adresse de tous les citoyens, le garage solidaire du Hainaut qui répare les véhicules des personnes en difficulté, le projet "Territoires zéro chômeurs de longue durée" porté par l'association ATD quart monde ou le programme d'autosuffisance énergétique initié par la communauté de communes du Méné… malgré la diversité de ces projets, plusieurs points communs sont identifiables : ils sont, pour la plupart, portés ou financés par des collectivités territoriales et reposent, dans leur mise en œuvre, sur une mobilisation collective des acteurs professionnels ou des usagers.
L'apparition de ce type de nouvelles dynamiques territoriales et leur accélération au cours des dernières années est à l'origine d'un rapport commandé par la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, afin de donner plus de visibilité aux "mécanismes de la réussite". Quels enseignements peut-on tirer des expériences d'"innovation ouverte" les plus avancées dans les territoires et comment mettre en œuvre une politique ambitieuse dans ce domaine? C'est à cette tâche que s'est attelée la mission présidée par Akim Oural, adjoint au maire de Lille - et membre, entre autres, du Conseil national du numérique -, avec l'appui du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP). Plus d'une centaine de personnalités et experts auditionnés ont alimenté un rapport foisonnant en initiatives et bonnes pratiques intitulé "L'innovation au pouvoir ! Pour une action publique réinventée au service des territoires".

Développement, bien-être et exploitation des ressources locales

Le rapport fait apparaître l'innovation territoriale comme un nouveau levier de l'action publique locale, comme un outil puissant - lorsqu'il est bien utilisé - au service du "développement" et du "bien-être" dont la particularité serait de se fonder sur une exploitation intensive des ressources et des richesses du territoire. Il s'agit d'optimiser les moyens et de trouver de nouvelles formes de partage et de performance. Ainsi, par exemple, certaines collectivités ne se contentent plus de distribuer des aides pour le maintien à domicile des personnes âgées. Elles réunissent les acteurs pertinents de la filière - collectivités, acteurs de la santé, associations, groupe La Poste, entreprises solidaires et sociales – afin de favoriser la coordination de leur action et délivrer en retour des services plus performants. Dans le même esprit de collaboration, d'échanges et de réallocation de ressources, les territoires inventent de nouvelles solutions sous la forme de guichets communs, de services itinérants ou de modes de partage inédits.

L'intelligence et la puissance du collectif

Ces démarches résultent rarement d'une génération spontanée mais plutôt des contraintes économiques et institutionnelles croissantes imposées aux territoires. L'Etat étant de plus en plus absent dans le rééquilibrage des politiques publiques locales, l'innovation territoriale devient peu à peu "un mécanisme de rebond" permettant d'agir sur les inégalités entre territoires tout en s'efforcent de trouver localement de nouveaux ressorts de croissance. La mobilisation de l'intelligence collective et l'implication directe des acteurs deviennent même l'un des moteurs du développement local, notamment en donnant lieu à la création de services qui ne pourraient exister autrement. Ce sont par exemple ces réseaux de "voisins" venant en aide aux personnes marginalisées dans certains quartiers défavorisés ou, encore, ces formes d'échanges fondées sur la mutualisation d’objets ou de services entre particuliers ou entre particuliers et acteurs publics locaux. Ces actions mettent en valeur la puissance du collectif dans la création de nouvelles ressources et font du territoire "un terrain d’expérimentation pour tester de nouveaux modes de management au sein des organisations publiques et de nouvelles formes de coopération avec le monde de la recherche, des entreprises et des citoyens". Le phénomène n'est pas isolé - il révèle même un processus qui se construit un peu partout en France.

Quelques facteurs clé pour innover

Mieux exploiter les ressources locales tout en valorisant le potentiel d'innovation et de créativité des acteurs locaux ne s'improvise pas. Le rapport identifie des facteurs clés de succès qui, tout en confirmant la complexité des processus d'innovation, apportent aux acteurs publics une visibilité sur les choix à opérer.
La connaissance des ressources et des besoins du territoire constitue le point de départ de toute démarche d'innovation territoriale. Au delà de l'arsenal des dispositifs classiques - du diagnostic à la territorialisation de l'administration - il semble intéressant d'intégrer d'autres dimensions sociétales ou environnementales peu ou mal prises en compte aujourd'hui. Ainsi, la mise en place d'indicateurs de bien-être par certains territoires (commune de Loos-en-Gohelle) a par exemple révélé des besoins latents qui jusque-là n'étaient pas pris en compte.
Au-delà de cette connaissance, l'innovation territoriale permet de renouveler les formes de participation citoyenne, notamment la plupart des dispositifs de concertation institutionnels qui ont largement montré leurs limites. Ainsi, peu à peu, la concertation traditionnelle est remplacée par des formes de contribution plus directes incluant par exemple la participation des usagers au prototypage et à l'expérimentation des services avant leur déploiement. On songe aussi à la présence plus affirmée des collectivités sur les réseaux sociaux afin d'interagir en temps réel avec les citoyens, ou encore le lancement d'appels à projets mettant les habitants à contribution (Paca Lights, déjà cité).
L'expérimentation est une étape qui permet de valider le projet tout en apportant des améliorations au produit. Dans certains cas, l'évolution de certaines normes peut être requise. Toutefois, les rapporteurs ne manquent pas de rappeler qu'il est souvent possible d'innover sans attendre un changement des règles. La région Midi-Pyrénées a, par exemple, mis en place un dispositif de marchés publics privilégiant l'accès des PME locales, autrement dit, un mini "patriot act" sans déroger aux règles européennes sur la concurrence. Dans le même esprit, les conditions permettant aux collectivités de déroger temporairement à la législation nationale dans le cadre d'une expérimentation (1) pourraient être assouplies, ce qui permettrait d'élargir encore le champ des possibles.

