Reconversion des friches industrielles en Maurienne : quand le paysage s'en mêle

Un programme de reconquête des friches industrielles a été lancé en 2002 en vallée de la Maurienne. Préalable à la réhabilitation de ces zones vouées à muter : le traitement paysager. L'étude globale, qui met en avant deux sites sur les sept étudiés, définit des premières orientations ambitieuses.

La vallée de la Maurienne porte encore les stigmates d'un passé industriel important. La construction de l'autoroute de Maurienne a permis la démolition de friches industrielles de grande ampleur et un renouveau du paysage. Mais certains sites particulièrement dégradés subsistent. Soucieux d'utiliser au mieux les possibilités financières offertes par l'éligibilité de la Maurienne aux fonds européens et aux aides régionales au titre des pôles de conversion, le département de la Savoie a engagé une réflexion sur l'avenir des dernières friches industrielles. L'objectif est double : dynamiser l'activité économique de ce territoire et reconquérir des réserves foncières dans un contexte de rareté de l'espace et de recherche d'une réelle qualité environnementale. Conduite par l'agence économique de la Savoie avec le concours financier de l'Etat et de l'Union européenne (Objectif 2), une étude a été réalisée en 2002 par le cabinet Groupe 6 - Urbanisme (1) assisté par le cabinet Gaudriot (agence de Lyon) pour son expertise en développement économique et stratégies territoriales. Pour Marc Tournabien, maire de Saint-Julien-Montdenis et président du syndicat mixte du pays de Maurienne, "l'aspect paysager des sites est le point faible dont pâtit notre image". Au-delà de l'embellissement des zones, "le traitement paysager des friches consiste à rayer des mentalités la morphologie non-qualitative actuelle", confirme Pierre-Olivier Peccoz, urbaniste qui a piloté l'ensemble de l'étude.

Priorité aux espaces sensibles...

Mais comment les paysagistes urbanistes s'y prennent-ils pour réaliser cette métamorphose ? "Au stade de l'étude globale ne sont évoqués que de grands principes d'aménagement, prévient tout d'abord l'urbaniste. A ce niveau, nous ne représentons sur les plans que les espaces jugés sensibles, c'est-à-dire les espaces situés par exemple en façade d'une voirie ou limitrophes d'une zone habitée..." Ce n'est qu'une fois les visites de terrain effectuées que les urbanistes et paysagistes sont en mesure de quantifier ces espaces sensibles. Ils déterminent de surcroît pour ces espaces un "ratio en m2 intégrant le traitement pelousé et les plantations d'essences communes âgées de cinq ans". L'étude fait ressortir deux friches (sur les sept étudiées) où le traitement paysager apparaît déterminant : l'autoport du Freney et la zone d'activité de La Chapelle. Environ cent camions chaque nuit stationnent sur le site de l'autoport. Aujourd'hui, Le Freney aimerait récupérer l'ensemble du site pour y construire un "Futuroscope de la montagne" en conservant in situ l'enseigne pétrolière Shell. "La largesse du foncier disponible laisse toute latitude aux aménageurs pour aboutir, pourquoi pas, à un parc d'activités que l'on souhaiterait proche de Savoie Technolac (toute proportion d'échelle gardée)", confirme l'équipe de Groupe 6.

"Créer un paysage à partir de rien"

Le POS de la commune a été modifié en vue de rendre cette zone à vocation culturelle et scientifique. Néanmoins, le stockage de poids lourds est une contrainte incontournable imposée dans le cadre de la concession de l'autoroute de la Maurienne et des dispositions réglementaires de sécurité. Dans un tel contexte, le traitement paysager ne sera pas une mince affaire. Le scénario préférentiel de Groupe 6 est de s'orienter vers un traitement hautement qualitatif de la zone. Il inclut, à ce titre, une démarche HQE, la cible primordiale de la charte HQE étant, sur ce site, la création d'une "relation harmonieuse des bâtiments avec leur environnement immédiat". Les vues sur les alentours du site sont en effet courtes ; encaissé, l'autoport ne reçoit pas de soleil pendant un mois en hiver... Le traitement paysager sur l'autoport du Freney, quand bien même avantageusement situé en sortie d'autoroute et à la porte de l'Italie, ne sera pas du luxe pour séduire les investisseurs. "L'enjeu est ambitieux puisqu'il consiste à créer un paysage à partir de rien", conclut Pierre-Olivier Peccoz.

(1) Alan Hennessy, directeur d'étude (architecte-urbaniste, directeur de la cellule urbanisme de l'agence), Nathalie Poiret (architecte-paysagiste), Pierre-Olivier Peccoz (urbaniste chargé de l'étude) et Valérie Thierry (assistante d'étude, cartographe).

Séverine Cattaux / Innovapresse Grenoble pour Localtis

"Il ne suffira pas de détruire l'existant et de reconstruire du neuf"

François Chemin est maire de la commune de Fourneaux, où se situe la friche de Matussière et Forest.

La friche de Matussière et Forest, basée sur votre commune, est l'une des sept friches qui vont être réhabilitées. Qu'a permis l'étude de Groupe 6 et du cabinet Gaudriot ?

Oui, en effet, ce terrain d'un hectare était occupé jusqu'en 1993 par les papeteries de Matussière et Forest. La réhabilitation de cette friche était l'un des objectifs de mon mandat lorsque j'ai été élu en 2001. Le travail de Groupe 6 et de Gaudriot a permis, en amont, de nous donner des idées pour transformer le site et lui trouver une nouvelle vocation...

