Responsabilité territoriale des entreprises : Il faut "remettre l’entreprise au centre du village", estime l'institut Terram
À côté de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) émerge la notion de responsabilité territoriale des entreprises (RTE). Encore peu exploitée par les acteurs économiques, "elle vise à souligner le rôle majeur des entreprises sur leur territoire d’implantation et à mettre en lumière les externalités positives et négatives qui en découlent", selon une étude de l’institut Terram parue ce 3 mars.

© Richard DAMORET-REA/ Usine Michelin des Gavranches à Clermont-Ferrant
Alors que la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) a pris une nouvelle dimension depuis l’entrée en vigueur au 1er janvier 2024 de la directive Corporate Sustainability Reporting (CSRD), la notion de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) émerge progressivement. Il ne s’agit pas d’opposer ces deux concepts, d’autant moins que la RSE est encadrée juridiquement – ses règles se traduisent essentiellement par des obligations de reporting extrafinancier. Pour l’institut Terram, qui a publié ce 3 mars 2025 une étude intitulée "la RTE : valoriser l’impact local", il est temps de "remettre l’entreprise au centre du village".
La RTE a d’abord été évoquée en 2018 dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale*. Elle y est présentée comme "un nouveau concept qui viserait à encourager la dynamisation économique de ces territoires pour réduire les fractures territoriales qui fragilisent la cohésion nationale". Ce rapport précise qu’il "faut privilégier la conception du territoire comme construit social réalisé par tous les acteurs" et bâtir "un véritable 'récit' du territoire" car, "présenter une vitrine cohérente de celui-ci est l’élément primordial de l’attractivité".
La notion de RTE a ensuite été théorisée par la plateforme RSE de France Stratégie en juillet 2018. "Les définitions de la RTE varient mais semblent converger vers une intuition fondamentale : créer du commun entre les acteurs qui occupent un même territoire", estiment les auteurs Marc-Antoine Authier et Loïse Lyonnet.
Externalités positives et synergies au sein des écosystèmes locaux
Toute activité économique dans un territoire donné engendre des externalités positives (concentration de nouvelles compétences, participation aux projets de territoires…) et négatives (pollutions, épuisement des ressources…). "La RTE est la manifestation d’un entreprendre en commun et en responsabilité pour le bien commun. Dès lors, les entreprises ont une responsabilité envers leur territoire d’implantation, dont elles ont plus ou moins conscience."
Pour favoriser l’implantation pérenne de l’entreprise et ses interactions avec les autres acteurs locaux, il est nécessaire de "développer des stratégies d’ancrage territorial". Alors, "le rôle des acteurs publics locaux prend toute son importance pour entretenir, développer et animer ces réseaux afin de favoriser les effets d’entraînement".
De plus en plus de collectivités prennent conscience de leur intérêt à valoriser la production locale. "Au-delà du calcul économique (soutenir les entreprises du territoire, c’est miser sur le maintien des emplois, voire le développement des activités), elles y trouvent l’opportunité de mettre en avant les spécialités du territoire et de se constituer une image de marque à part entière". C’est ce qu’a fait le département de la Corrèze, par exemple, en déposant sa marque "Origine Corrèze". Si celle-ci concerne pour le moment surtout le secteur alimentaire, elle a également vocation à distinguer des produits industriels ou des services. Avec un objectif clair : "soutenir l’emploi sur le territoire, favoriser la relocalisation, mais aussi valoriser l’identité de la Corrèze et renforcer son attractivité".
La stratégie d’ancrage des entreprises
Les entreprises elles-mêmes ont intérêt à déployer une stratégie de rayonnement et d’ancrage au sein de leur écosystème. Hermès figure en bonne position des entreprises françaises dont la politique d’ancrage territorial structure les activités. Le groupe de luxe a renforcé sa présence en Normandie en annonçant en janvier 2024 la création d’une nouvelle unité de production de parfums à Pîtres, marquant un pas stratégique pour la maison et l’économie locale. Ce projet, installé sur une ancienne friche industrielle désaffectée de 15 hectares, vise à conjuguer innovation, développement durable et respect du patrimoine naturel avec à la clé un millier d’emplois.
Dans le domaine culturel, la construction de la Villa créative à Avignon résulte elle aussi d’un projet collaboratif, ancré territorialement. "Ce tiers-lieu dédié à la culture et aux industries créatives, dont l’ouverture est prévue au printemps 2025, inscrit son action dans un tissu de partenariat aux échelles locales, régionales, nationales comme à l’international, avec des universités, des écoles, des entreprises et des institutions, en adaptant les formations aux besoins du territoire dans le domaine de la culture et des industries créatives." La Villa créative, fondée par Avignon Université, bénéficie notamment des investissements et du soutien de la Banque des Territoires, du Festival d’Avignon, des différents échelons de collectivités territoriales locaux et de la French Tech Grande Provence.
Pour mieux valoriser l’ancrage des entreprises et le rayonnement territorial des acteurs économiques, l’institut Terram liste une série de recommandations, aux niveaux européen, national, des collectivités locales et des entreprises (voir l’encadré ci-dessous).
› Recommandation : comment mieux valoriser l'ancrage des entreprises ?Au niveau européen : évaluer les opportunités liées à la mise en œuvre de la directive CSRD avant d’envisager un renforcement des contraintes ; assumer une préférence locale dans la passation des marchés publics pour permettre à un acheteur (État ou collectivité) de préférer un fournisseur local. Au niveau national : porter au niveau national une ambition claire : faire de la France un pays de production ; décliner cette ambition au plan fiscal, en allégeant la fiscalité sur la production, quitte à augmenter celle sur la consommation ; adapter le droit de la commande publique pour permettre les achats locaux ; soutenir les indications géographiques des produits industriels et artisanaux pour valoriser les savoir-faire locaux. Au niveau des collectivités locales : épauler les acteurs privés dans l’appropriation de la RTE ; valoriser les acteurs économiques engagés au sein de leur territoire ; mettre en réseau et développer des labels fiables et harmonisés. Au sein des entreprises : partager les pratiques vertueuses à l’échelle de réseaux locaux en développant des outils de mesure communs ; développer une réflexion autour du concept de redevabilité territoriale des entreprises ; développer une réflexion globale en matière de RSE à l’échelle des associations de filière ; s’appuyer sur les clubs d’entreprises et chambres de commerce et de métiers à l’échelle départementale pour décrypter les évolutions normatives. Quant aux consommateurs : ils doivent "faire le choix de soutenir les produits réalisés localement ou par une entreprise engagée dans des pratiques vertueuses pour son territoire d’implantation". |
*Arnaud Viala, Jean-François Cesarini et Guillaume Vuilletet, "Rapport d’information sur la préparation d’une nouvelle étape de la décentralisation en faveur du développement des territoires", Assemblée nationale, rapport n° 1015, 31 mai 2018, p. 59.