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Universités - Réhabilitation des campus universitaires : les promesses de l'intracting

L'Université Toulouse-III Paul-Sabatier et la Caisse des Dépôts ont signé le 16 juillet une convention de 2 millions d'euros utilisant le dispositif financier "intracting", dont le principe est de réaliser des travaux d'économies d'énergie avec un retour sur investissements à très court terme permettant de reverser au fonds les économies réalisées. Une première en France pour ce montage venu d'Allemagne et dans lequel Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche depuis un mois, semble beaucoup croire. Un moyen aussi de ne pas faire appel aux subventions des collectivités.

"Toulouse illustre bien le défi immobilier qui attend l'université française. Il y a un nombre considérable de mètres carrés à réhabiliter", a déclaré Thierry Mandon, à l'occasion sa première visite sur le terrain à Toulouse le 16 juillet 2015. "Le défi immobilier va plus loin que [la réhabilitation de bâtiments]. C'est un défi financier, pédagogique. […] On n'apprendra pas dans 10 ou 15 ans comme on apprend aujourd'hui et ces nouvelles façons d'apprendre impliquent de repenser les espaces. C'est aussi un défi technologique : le développement durable est un enjeu absolument majeur qui implique des nouveaux matériaux, de concevoir et réguler les nouvelles façons de production énergétique", a ajouté le secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche.
"Ce défi implique un pacte renouvelé de la nation en direction de ses universités. On ne mobilise pas, dans la durée, des sommes aussi considérables, sans replacer les enjeux de l'université et de la recherche au cœur de la société."

Un défi "trop important" pour faire appel aux seuls fonds publics

Thierry Mandon voit plusieurs façons de réagir à ce "défi urgent et de grande ampleur". La première, "classique", consiste à concevoir la réhabilitation grâce aux fonds propres de l'université ou en recourant à des financements publics de l'Etat ou des régions. Cette solution "ne marche plus" parce que "le défi est trop important".
La seconde solution est de recourir à des partenariats public-privé (PPP) dans lesquels "une entreprise privée fait payer des loyers très élevés pendant des années". "C'est très risqué, même si ça peut marcher", commente Thierry Mandon.
La solution qu'il veut privilégier consiste à trouver des outils financiers, notamment avec la Caisse des Dépôts, qui "permettent de préfinancer à bas coût, avec un taux d'intérêt quasiment à zéro, des travaux qui vont faire des économies d'énergie qui financeront le remboursement de l'emprunt".

Un fonds de 2 millions d'euros

C'est la solution mise en œuvre à titre expérimental par Toulouse-III Paul-Sabatier et la Caisse des Dépôts dans le cadre du dispositif "intracting" (ou "convention de performance interne", voir notre encadré ci-dessous) . C'est la première fois en France que la Caisse des Dépôts et une université utilisent cet outil financier.
Une convention de financement, signée le 16 juillet, prévoit un fonds au capital de 2 millions d'euros, répartis à parité entre la Caisse des Dépôts et Toulouse-III. Ce fonds est destiné à financer plus de 110 travaux d'économie d'énergie (installation de robinets thermostatiques sur les radiateurs, d'horloges sur les extractions, régulation des installations de chauffage, relampage par LEDS...). Les économies réalisées grâce à ces opérations viendront ensuite alimenter financièrement le fonds et rembourser l'emprunt. "C'est un dispositif innovant qui mobilise peu de fonds propres", a expliqué Philippe Lambert, directeur régional de la Caisse des Dépôts en Midi-Pyrénées. Il a indiqué que la Caisse des Dépôts était prête à accompagner l'ensemble des campus français grâce à cet outil financier.

Un schéma directeur immobilier, un portage par la présidence...

