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Logement - Réquisitions : Jean-Marc Ayrault annonce un inventaire des bâtiments vides

Jeudi 1er novembre, alors que la trêve hivernale des expulsions avait débuté la veille au soir, Jean-Marc Ayrault annonçait qu'un inventaire des bâtiments vides était en préparation, en vue de procéder à des réquisitions dès le début de l'année 2013 pour loger des personnes sans abri. Le Premier ministre confirmait ainsi la position de Cécile Duflot exprimée cinq jours auparavant...

Jean-Marc Ayrault a annoncé, jeudi 1er novembre, qu'il recevrait "dans quelques semaines" un inventaire des bâtiments vides pouvant être réquisitionnés pour y accueillir des personnes sans domicile. Les résultats de l'inventaire, élaboré par le ministère du Logement, pourraient déboucher sur des réquisitions début 2013, selon l'entourage du Premier ministre. "Ce sera souvent des bâtiments appartenant à des institutions, des administrations, des grandes entreprises…", anticipe Jean-Marc Ayrault. "Cet inventaire est en cours, nous en aurons le résultat dans quelques semaines, ensuite autant que de besoin nous prendrons nos décisions. Il s'agira bien sûr de le faire dans le respect du droit et de la propriété : les lois existent et nous entendons les appliquer", a-t-il ajouté.
Le Premier ministre a fait ces déclarations, le 1er novembre, alors qu'il visitait le service intégré d’accueil et d’orientation (Siao urgence) du Val-de-Marne, géré par la Croix rouge française, avec Cécile Duflot, ministre de l’Egalité des territoires et du Logement (qui avait prudemment fait part, samedi 27 octobre, de son intérêt pour les réquisitions, voir notre article ci-contre "Réquisitions : Cécile Duflot n'y est pas opposée..."), et Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion. Le Siao du Val-de-Marne intègre la plate-forme de réponse et d’écoute au numéro d’urgence 115 pour le département, ainsi qu’un pôle hôtelier (accompagnement des familles hébergées à l’hôtel) et quatre équipes mobiles (Samu social). Le Premier ministre s’était ensuite rendu au centre d’hébergement Pierre-Petit (association Aurore), qui gère un dispositif pérenne de 85 places, ainsi qu’un pavillon supplémentaire qui vient d’ouvrir pour la période hivernale.

"Des territoires qui, hier, n'étaient pas sous tension"

Jean-Marc Ayrault était venu assurer du soutien du gouvernement les écoutants du 115 et les personnels des équipes mobiles. "L'Etat se donnera les moyens de faire face à ses responsabilités en matière d’accueil des personnes sans abri", s'est-il engagé, alors que la veille, la Croix rouge soulignait dans un communiqué que "l'ampleur des difficultés des personnes sans abri ou mal logées, ainsi que la forte augmentation des demandes d'hébergement ou de logement" ne permettent plus à ses structures de faire face, "faute de moyens". Par exemple, elle avait enregistré, au cours de la semaine du 8 au 14 octobre, plus de 4.830 personnes en demande d'hébergement dans les onze départements dans lesquels l'association est gestionnaire ou cogestionnaire du 115. "Un quart de ces personnes est resté à la rue, et notamment 200 enfants", précisait-elle. "La situation est particulièrement catastrophique sur des territoires qui, hier, n'étaient pas sous tension et qui désormais connaissent de grandes difficultés comme les Hautes-Pyrénées, la Marne, le Loiret. Dans les départements hors Ile-de-France, ce sont parfois 80% des personnes appelantes qui, dans cette semaine, n'ont pu trouver de solution", s'inquiète la Croix rouge.
Dans la Loire, environ cent cinquante travailleurs sociaux ont manifesté, mercredi matin, à Saint-Etienne. "Les professionnels de l'urgence n'acceptent pas de débuter le plan Froid 2012 avec un dispositif d'urgence déjà complètement saturé", a expliqué à l'AFP Louis Russo, porte-parole du collectif à l'origine de la manifestation, qui reproche également aux pouvoirs publics de n'avoir pas reconduit les dispositifs des hivers précédents.

Quel cadre juridique et financier ?

