Rembourser l'aide perçue si une entreprise délocalise ? Les idées des sénateurs concernant les aides publiques

211 milliards d'euros d'aides ont été distribués en 2023, d'après la commission sénatoriale d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises qui a remis son rapport le 8 juillet. Des aides qui n'empêchent pas les groupes concernés de multiplier les plans sociaux. Pour pallier ces pratiques et le manque d'évaluation, les sénateurs avancent 26 propositions, dont le remboursement total de l'aide si l'entreprise délocalise son activité ou la création d'un tableau détaillé et actualisé chaque année.  

En novembre 2024, le groupe Auchan annonce son intention de procéder à un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) concernant 2.834 de ses 54.000 salariés employés en France ; le groupe a bénéficié entre 2013 et 2023 de 636 millions d'euros d'aides fiscales et de 1,3 milliard d'euros d'allègements de cotisations sociales. En novembre 2024 également, le groupe Michelin annonce mettre en place un PSE (1.254 salariés) ; il a bénéficié de 32,4 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales en 2023 et de 40,4 millions d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR) en 2024. Le groupe ArcelorMittal annonce en avril 2025 son intention de mettre en place un PSE (près de 600 salariés concernés) ; il a versé en moyenne 200 millions d'euros de dividendes chaque année depuis dix ans au niveau mondial, et a bénéficié en 2023 de 298 millions d'euros d'aides… La liste dressée par la commission sénatoriale d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises, qui a rendu public son rapport le 8 juillet 2025, est encore longue. Liste qui l'amène à proposer d'imposer le remboursement total d'une aide si l'entreprise concernée délocalise dans les deux ans le site ou l'activité ayant justifié l'aide et à demander un choc de responsabilisation pour les entreprises qui perçoivent ces aides tout en délocalisant ou distribuant des dividendes, et à exclure les aides publiques du périmètre du résultat distribuable, à l'exception des exonérations et allègements de cotisations sociales.

211 milliards d'euros versés en 2023

"Pour des raisons d'exemplarité", les sénateurs invitent aussi "le groupe Michelin à rembourser la part de CICE perçue pour l'achat de six machines qui n'ont jamais été utilisées sur le site de la Roche-sur-Yon fermé en 2020 et qui ont été transférées dans d'autres établissements en Europe".

Au total, le rapport avance 26 propositions, après un travail lancé en janvier à l'initiative du groupe communiste et écologiste CRCE-K et concrétisé par 87 heures d'auditions de février à juin. S'il "est impossible de déterminer avec précision le montant des aides publiques versées aux grandes entreprises, tel que le rapport l'indique, la commission a fait son propre calcul : 211 milliards d'euros auraient été ainsi versés en 2023 aux 5 millions d'entreprises françaises. En mai 2025, 2.267 aides publiques aux entreprises sont répertoriées par le site www.aides-entreprises.fr, dont 40% sont financées par le bloc communal.

Prudents, les sénateurs rappellent le contexte global de forte concurrence avec la Chine et les Etats-Unis, dans lequel les aides sont attribuées. Contexte qui justifie de soutenir les entreprises. Ils soulignent aussi la réalité du contrôle des aides, mais jugent en revanche "défaillants" le suivi et l'évaluation de ces sommes.

Créer un tableau détaillé et actualisé sur les aides publiques aux entreprises

Parmi les recommandations du Sénat : la création par l'Insee d'ici le 1er janvier 2027 d'un tableau détaillé et actualisé chaque année sur les aides publiques aux entreprises en fonction de leur taille et d'un registre simplifié des aides publiques reçues par les grandes entreprises et des prélèvements obligatoires acquittés. Les sénateurs proposent de confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan la mission de publier un rapport annuel sur le suivi des aides publiques et de le présenter aux parlementaires, chefs d'entreprises et représentants syndicaux.

Par souci de rationalisation, les sénateurs préconisent aussi de rendre obligatoire la réalisation, en concertation avec les entreprises concernées, d'une étude d'impact préalable à la création de toute nouvelle aide publique aux entreprises d'un montant significatif, en incluant un volet outre-mer. Ils proposent de mettre en place un guichet unique dans chaque région, sous l'égide du préfet, pour centraliser les demandes de toutes les aides de l'Etat aux entreprises ainsi que celles de ses agences et opérateurs et de renforcer la coordination entre les régions et l'Etat en matière d'aides aux entreprises, à travers un dialogue continu au sein d'une structure nationale.

D'autres mesures, annexes mais en lien avec le sujet, sont listées comme la création d'un produit d'épargne par Bpifrance pour mobiliser l'épargne des ménages au profit du financement des PME industrielles, la création d'une catégorie des ETI au niveau du droit européen, ou encore l'allongement de la durée maximale de remboursement des prêts garantis par l'Etat, pour la porter à dix ans.

La commission souhaite présenter prochainement ses conclusions au Premier ministre et au ministre de l'Economie et des Finances. Des vecteurs législatifs, dont les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2026, sont envisagés pour porter des amendements issus des conclusions du rapport.

 

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