Renouvellement urbain, mixité sociale et réussite scolaire : ce qui fonctionne

Quels sont les impacts des projets de renouvellement urbain et des investissements d'avenir sur la réussite scolaire ? Sujet complexe. Tout au long d'une journée, le 19 mars, l'Anru a réuni des représentants du ministère de l'Éducation nationale, du secrétariat général pour l'investissement, des collectivités locales, des élus, des principaux de collèges, des chercheurs... pour tenter d'y voir clair. 

"Évaluer les effets de la mixité (sociale sur la réussite scolaire, NDLR), c'est très compliqué", admet Marc Gurgand, directeur de recherche au CNRS, qui intervenait dans le cadre d'une journée organisée par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) sur le thème du renouvellement urbain et de la réussite scolaire, mardi 19 mars 2024, à Paris. À la question de savoir quels pourraient être les principaux leviers de la réussite scolaire, spontanément, il cite "les internats, la mixité sociale, les moyens donnés aux écoles pour fonctionner, la taille des classes, le bâti en tant que tel, les dédoublements de classes et ce qu'il se passe au sein des familles et qui est plus mystérieux pour les chercheurs..." "Il y a toutes sortes de déterminismes qui pèsent, c'est difficile de dire quel est l'effet de l'environnement social des jeunes", avance-t-il prudemment. 

Rappelons que depuis 2010, l'Anru est opérateur des Programmes d'investissements d'avenir (PIA) France 2030, qui accompagnent l'innovation en faveur de la jeunesse, les internats d'excellence et de la réussite. Ainsi, les projets de renouvellement urbain permettent le déploiement de nouvelles écoles, en fédérant les acteurs locaux dans la construction des projets pédagogiques tendus vers un objectif : la réussite scolaire.

À quand la révision de la carte de l'éducation prioritaire ? 

"Mettons directement les pieds dans le plat", plaisante le journaliste animateur de la séquence tandis qu'une question pour la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) surgit dans la salle : "La géographie des REP et REP+ a -t-elle vocation à être actualisée et à quelle échéance ?" Après avoir rappelé que la carte de l'éducation prioritaire n'a pas été revue depuis presque douze ans, Christophe Géhin, de la Dgesco, fait le constat que "les quartiers ont changé". "L'enjeu est d'accompagner des écoles dont la situation s'est dégradée et les écoles orphelines, celles dont les critères sont assez proches de l'éducation prioritaire mais qui n'en font pas partie", rappelle-t-il. "Nous travaillons avec l'ANCT à une nouvelle géographie de l'éducation prioritaire qui pourrait converger vers la carte des quartiers politique de la ville (QPV) tout en veillant à inclure des écoles et des collèges de la ruralité", détaille Christophe Géhin avant d'assurer que "le calendrier sera fixé par les autorités politiques". Lors de son audition devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale le 27 mars, Nicole Belloubet a quant à elle affirmé qu'elle travaillerait la "cartographie" des REP sans toutefois préciser quand (voir notre article du 28 mars) .

Rester "humble et souple"

La Dgesco rappelle par ailleurs qu'elle construit avec l'Anru et l'ANCT un réseau "éducation et renouvellement urbain", mis en place en 2020 dont l'un des objectifs est d'élaborer de bonnes pratiques. L'une des pistes est de réfléchir à la prospective scolaire démographique et l'habitat. Un grand travail a été mené pour anticiper les mouvements démographiques et voir comment les opérations de renouvellement urbain peuvent conduire à revoir les prévisions démographiques. Dans le premier degré, on estime à entre 60.000 et 70.000 environ la perte d'élèves à chaque rentrée. "De ce point de vue, les quartiers ont une trajectoire originale : sans être forcément en croissance, il y a un tassement de la démographie qui est beaucoup moins marqué", note Christophe Géhin avant d'inviter à rester "humble avec ce travail d'anticipation démographique" et à "laisser la place à de la souplesse". C'est ce qui rend, selon lui, compliqué à mettre en place une mesure qui paraît assez simple comme le dédoublement de classe.

L'autre chantier de l'Anru, c'est celui de la mixité sociale ou de la mixité scolaire. "Ça marche dans quel sens ? La mixité scolaire ou sociale d'abord ?", interroge l'animateur. Si l'école commence par "importer la situation du quartier", elle se doit "d'être actrice", en matière d'attractivité, affirme le représentant de l'Éducation nationale. Outre les travaux de sécurisation, l'Éducation nationale travaille sur l'offre en QPV, par exemple en proposant des sections internationales uniquement dans les écoles de REP et de REP+ pour attirer d'autres élèves qui ne sont pas du quartier. 