Animation et ingénierie de l'innovation : accroître la capacité à déployer

Mais l'élément "disruptif" reste la capacité des administrations publiques locales à mettre en œuvre ces processus d'innovation. Il repose sur la combinaison de plusieurs dispositions : la diversification du recrutement et la possibilité de le faire sur des durées courtes ; des modes de management reconnaissant l'expérimentation, le droit à l'erreur, la valorisation de la prise de risque et les initiatives individuelles. Dans le Val-d'Oise, le conseil départemental diffuse cette nouvelle culture grâce à la création en interne d'une école de management, d'une pépinière des jeunes cadres valorisant la prise d'initiative et d'un fonctionnement en mode projet pour le prototypage rapide des solutions.
D'une manière plus générale, la constitution de petites équipes testant les méthodes et les compétences issues du design, de la conception créative, des sciences sociales et des pratiques amateurs (do it yourself, éducation populaire) constituent une base d'expérimentation et un point de départ qu'expérimentent notamment quatre territoires (Paca, Champagne-Ardennes, Pays de la Loire et conseil départemental du Val-d'Oise), avec le concours de la 27e Région - le laboratoire de transformation publique de l'Association des régions de France - dans la perspective de créer leur propre laboratoire.
Ces démarches mettent notamment en avant un nouveau métier : le catalyseur d'innovation, qui aurait le profil d'un médiateur ou d'un "coach créatif" participant directement à l'émergence des projets au sein de l'institution. Si elle est généralement relayé par quantité de structures, "l'innovation territoriale nécessite une ingénierie spécifique", rappelle le rapport, étant donné le caractère très transversal d'une démarche qui s'accommode assez mal du fonctionnement en silo des administrations publiques.
Pour terminer, le rapport traite du financement des démarches d'innovation territoriale, d'évaluation et de diffusion "massive" des meilleures initiatives. Il formule 18 propositions pour  amplifier le mouvement (voir encadré ci-dessous). L'innovation territoriale se construit pas à pas, autour de valeurs partagées telles que la proximité, la collaboration, la confiance, le sens du collectif… ce qui implique aussi de la part de la puissance publique qu'elle prenne désormais toute sa place pour encourager cette transformation. Car ce qui est en jeu, conclut Akim Oural, c'est "la possibilité de renouveler le pacte social en donnant du sens à l'intérêt général, remis à la portée des citoyens".

Philippe Parmantier / EVS

Les principales propositions du rapport
Les propositions sont réparties autour de trois axes. Le premier, financier et structurel, s'intitule "donner le pouvoir (et des moyens) aux innovateurs" ; le second, "décloisonner, rapprocher, organiser les acteurs" est plus méthodologique ; le troisième, "tous innovateurs !", traite des questions d'accompagnement, de promotion et diffusion des bonnes pratiques.
Le principe consisterait à créer une dynamique nationale en constituant un réseau "d'accélérateurs publics" s'appuyant sur un label et cofinancé dans le cadre de l'acte III du programme d'investissements d'avenir (PIA3), un programme national pluriannuel de résidences créatives permettant de diffuser et d'expérimenter des dispositifs d'action publique et un fonds de garantie permettant aux porteurs de projets d'innovation territoriale de lever des liquidités auprès des banques.
Sur le volet organisation il propose de nombreuses mesures de structuration (au sein des collectivités locales, entre acteurs publics et chercheurs, entre collectivités, acteurs privés ou associatifs pertinents), la mise en place d'un "contrat de réciprocité" entre villes et campagnes comme proposé lors du comité interministériel du 13 mars dernier sur les ruralités et l'intégration de l'innovation territoriale comme priorité des contrats de plan Etat-région. Sur le dernier volet il propose l'organisation d'un réseau social national dédié à l'innovation, des manifestations, des outils de référence et des guides ainsi que le prix du "meilleur essai" pour récompenser les tentatives les plus pertinentes.

Ph.P


(1) La révision constitutionnelle de 2003 a ouvert un droit à l'expérimentation des collectivités territoriales, mais celui-ci reste en réalité très limité

 

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