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Relance du nucléaire et essor de l'éolien en mer et du solaire : les choix énergétiques d'Emmanuel Macron

En déplacement à Belfort ce 10 février, Emmanuel Macron a annoncé un vaste plan de relance du nucléaire civil, avec la construction de 6 à 14 réacteurs pour 2050. Il a aussi affiché des objectifs ambitieux pour l'éolien en mer et le solaire mais donné un coup de frein sur les éoliennes terrestres.

Emmanuel Macron a présenté les "chantiers énergétiques structurants" du pays pour les 30 prochaines années, lors d'un déplacement ce 10 février à Belfort sur le site de fabrication des turbines Arabelle équipant les centrales nucléaires françaises. Le premier chantier mis en avant repose sur les économies d’énergie, afin d’atteindre l’objectif de baisse de 40% de la consommation d’énergie dans les 30 prochaines années. "Pas en pratiquant la privation mais en changeant de modèle tout en continuant à produire" et en "gagnant en sobriété", a souligné le président de la République. Parmi les actions à mener, il a cité la rénovation thermique des bâtiments, le passage aux véhicules électriques ou encore la décarbonation de l’industrie. Il a confirmé le soutien de l’État, notifié à la Commission européenne, à un projet européen d’intérêt commun de "gigafactory" d’hydrogène, sur le Territoire de Belfort, de 114 millions d’euros. Ce premier axe devrait donner lieu dans les prochains mois à une "planification" par filières ainsi qu’à un soutien financier de l’État.

"Stratégie plurielle"

Le deuxième chantier, qualifié de "chantier du siècle" par le chef de l'Etat repose sur la production de "davantage d’électricité décarbonée", fondée sur "une stratégie plurielle, le développement des énergies renouvelables et le nucléaire". "Les travaux d’experts montrent l’impasse des stratégies uniques, 100% énergies renouvelables ou 100% nucléaire. Aucun expert ne dit que ces deux schémas sont réalistes pour la nation. La réalité, c’est de miser en même temps sur ces deux piliers. C’est le choix le plus pertinent d’un point de vue écologique, le plus opportun d'un point de vue économique et enfin le moins coûteux". Pour cela, Emmanuel Macron s’appuie sur les travaux de RTE, "Futurs énergétiques 2050", publiés en octobre 2021, et dont les compléments (notamment l’analyse économique du scénario sobriété) seront publiés le 16 février.    
Construire un nouveau réacteur nucléaire ce n'est pas avant 15 ans : on a donc besoin des énergies renouvelables tout de suite, a expliqué le président.

Solaire : multiplier par dix la puissance installée

Pour ces énergies, le chef de l’État propose une stratégie portée essentiellement par le solaire et l’éolien en mer. "Nous avons pris du retard, pas par manque de volonté politique collective, mais parce que nous n’avons pas toujours réussi à convaincre de la nécessité des projets, et parce que nous avons multiplié les contraintes réglementaires", a-t-il avancé.
Sur le solaire, "moins cher et qui s’intègre mieux dans le paysage", il propose de multiplier par dix la puissance installée pour dépasser 100 GW, avec un équilibre entre solaire posé sur le sol et sur les toitures. Avec les emprises commerciales, les emprises d'État notamment militaires ou encore l'agrivoltaïsme (panneaux sur cultures), "nous aurons la capacité de déployer ces projets de manière harmonieuse", avec des filières françaises de production, a-t-il assuré. Le pays compte au total plus de 13,2 GW aujourd'hui disponibles. La filière a un objectif inscrit dans la loi de 20,1 gigawatts (GW) à fin 2023, mais a du mal à le tenir, pour des questions de surfaces disponibles ou encore de lenteur d'autorisations. L'an dernier, elle a dépassé pour la première fois les 2 GW de puissance unitaire supplémentaire raccordée en un an.

Une cinquantaine de parcs éoliens en mer 

Sur l’éolien en mer, Emmanuel Macron propose d’atteindre 40 GW en service en 2050, soit une cinquantaine de parcs. "Pour changer d'échelle, il faudra organiser une planification maritime des zones de développement", a dit le président. Une demande du secteur, qui réclame un zonage plus fin, sur le modèle belge ou hollandais, afin de ne pas revenir dans la même zone tous les deux ou trois ans avec un nouveau débat public. Mais la France part de loin. Alors que 3 GW étaient attendus en 2020, elle ne compte encore aucun parc, sous l'effet notamment des recours. Le tout premier doit commencer à fonctionner en avril, au large de Saint-Nazaire, 10 ans après son attribution. Dans l'immédiat, la France a prévu l'attribution d'1 GW annuel d'ici 2024.

