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Routes à 80 km/h : Edouard Philippe campe sur ses positions

Edouard Philippe "a écarté" la proposition du groupe de travail sénatorial sur la sécurité routière qui voulait cantonner à certaines routes secondaires l'abaissement de la vitesse à 80 km/h et décentraliser la décision, a annoncé Matignon ce 14 juin.

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, avait déjà prévenu les sénateurs le 5 juin (lire notre article). Edouard Philippe l'a confirmé ce 14 juin en recevant la sénatrice (UC) Michèle Vullien et les sénateurs Michel Raison (LR) et Jean-Luc Fichet (PS), porteurs des conclusions du groupe de travail sur la sécurité routière institué fin janvier. Le Premier ministre a "écarté" la proposition phare de leur rapport présenté le 19 avril dernier qui suggérait de cantonner à certaines routes secondaires l'abaissement de la vitesse à 80 km/h décidé en début d'année  et de décentraliser la décision au niveau des départements.
Dans un communiqué, Matignon affirme s'appuyer notamment sur une étude publiée le 17 avril dernier par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), fondée sur l'analyse de l'accidentalité dans chaque département. "L’étude de l’ONISR démontre que les routes les mieux aménagées et réputées les plus sûres concentrent en réalité près de deux tiers des accidents mortels constatés sur le réseau bidirectionnel, souligne le communiqué. Les départements des trois sénateurs n’échappent pas à cette règle tragique : le réseau structurant du Rhône représente 32% du réseau bidirectionnel départemental et enregistre 59% des morts. Celui du Finistère représente 37% du réseau mais enregistre 60% des morts. Celui de la Haute-Saône représente quant à lui 18% du réseau mais concentre 74% des morts."

400.000 kilomètres de routes concernés

"L’abaissement de la vitesse moyenne autorisée à 80 km/h sur le réseau bidirectionnel sans séparateur central s’appliquera bien le 1er juillet 2018 sur l’ensemble des routes du territoire national, à l’exception des portions à deux fois deux voies et à trois voies conçues pour des dépassements sécurisés", assure donc Matignon. Au total, 400.000 kilomètres de routes sont concernés. Le Premier ministre insiste aussi sur le fait que la mesure s’accompagne de "plusieurs autres décisions puissantes destinées à lutter contre les autres facteurs clés de l’insécurité routière (notamment les conduites addictives ou encore l’usage du téléphone portable au volant)".
Des dispositions sont prévues pour accompagner la limitation à 80km/h, poursuit le communiqué de Matignon : "la prise en charge des frais de panneautage et de signalisation par l’Etat, ainsi que la création d’un fonds d’investissement permettant d’affecter le surplus des recettes à la modernisation des structures sanitaires et médico-sociales destinées à la prise en charge des accidentés de la route".

Clause de revoyure en 2020

"Le Premier ministre ne méconnaît pas les réactions suscitées par cette mesure mais rappelle qu’il s’agit de préserver des vies humaines et d’éviter de nombreux drames, insiste-t-il. Il est déterminé à infléchir la courbe de la mortalité routière qui, depuis quatre ans, augmente. Selon les experts du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), qui se sont appuyés sur plus de 500 études de réduction de vitesse dans des pays occidentaux, cette mesure permettra d’épargner entre 300 et 400 vies par an."
La limitation à 80km/h fera l’objet d’une "clause de revoyure" le 1er juillet 2020. "Les Français verront à ce moment-là si la mesure a effectivement permis de faire significativement baisser la mortalité routière. Dans la négative, la mesure serait corrigée", conclut Matignon.
"Au lieu de saisir cette main tendue du Sénat, Édouard Philippe a campé sur ses positions et rejeté cette nouvelle approche, manifestement soucieux de ne pas donner le sentiment de reculer sous la pression", a regretté Michel Raison dans un communiqué. "Les sénateurs assumeront leurs responsabilités afin de favoriser les politiques de prévention (...) par la présentation d'une proposition de loi et des amendements au projet de loi de finances 2019 afin de s'assurer que les recettes des amendes radars soient utilisées pour améliorer le réseau routier et sa sécurité, et non pour financer le désendettement de l'État", a-t-il ajouté.

Effort de pédagogie attendu

Edouard Philippe doit affronter depuis plusieurs mois la contestation de nombreux élus locaux ainsi que des associations d'automobilistes et de motards qui contestent l'efficacité de la limitation de vitesse à 80 km/h pour réduire la mortalité routière. Les opposants estiment aussi qu'elle pénalise les territoires ruraux enclavés, où se trouvent l'essentiel des routes concernées et où la voiture est un moyen de déplacement indispensable.
Quant aux partisans des 80 km/h, ils regrettent une "pédagogie insuffisante" des autorités sur ce sujet très sensible dans l'opinion. En avril, 76% des Français s'y disaient opposés. "De tout temps, lorsqu'une mesure majeure de sécurité routière a été prise, il y a toujours eu des gens contre, qui ne la comprenaient pas, qui disaient 'On verra bien'... Mais leurs effets ne sont plus contestés aujourd'hui. Il faut un accompagnement permanent de communication, avant et après l'entrée en vigueur", insiste Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière. "Il y a un problème de méthode et de pédagogie", abonde le président de la Fédération nationale des victimes de la routes, Dominique Courtois. "Le gouvernement a dit 'C'est comme ça'. S'il avait mieux expliqué que la vitesse est cause mais aussi facteur aggravant d'accidents, qu'un accident fait basculer une victime, mais aussi une famille, dans le désespoir pour toute une vie, peut-être que les gens comprendraient mieux."
A la Sécurité routière, qui amplifie ses campagnes médiatiques à l'approche du 1er juillet, on admet "une pédagogie particulièrement difficile". "Les gens comprennent facilement les dangers du téléphone ou de l'alcool. Mais le lien entre la baisse de la vitesse et la baisse des accidents fait appel à des notions, des études scientifiques plus difficiles à concevoir", fait valoir le délégué à la Sécurité routière Emmanuel Barbe, qui a sillonné la France ces derniers mois pour expliquer la mesure.