Arcelor Mittal, STMicroelectronics… ces plans sociaux qui reposent la question des aides publiques

Devant la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises, la ministre Catherine Vautrin a soutenu que les dispositifs d'aides étaient "plus évalués" aujourd'hui et que les aides à l'emploi étaient "systématiquement conditionnées". Une vision qui tranche avec celle du rapporteur de la commission pour qui les exemples récents montrent qu'on est "encore très loin du conditionnement".

"Seriez-vous favorable à la fixation de contreparties juridiquement contraignantes pour certaines aides publiques lorsque l'entreprise ferme des sites, procède à des licenciements, voire délocalise ?" C’est en ces termes directs que le président LR de la commission d‘enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises, Olivier Rietmann, s’est adressé à la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, lundi 5 mai. Si cette commission d’enquête avait été installée après les annonces de suppressions de postes chez Auchan et Michelin (voir notre article du 6 novembre), le contexte semble s’être aggravé avec la multiplication des plans sociaux et la volonté du gouvernement de trouver 40 milliards d’euros d’économies. 

Après s’être livrée à un décompte de ces plans sociaux (565 en 2024 contre 402 en 2023), la  ministre a pris des gants de velours pour ne vexer personne, expliquant que la question du remboursement des aides était une "question complexe" à laquelle "on ne peut pas répondre par oui ou par non". "Je pense que les décisions des entreprises de procéder à des PSE  [plan de sauvegarde de l'emploi, ndlr] sont avant tout dépendantes de la conjoncture économique et que ce qui est extrêmement important, c'est qu'on ait la capacité à prévenir les comportements opportunistes, les détournements de procédures", a-t-elle développé. Le choix fait jusqu’à présent à été celui de "la logique de réparation avec l'obligation de la revitalisation territoriale", avec l’objectif de recréer autant d’emplois que d’emplois supprimés. 

Des dispositifs "plus évalués aujourd'hui qu'hier"

D’après la ministre, les exonérations de cotisations (assimilées à des aides publiques) représentent chaque année 75 milliards d’euros, sur les 300 milliards d’euros de cotisations versées. Les exonérations "ont permis la création de nombreux emplois nouveaux ces dernières années". "Elles ne sont pas reprises au moment où l’entreprise licencie les salariés parce qu’à ce stade elles sont considérées comme devant rester incitatives à l’implantation sur le territoire", a justifié la ministre. "Il faut qu'on soit très vigilants sur le fait [que les aides versées pour soutenir l’emploi] soient systématiquement conditionnées, transparentes et qu'elles fassent l'objet de nombreux contrôles", a-t-elle toutefois défendu. Or, selon elle, "les dispositifs d’aide et d'exonérations de cotisations sont plus évalués aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier", du fait de nouvelles obligations issues d’une loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Cette dernière prévoit que les annexes du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) présentent le coût global des exonérations. "Certaines plus que d’autres ont fait preuve de leur efficacité", a-t-elle souligné, prenant l’exemple de l’activité partielle "qui a fait la démonstration de son rôle d’amortisseur social au moment de la crise sanitaire". Et le montant de ces exonérations "reflète mécaniquement le coût du travail en France" où le taux de cotisation patronale est de 40% contre 19,6% en Allemagne, argue la ministre.

Un versement "systématiquement conditionné"

"Dans le champ de l’emploi et de la formation professionnelle, le versement des aides est systématiquement conditionné", a encore insisté Catherine Vautrin, précisant "qu’à ce stade, le gouvernement n’a pas souhaité reprendre de critères supplémentaires de conditionnement". D’ailleurs selon elle, le contrôle est "effectif" avec 64.000 contrôles réalisés par l’Urssaf en 2023 pour un montant de 111 millions d’euros de redressements. Mais "cela ne veut pas dire qu’on n’ait pas besoin de revisiter et d’aller plus loin", a-t-elle ajouté.

Face à la prudence de la ministre, le rapporteur communiste Fabien Gay est revenu sur les dossiers chauds du moment : ST Microelectronics, qui a récemment annoncé un plan social visant 2.800 postes au cours des trois prochaines années, accusé de ne payer que très peu d‘impôts en France, Arcelor Mittal qui prévoit de supprimer 636 postes dans 7 sites du nord de la France, Sanofi ou encore Thalès. Il a présenté à la ministre  un tableau mettant en balance les 3,6 milliards d’euros de bénéfices réalisés par Carrefour entre 2013 et 2018, les 2,3 milliards d’aides (CICE et exonérations) reçues et les 2,8 milliards d’euros de dividendes versés. "Concrètement, le CICE et les exonérations viennent - il n’y a pas besoin d’avoir fait math sup -, pour moitié dans les bénéfices réalisés et une part significative part en dividendes versés aux actionnaires", a-t-il exposé. La ministre a rétorqué qu’il fallait présenter une "vision à 360 degrés", intégrant l’impôt sur les sociétés, les cotisations payées, les taxes, la contribution pour l’apprentissage, le versement mobilité…

"On patauge"

Les sénateurs se sont arrêtés sur le cas d'Arcelor Mittal qui perçoit 295 millions d’euros d’aides publiques chaque année et a reçu une promesse de 850 millions d’euros (via l’Ademe) pour la décarbonation de son site de Dunkerque, sur un investissement de 1,850 milliard d’euros. Un chantier aujourd’hui à l’arrêt. "L’Etat ne versera pas un euro si le premier euro du milliard n’est pas donné", a martelé la ministre.

"Il y a une nécessité de contrôle de ces PSE, de la façon dont ils sont mis en place et du reclassement qui sera fait pour les salariés. (…). Mais en même temps, je pense qu’on doit aussi faire attention aux mesures que nous prenons. Faut-il que ces groupes décident de quitter définitivement notre pays en raison du coût du travail et en raison de la situation qui serait réservée en France ?", a-t-elle questionné. Un "en même temps" qui n’a pas échappé à Olivier Rietmann, qui s’interroge sur l’opportunité de conduire de front deux politiques a priori contradictoires : la compétitivité et la décarbonation. Le président de la commission d'enquête a suggéré de "diminuer sans la stopper" la pression sur la décarbonation, pour "mettre le paquet" sur les exonérations. Et de reprendre la décarbonation une fois la compétitivité revenue...

L'audition a laissé le rapporteur pantois. "Ces situations là ne sont pas acceptables. Le monde des salariés dans sa grande diversité ne peut plus comprendre ça. Que de grandes entreprises économiquement viables, qui dégagent des bénéfices lourds, versent des dividendes, font des rachats d'actions (…) pour ensuite déclencher des plans sociaux de grande envergure, surtout dans la période, et continuent à toucher des aides publiques (...). Nous sommes encore très loin du conditionnement. La réalité c’est qu’il y a peu ou pas de suivi, peu ou pas d’évaluation de tous les dispositifs. On patauge."

 

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