Essor de l'éolien terrestre étalé dans le temps

"Nous ne pouvons nous passer d'éoliennes terrestres", a souligné Emmanuel Macron. "Je sais les réticences et je les comprends, personne ne souhaite voir quelque trésor national que ce soit défiguré mais il est possible de concilier développement de l’éolien et protection du patrimoine naturel et culturel. Nous devons être raisonnables sur l’objectif, en gardant en tête que nous avons fait beaucoup moins que nos voisins." Mais "il faut être raisonnable dans les objectifs" et étaler leur essor dans le temps, en doublant les capacités en 30 ans plutôt qu'en 10 ans comme prévu jusqu'ici. Aujourd'hui, les capacités installées s'élèvent à plus de 18,5 GW (environ 8.000 éoliennes), les industriels étant ralentis par les recours, les lenteurs administratives, la difficulté à trouver des terrains... Jusqu'ici la feuille de route inscrite dans la loi en 2020, visait 24,1 GW fin 2023 et 33,2-34,7 GW fin 2028.
Emmanuel Macron souhaite aussi une moindre emprise spatiale, grâce à "des éoliennes dernière génération", plus puissantes et donc moins nombreuses. Il veut également permettre aux maires de définir des secteurs dans les plans locaux d'urbanisme où l'implantation d'éoliennes sera soumise à condition.
Emmanuel Macron veut également s’appuyer sur l’énergie hydraulique, maintient l’objectif de 10% de gaz renouvelable en 2030 et a annoncé des appels à projets dans les prochains jours.

Nucléaire : "prolonger tous les réacteurs qui peuvent l'être"

Enfin, "après une période de glaciation", Emmanuel Macron mise sur la "renaissance du nucléaire en France". "Il nous faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France. À ceux qui affirment que nous n’aurions pas besoin de nucléaire, imagine-t-on une France avec 80.000 éoliennes, 90 parcs éoliens offshore, totalement dépendante d’énergies intermittentes et de l’importation d’énergie carbonée ?"
Il propose donc de "prolonger tous les réacteurs qui peuvent l’être", alors que selon la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), une douzaine devaient fermer d'ici 2035 en plus des 2 de Fessenheim, déjà arrêtés. "Aucun réacteur en état de produire ne sera fermé, compte tenu de la hausse à venir de nos besoins en énergie, sauf pour des questions de sûreté", a-t-il déclaré. Il demande à EDF d’étudier les conditions de prolongement du parc actuel au-delà de 50 ans, en lien avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Six réacteurs EPR dès 2035

Le président de la République a en outre demandé la construction de six réacteurs de nouvelle génération EPR2, avec une première mise en service à l'horizon 2035. A cela s'ajoute l'étude pour huit de plus pour "la fin de la décennie 2040". "Concrètement, nous allons engager dès les semaines à venir les chantiers préparatoires", a dit Emmanuel Macron. Le début des travaux est visé à l'horizon 2028, pour une mise en service du premier réacteur d'ici 2035. La France ne construit actuellement qu'un seul EPR sur son territoire, celui de Flamanville (Manche), qui a connu de nombreux retards et surcoûts. Emmanuel Macron a promis "des financements publics massifs de plusieurs dizaines de milliards d'euros" pour ce programme et "prendra ses responsabilités pour sécuriser la situation financière d'EDF", aujourd'hui lourdement endettée. Une "direction de programme interministérielle" sera dédiée aux nouveaux projets, pour en assurer le pilotage, coordonner les procédures administratives, s'assurer du respect des coûts et délais".

 

Le secteur des énergies renouvelables satisfait des annonces

Le secteur des énergies renouvelables s'est félicité qu'Emmanuel Macron ait clairement soutenu, jeudi à Belfort, le "développement massif de toutes les énergies renouvelables".
Pour France Energie Eolienne (FEE), on a de "belles annonces, avec des éléments de méthode". Le président "acte le fait que la France a raté ses objectifs dans les énergies renouvelables et qu'on doit revoir la durée de développement des projets en simplifiant les démarches", a d'abord relevé le délégué général de FEE, Michel Gioria. FEE a salué les ambitions présidentielles de 40 gigawatts dans l'éolien offshore en 2050, même si l'association tablait sur 50 GW. Elle compte sur la "planification fine", par façade maritime, promise.
Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a retenu "l'intention d'un développement massif de tous les renouvelables confondus" et la volonté d'accélérer les projets, selon son président Jean-Louis Bal. L'éolien terrestre qui, pour le président, devrait ralentir pour doubler ses capacités en 30 ans au lieu de 10, est "le point un peu négatif du discours," estime Jean-Louis Bal. "En même temps, il a aussi répété qu'il était indispensable pour la neutralité carbone en 2050". Pour FEE, "on aurait pu un peu plus pousser les feux sur la période 2022-2035", l'éolien onshore contribuant à sécuriser l'approvisionnement électrique et à stabiliser les prix, note Michel Gioria.
"Que de chemin parcouru depuis 2011, année du moratoire où la filière a failli disparaître", a salué, pour le solaire, Daniel Bour, président d'Enerplan, qui "souligne l'importance d'établir un état d'esprit collectif, non marqué politiquement, en faveur de l'énergie solaire et plus largement des énergies renouvelables".
Pour tous, ces questions devront être affinées dès cette année à l'occasion du débat sur la nouvelle feuille de route énergétique de la France (PPE), qui devra être adoptée en 2023 pour 2024-2033.
Et au-delà des objectifs, le président du SER demande que désormais "l'État mette en place un pilotage de la transition" et demandé que les renouvelables bénéficient, comme les nouveaux projets nucléaires, d'une direction interministérielle.