En quoi consiste la transformation du site ?

En la démolition des bâtiments et la reconstruction d'une zone commerciale. L'étude des experts de Groupe 6 et de Gaudriot a notamment orienté le choix de l'aménagement du site et de son esthétique. Nous allons accorder une attention toute particulière aussi à l'optimisation de l'espace. Notre projet est de construire des bâtiments qui soient cohérents au niveau de leur architecture (même pente des toits par exemple) et qui, dans l'imaginaire collectif, rappelleront l'ancien coeur de l'usine de Matussière et Forest qui va disparaître...

Qu'en est-il de la dimension paysagère du projet ?

Placée en entrée de ville, la friche est une sorte de verrue dans le paysage, et, qui plus est, économiquement inexploitable. Le volet paysager, abordé par Groupe 6 de façon globale, est approfondi actuellement par une architecte paysagère locale. Il ne suffira pas, en effet, de détruire l'existant et de reconstruire du neuf. Il ne faut pas que nos successeurs aient à se débarrasser d'une friche commerciale dans quelques années !

Après l'analyse, l'action ?

Après une période d'enquête sur le terrain, l'étude globale s'est attachée à proposer un diagnostic pour l'ensemble de la vallée, puis des scénarios par sites. L'heure est à la détermination des acteurs pour le montage opérationnel et financier.

Une véritable enquête de terrain

Afin d'élaborer son document final portant sur la vallée ainsi que son diagnostic permettant de dégager certains enjeux institutionnels, économiques, environnementaux, le cabinet Groupe 6 a organisé différentes journées de travail sur le terrain. Une première journée de prise de contact s'est d'abord tenue entre l'équipe et le maître d'ouvrage, dans les locaux de l'agence économique de Savoie, à Savoie-Technolac, pour prendre connaissance de l'ensemble des études réalisées sur la vallée de la Maurienne et des personnes à contacter pour avancer l'étude.
Dans un second temps, le cabinet a consacré deux journées complètes à la visite de l'ensemble des sept sites qui lui avaient été plus particulièrement confiés au sein de la vallée. Ensuite, une journée d'entretiens a été organisée avec les élus des communes concernées. Cette journée "d'écoute" a permis aux élus de donner aux urbanistes leur avis sur les friches, et leur vision prospective pour la vallée de la Maurienne. Elle a été suivie d'un rendez-vous à la Drire avec Jean-Philippe Bouton, chargé d'étude, sur la vallée de la Maurienne, au sein de la subdivision de Chambéry. L'objet de cette rencontre était de prendre connaissance des contraintes, de la pollution et des risques industriels potentiels sur les différents sites. Enfin, Marc Tournabien, maire de Saint-Julien-Montdenis et président du syndicat mixte du pays de Maurienne, a été contacté par le cabinet Groupe 6 : "Le syndicat porte les politiques transversales des communes et ce dossier des friches en particulier, car elles se trouvent toutes sur le territoire du pays de la Maurienne."

Une première action pour le site de la Pouille

Une première étape de diagnostic à l'échelle de la vallée a permis d'évaluer le contexte économique, le potentiel urbain et les contraintes (surtout en terme de pollution) de chaque site. Ensuite, une seconde phase a consisté à émettre des propositions à la fois urbanistiques, paysagères et programmatiques sur la base des potentiels évoqués dans le diagnostic. Deux à trois scénarios ont été conçus pour chaque site. La dernière phase de l'étude fut le choix d'un scénario préférentiel par site, afin d'affiner les propositions et d'établir un pré-chiffrage des aménagements éventuels et du phasage des aménagements. Après cette première démarche, la communauté de communes de Porte de Maurienne a souhaité aller plus loin avec le site de la Pouille, à Aiguebelle. Groupe 6 a été mandaté pour réaliser un plan de composition détaillé (1/1.000e) du site, avec l'aide et l'expérience de CM Aménagement, un BET réseaux et voirie. A la suite de cette étude, des réflexions sont aujourd'hui en cours pour un montage opérationnel de la requalification de la Pouille, sur la base du plan de composition établi à l'automne 2003... L'heure est à la détermination des acteurs pour le montage financier et le portage de l'opération.

Les limites du traitement paysager : illustration avec le site de La Chapelle

Le traitement paysager du site de La Chapelle illustre une réalité : le risque d'être un nouveau support à l'urbanisation des terres arables.

La zone d'activités de La Chapelle est un site placé en entrée de ville. Y étaient implantées des stations-service anciennement gérées par le groupe Total. La transformation de la friche en zone d'activités soulève d'importants enjeux en terme de paysage. "Si l'aménagement de ce site devait avoir lieu, sa position très sensible en front de RN [route nationale], sur une pente légère en fond de vallée (donc très visible d'un peu partout) dans un contexte agricole encore préservé nécessiterait l'intervention d'un paysagiste", commente Pierre-Olivier Peccoz. Le travail d'un paysagiste serait-il vraiment en mesure d'atténuer (à défaut de masquer) les enseignes susceptibles de s'y implanter, tout en assurant des transitions douces avec les espaces agricoles ? Le chargé d'étude se montre réservé : "Le paysage devient ici élément de cloisonnement, un support sur lequel l'urbanisation peut dessiner ses limites pour mieux s'intégrer dans une "image d'Epinal" rurale de la montagne, assez rare dans une vieille vallée industrielle comme la Maurienne. Si les terres arables venaient à être aménageables, plus rien ne stopperait une urbanisation linéaire, en tâche d'huile, avec toutes les répercussions négatives qu'on lui connaît."

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