Plusieurs prérequis avaient été établis pour lancer le fonds "intracting", parmi lesquels un engagement financier de l'université, naturellement, mais aussi un portage du projet au niveau de la présidence de l'université, l'existence d'une démarche de développement durable opérationnel, un schéma directeur immobilier, un schéma directeur énergie/eau, la mise en place d'une gouvernance patrimoniale...
A noter aussi que cette convention de financement s'inscrit dans le "plan Toulouse-III Paul-Sabatier 2025" qui recense les financements fléchés, notamment dans le cadre du CPER 2015-2020, pour la rénovation immobilière du campus dans les dix ans à venir.
L'université s'étend sur 400.000 m2 dont la moitié est estimée vétuste ou ayant besoin de travaux de mise en sécurité. Bertrand Monthubert a rappelé qu'à son arrivée à la présidence de Toulouse-III, il a réorienté les modes de financement et abandonné le PPP pour une "meilleure maîtrise des priorités, des coûts" et pour "redéfinir l'opération campus qui passait à côté de l'essentiel : comment construire le campus de demain".

"Nos bâtiments sont à rebours de ce que nous professons"

Bertrand Monthubert a soulevé un paradoxe : alors que l'université peut s'appuyer sur la présence de ses chercheurs et de formations dans le domaine de l'énergie et du développement durable, "nos bâtiments sont à rebours de ce que nous professons", a-t-il observé. D'où l'opération "NéoCampus", initiée en juin 2013, qui consiste à croiser les compétences de dix laboratoires de recherche en vue d'améliorer le confort au quotidien pour la communauté universitaire de Toulouse-III, tout en diminuant l'empreinte écologique des bâtiments et en réduisant les coûts de fonctionnement (fluides, eau, électricité...).
Au final, plus de 300 millions d'euros ont été investis depuis une quinzaine d'années sur le campus dont deux tiers financés par l'Etat, le reste étant financé aux trois quarts par le conseil régional Midi-Pyrénées. Le contrat de partenariat (PPP) en cours bénéficie d'une dotation de 202 millions d'euros de l'Etat et d'une enveloppe équivalente pour le gros entretien et la maintenance pendant 27 ans. Cette somme vient s'ajouter aux 150 millions d'euros inscrits dans les trois derniers CPER.
Le fonds "intracting" est quant à lui, rappelons-le, doté de 2 millions d'euros.

Avec AEF

"L'intracting" : un outil financier inventé à Stuttgart

"L'intracting" (en français : "convention de performance interne") aurait été mis en place pour la première fois, en 1995, par la ville Stuttgart (Allemagne), avec un fonds doté initialement de 2,3 millions d'euros, indiquait la Caisse des Dépôts, lors des assises de l'énergie de Bordeaux, en janvier 2015. Ce fonds provenait exclusivement du budget municipal. Le principe : "le service de l'énergie préfinance des mesures rentables pour l'économie d'énergie et d'eau. Les économies réalisées sur les dépenses énergétiques d'un service technique ou d'une régie viennent ensuite rembourser le service de l'énergie jusqu'à ce que le coût initial du préfinancement soit couvert", explique Energy Cities, dans son rapport "Convention de performance interne - Intracting", publié en 2013 avec le soutien d'ailleurs de la Caisse des Dépôts. Entre 1995 et 2011, 292 projets municipaux, d'un montant de 5.000 euros à 1,4 million d'euros, ont été financés pour un montant total des investissements de 11,9 millions d'euros. La ville a réalisé une économie de 14,2 millions d'euros dont 5,4 millions d'euros de bénéfices constatés. Et cela, sans faire appel à un tiers.
Concernant les universités, des expériences d'"intracting" ont été menées à celle de Lexeter (Angleterre) où le fonds de 1,36 million d'euros a permis de réaliser des économies à hauteur de 5,4 millions d'euros, soit un effet de levier de 400 % ; ou encore à l'université de Saint-Andrews (Angleterre) où le fonds doté de 2,9 millions d'euros a permis la réalisation d'économies à hauteur de 9,2 millions d'euros, soit un effet de levier de 317 %.V.L. avec AEF