"Prenez votre mal en patience" : la Fondation Abbé-Pierre "s’exaspère et s’insurge" de ne pouvoir répondre autre chose aux sans-abri et mal-logés. Sur la question de la réquisition, elle doute d'une "réelle volonté d'agir" car elle ne voyait, au 30 octobre, "aucune mesure concrète prévoyant leur recensement" ni de "cadre juridique et financier pour mettre en oeuvre un tel plan". Pour inciter les propriétaires à remettre ces logements sur le marché, la fondation réitère sa proposition d'augmenter la taxe sur les logements vacants mais aussi d'"inscrire une possibilité de réquisition après trois ans de soumission à cette taxe". Voilà qui ne plairait pas à Benoist Apparu.
Dans une lettre ouverte à l'attention de madame la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, l'ex-ministre du Logement continue d'estimer que "la réquisition est une bien mauvaise réponse", notamment parce qu'elle est "une atteinte lourde au droit de propriété". Il suggère qu'"en lieu et place des 4.000 logements financés chaque année en acquisitions-réhabilitations, les bailleurs sociaux parisiens lancent un programme d'achat de 4.000 logements vacants par an dans le parc privé diffus". Une réquisition volontaire, en quelque sorte…

"Moralement juste" mais concrètement décevante

Si Bernard Devert, fondateur d'Habitat et humanisme, estime au contraire que la réquisition de logements vides est "moralement juste", il observe qu'elle "n'a jamais répondu aux attentes". Sur "les 400.000 logements relevant de la taxe d'inoccupation depuis plus de deux ans", nombre d'entre eux "ne sont pas en état d'être loués", insiste-t-il, évoquant "les propriétaires, parfois âgés, se trouvant en difficulté pour supporter les coûts d'investissement" ou encore "les successions en souffrance" qui réduisent "la disponibilité des appartements".
Ce n'est pas ce type de cas qu'ont montré du doigt l'association Droit au logement (DAL) et le collectif Jeudi noir, mercredi 31 octobre, dans un "city tour" des immeubles vides de Paris. L'autocar avait emmené militants et journalistes dans cette "visite guidée de bâtiments à réquisitionner" : une quinzaine de bâtiments vides, hôtels particuliers, immeubles de logements ou de bureaux, appartenant à des compagnies d'assurance, des sociétés foncières, des banques, des propriétaires privés, et même à l'Etat.

Valérie Liquet avec AFP

La réquisition de logements vides, mode d'emploi

"Les lois existent et nous entendons les appliquer", a déclaré Jean-Marc Ayrault jeudi 1er novembre. Il faisait référence aux deux procédures permettant de réquisitionner des logements vides pour y installer des personnes mal logées ou sans abri.
Une ordonnance du 11 octobre 1945 permet au préfet d'installer des mal-logés ou sans-abri éligibles à un logement social dans un logement vide depuis plus de six mois. Le texte indique que le préfet, "sur proposition du service municipal du logement et après avis du maire [...] peut procéder, par voie de réquisition, pour une durée maximum d'un an, renouvelable, à la prise de possession partielle ou totale des locaux à usage d'habitation vacants, inoccupés ou insuffisamment occupés" pour les attribuer à des mal-logés. La réquisition ne peut excéder sept ans. Une indemnité est versée au propriétaire par le bénéficiaire de la réquisition, à hauteur de 5 euros le m2, rappelle souvent l'association Droit au logement. Ce dispositif, promulgué à la Libération, était destiné à faire face à "une grave pénurie de logements". Il a été utilisé dans les années 1960 (120.000 réquisitions), puis en 1995 par Jacques Chirac (1.200 réquisitions).
Une deuxième procédure de réquisitions dite "avec attributaire", issue de la loi de lutte contre les exclusions de juillet 1998, permet également au préfet de réquisitionner des logements, via un "intermédiaire" (l'attributaire) entre le propriétaire des locaux réquisitionnés et le bénéficiaire. Dans cette procédure, le préfet peut réquisitionner des locaux appartenant à des personnes morales, vacants depuis plus de 18 mois, "dans les communes où existent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logement". L'attributaire - qui peut être l'Etat, une collectivité territoriale, un organisme HLM, un organisme agréé venant en aide aux personnes mal logées… - assure les travaux nécessaires et verse une indemnité au propriétaire.
AFP