Le Sénat formule 14 propositions pour améliorer l'ANCT

Le pari de "l'État facilitateur de projets" avec la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) n'est pas atteint, selon un rapport sénatorial qui relaie les critiques des élus. Alors que l'agence pâtit encore d'une trop grande méconnaissance de ces derniers, le rapport formule 14 recommandations pour la remettre en selle.

Voilà un rapport qui pourrait être utile à la nouvelle équipe dirigeante de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) entrée en fonction fin 2022. En une centaine de pages, le Sénat revient par le menu sur les trois ans d’existence de cette institution, qui se devait être l’incarnation de l’"État facilitateur de projets" au plus près des besoins des élus, comme l’avait clamé Emmanuel Macron lors du congrès des maires de 2017. Et le constat n’est pas à la hauteur des espérances. Pour les sénateurs Charles Guené (LR) et Céline Brulin (PCF) qui ont réalisé ce travail pour le compte de la délégation aux collectivités, l’ANCT a encore du chemin à parcourir pour s’imposer auprès des élus. Elle pâtit en effet d’un "déficit de notoriété". Seuls 52% d’entre eux – d’après une consultation – la connaissent. Et les trois quarts des maires n’ont jamais fait appel à ses services. "Globalement, même lorsque l’existence de l’ANCT est connue, les élus locaux peinent à comprendre son organisation et s’approprier ses dispositifs et son offre", regrettent les rapporteurs, alors que paradoxalement ce sont les élus des plus "grandes structures" qui en comprennent le mieux les rouages. Ils en ont pourtant moins besoin. Même pour ceux qui la connaissent, "son rôle et ses dispositifs restent flous et difficilement accessibles".

"Déficit d'incarnation" dans certains départements

Ces difficultés ne relèvent donc pas du péché de jeunesse de l’agence mais de son fonctionnement intrinsèque, tant au niveau national que local. Sachant que l’agence repose sur un double niveau d’intervention : une équipe nationale et un délégué territorial incarné par le préfet de département. Les rapporteurs pointent une action à "géométrie variable". Il existe un réel "déficit d’incarnation" de l’ANCT par certains préfets. Certains d’entre eux "se sont contentés de présenter l’agence au moment de sa création, comme un exercice imposé, sans plus investir le sujet". Une vision partagée par la plupart des associations d’élus interrogées (Association des petites villes de France, Départements de France, Régions de France…).

Heureusement, les bénéficiaires, eux, témoignent généralement de leur satisfaction. C’est notamment le cas pour les grands programmes nationaux pilotés par l’ANCT : Action cœur de ville (ACV), Petites Villes de demain (PVD), Territoires d’industrie… Les élus aspirent d’ailleurs à plus de moyens. "Pour les villes ACV et PVD, c'est une demande de 'plus de programme' qui s'exprime : plus de financements, plus de souplesse, plus de lisibilité..." Un avertissement est cependant relevé sur les effets d’éviction. L’APVF relaie ainsi "le sentiment d'être laissées pour compte" de nombreuses petites communes n'exerçant pas de fonction de centralité, et qui ne se retrouvent dans aucun dispositif de soutien. France urbaine regrette pour sa part que "métropoles et grandes agglomérations [soient] absentes du dispositif Territoires d’industrie". Et les maires ruraux aspirent à un programme Villages d’avenir inspiré de PVD. Les élus ont aussi le sentiment que, depuis que la politique de la ville est passée dans le giron de l’ANCT, elle a tendance à passer à "l'arrière-plan".

Risque "d'industrialisation" de l'ingénierie des cabinets privés

Les sénateurs questionnent aussi l’action en ingénierie de l’ANCT. Les responsables de cette dernière n’ont eu de cesse d’assurer qu’elle n’intervenait dans ce domaine qu’en "complémentarité" avec l’offre existante. De la subsidiarité donc, afin de ne pas entrer en concurrence avec les services existants (agences d'urbanisme, agences départementales...). Le rapport soulève deux problèmes. Celui de l’offre d’ingénierie gratuite assurée dans les communes de moins de 3.500 habitants, là où l’offre locale est inexistante. Ce qui crée, d’un département à l’autre, des situations d’inégalité et suscite l’incompréhension des élus. Par ailleurs, les rapporteurs s’interrogent sur le recours accru aux cabinets de consultants dans le cadre des marchés d’ingénierie de l'agence. Ces cabinets privés ont assuré 65% des dossiers d'accompagnement "sur-mesure" en 2022 quand la part des opérateurs partenaires de l’agence est tombée à 21%. Les prestations de ces consultants présentent un risque "d’industrialisation", "d’homogénéisation" des réponses, de "copier-coller" sans ancrage avec les réalités locales. Ce qui s’est manifesté notamment dans la préparation des projets des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). La qualité peut s’en ressentir. "Le prestataire a un peu bâclé le travail, il n’était pas les pieds dans le terrain", déplore un maire, cité dans le rapport.

Ces difficultés sont aussi le signal "d’écosystèmes locaux qui ne sont pas encore totalement constitués", analyse le rapport. Et ce au moment où le besoin d’ingénierie n’a jamais été aussi grand, vu la complexification de l’action publique. 26 départements sont considérés comme étant en pénurie d’ingénierie.

Approche encore trop "descendante"

Autre grief formulé par les élus – et donc par les rapporteurs –, l’approche trop "descendante" de l’ANCT, à rebours du fameux "cousu-main" de Jacqueline Gourault, devenu depuis un gimmick gouvernemental. L’instauration de l’ANCT et l’institution des CRTE n’ont pas permis de contenir le recours aux appels à projets.

Si ces critiques paraissent sévères, elles se veulent constructives. D’ailleurs, le nouveau directeur de l’agence, Stanislas Bourron, pourrait en prendre quelques-unes à son compte. N’expliquait-il pas lui-même, lors de ses deux auditions au Parlement, qu’il fallait une "simplification" et une "meilleure identification" de l’agence dans les territoires, sous peine d'aboutir à un "grand machin" ?

Pour les sénateurs, l’ANCT ne pourra réussir qu’au niveau local. Ils formulent pour cela 14 recommandations. Ils proposent d’organiser des temps d’échanges entre élus, en région et hors préfecture, pour aboutir à une "feuille de route stratégique 2023-2026 de l’ANCT". Ils demandent d’engager un dialogue entre les conseils régionaux et les préfectures de région "pour intégrer le niveau régional dans le fonctionnement de l’agence d’ici à mi-2023". Ils prônent une "communication plus simple, plus sobre et déconcentrée", qui pourrait s’appuyer sur un guide pratique. Par ailleurs "l’ingénierie doit devenir une grande cause nationale" plaident-ils. Ils reprennent à leur compte l’idée de l’ANPP d’instaurer un "1% ingénierie", c’est-à-dire de consacrer 1% des investissements des collectivités au financement de l’ingénierie territoriale. Cet argent servirait à alimenter un fonds mutualisé. Ce qui s’accompagnerait de l’achèvement du recensement de toute l’offre d’ingénierie départementale. Les sénateurs entendent aussi "remobiliser" les préfets sur le rôle de délégué territorial et de les doter "de moyens humains et financiers en matière d’ingénierie" afin d’assurer à l’agence une "ingénierie propre mobilisable sur le terrain".