"Laisser au terrain le travail de dentelle"

Enfin, il reste à mentionner l'incontournable enjeu du bâti scolaire (voir notre article du 27 juillet 2022). Depuis mars 2019, une cellule "bâti scolaire" a été créée au sein du ministère de l'Éducation nationale pour venir en appui des collectivités territoriales. "Quelles sont ses préconisations ?", s'interroge la salle. Il est rappelé que cette cellule propose un cadre, des pistes de travail mais pas d'injonction. La France compte 43.600 écoles publiques, un réseau unique en Europe. C'est l'enjeu de l'Éducation nationale : accueillir 12 millions d'élèves en garantissant une proximité. "La logique c'est vraiment de laisser au terrain le travail de dentelle. Il n'y a pas de baguette magique, il faut s'adapter à chaque quartier", résume Christophe Géhin qui estime que la mixité c'est vraiment un "travail global, systémique".

La destruction de deux collèges à Toulouse 

Parmi les expérimentations menées pour favoriser la mixité sociale et scolaire : celle de Toulouse, qui consistait à diriger les élèves de deux collèges non mixtes et socialement défavorisés vers cinq établissements favorisés du centre-ville de Toulouse. Pour en témoigner, Vincent Gibert, vice-président du conseil départemental de la Haute-Garonne, et Anne Faurie-Herbert, Daasen de Haute-Garonne, sont revenus sur ce projet lancé en 2017. Ce projet a nécessité d'être "apprivoisé" puisque les deux collèges enclavés du quartier du Grand Mirail ont été détruits, "une décision complexe à faire accepter à la population". Il a fallu convaincre les familles, leur faire renoncer à la proximité, mettre en œuvre des transports dédiés et un accès gratuit au réseau de transport métropolitain pour ces élèves. Le programme a finalement été pérennisé par la signature d’une convention entre le conseil départemental et le rectorat. Mais "tant que les élèves ne seront pas arrivés au post-bac, nous ne saurons pas quels sont véritablement les effets de ce programme", admet Anne Faurie-Herbert. 

Un "carrefour éducatif" à Créteil 

Autre expérimentation menée pour favoriser la mixité : la création d’un "carrefour éducatif", dans l’académie de Créteil, dans le cadre de la rénovation urbaine du Haut du Mont-Mesly, contractualisée avec l'Anru. Ce quartier compte "quasiment 90% de logements sociaux", explique Sophie Rosemond, directrice générale adjointe en charge de l'éducation. Dans le cadre du processus Anru, des études urbaines et un diagnostic social du quartier ont été menés : ils ont mis en évidence "des difficultés sociales, mais aussi de l’échec scolaire, avec le taux de réussite au DNB le plus bas du département et un taux de décrochage scolaire de l’ordre de 10% chez les jeunes". À l'origine, le groupe scolaire Albert-Camus, "au bâti vieillissant", devait être démoli et reconstruit sur un autre terrain disponible. La proximité d'une autre école a finalement "conduit à repenser totalement le projet", en fusionnant les deux secteurs scolaires pour créer un "carrefour éducatif" et favoriser le "brassage" des populations. Finalement, l'idée d'un fonctionnement par cycle est retenue pour accueillir les élèves et "permettre des structures de classes homogènes". Au cours de leur scolarité, les enfants fréquenteront de manière alternée les deux sites : l'un accueillera les élèves de maternelle et pendant le cycle 3 (CM1/CM2), et l'autre pendant le cycle 2 (CP/CE1/CE2). Le premier site doit être livré en 2026, le second en 2028 : "La première pierre de ce projet doit être posée en décembre 2024", conclut la directrice générale adjointe.

Mixité sociale à l'agenda national

Que retenir de ces initiatives ? Pour Étienne Butzbach, coordonnateur du réseau mixité à l’école au Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), la question du partenariat est essentielle, mais "tant que la mixité sociale ne sera pas à l'agenda au niveau national, les difficultés perdureront". Après l'annonce du plan "mixité" par l'ex-ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye, "il n’y a pas eu de suites", regrette l’ancien maire de Belfort. "Une politique de mixité ne peut pas se résumer à mélanger des enfants", prévient celui qui vante le dispositif des "cités éducatives". "Il n'existe pas de levier unique pour favoriser la mixité sociale, c'est une politique complexe, qui doit s’installer dans la durée", conclut-il.