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Rozenn Merrien, présidente de l’Andev : "Le risque, c’est une secondarisation du primaire"

Ce mercredi 3 avril 2019, Jean-Michel Blanquer a écrit aux directeurs d'école pour leur apporter "toute garantie" sur "le maintien de la fonction de directeur d'école". Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 19 février, le projet de loi "pour une école de la confiance" a soulevé des inquiétudes, notamment l’article 6 quater qui permet de créer des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPLSF). Cet amendement institutionnalise l’école dite "du socle" et doit permettre le regroupement d’écoles avec un collège au sein d’un même établissement, à l’initiative des collectivités territoriales de rattachement. Un aspect salué par la présidente de l’Association nationale des directeurs de l'éducation des villes (Andev) qui invite à travailler sur "la gestion des transitions entre le premier et second degrés". Elle regrette toutefois une "méthode verticale".  Prochaine étape pour le texte : mi-mai, devant le Sénat.   

Localtis. Le 11 mars 2019, 70 directeurs et directrices ont diffusé un appel relayé dans Le Monde, sensibilisant "sénateurs, maires, parents, citoyens au risque créé par cet amendement d’une disparition du service de proximité de l’école". Quelle est la position de l’Andev concernant les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPLSF) ?
 
Rozenn Merrien. Tout d’abord, je tiens à rappeler que nous n’en sommes qu’à l’étape du projet de loi. Plusieurs éléments peuvent encore être discutés, modifiés. Il est certain que l’école et les directeurs et directrices sont les maillons essentiels du service public d’éducation, proches des lieux de vie des habitants, tout particulièrement en milieu rural ou encore dans les grands ensembles urbains. 
Sur l’objet particulier des EPSF, nous prônons le maximum de continuité éducative entre le premier et le second degré. Nous appelons à un travail de réflexion pour favoriser la transition entre le premier et le second degrés dans l’esprit de ce qui pourrait être fait avec le dispositif des cités éducatives, qui vise à organiser un "écosytème éducatif" des acteurs autour de l’école : enseignants, parents, animateurs, travailleurs sociaux, professionnels des PMI, etc. Tous ceux qui peuvent contribuer à la continuité éducative dès la maternelle. Chacun dans son rôle, mais en recherchant la cohérence et l’efficacité sur la durée.

Selon l’exposé de l’amendement, il s’agit de faciliter le parcours et le suivi individuel des élèves de la petite section à la troisième... 
En effet, la gestion des transitions est primordiale dans le parcours de l’enfant. Toute rupture peut s’avérer problématique : l’éloignement des collèges en zones rurales et périurbaines, le changement des conditions d'enseignement : l’enfant évolue d’une relation sécurisante avec un enseignant à une organisation par discipline avec plusieurs professeurs. La taille des équipements scolaires aussi peut impressionner. Au primaire, il y a au plus dans les plus grandes écoles 300 élèves, au collège c’est fréquemment le double. Cela crée une appréhension ; il y a un besoin d’organiser cette transition, en renforçant ce qui existe déjà dans le cadre des conseils école-collège et le cycle 3 CM1/CM2/6e, par exemple. 

Manque d'association des partenaires, mépris pour l’échelon de la commune, les critiques à propos de l’approche gouvernementale pleuvent...

Sur les territoires, la création des établissement publics des savoirs fondamentaux crée des tensions chez les enseignant(e)s et les directeurs -rices. La méthode très verticale, le manque de concertation, engendre des crispations. L’introduction des EPSF via amendement ne favorise pas la sérénité du climat…
Des clarifications sont nécessaires sur le positionnement et le rôle des directeurs vis-à-vis du collège. L’amendement prévoit qu’un adjoint au principal du collège assurera la coordination entre le premier et le second degré, accompagné sur le suivi pédagogique des élèves, l’animation du conseil des maîtres par les directeurs d’école mais le texte ne précise pas combien. N’y aura-t-il qu’un directeur ou plusieurs rattachés au principal adjoint du collège ? La question relative au statut du directeur est ancienne. Leur rôle dans la relation de proximité aux familles, l’accompagnement et le suivi des enfants est prépondérant. Les directeurs et directrices participent également aux transitions entre la petite enfance et la maternelle. Ils sont légitimement en attente de reconnaissance et d’une évolution de leur statut. 
La création des établissements publics des savoirs fondamentaux n’est pas une organisation qui a vocation à se déployer sur tout le territoire national. Ils sont conditionnés à un accord préalable entre l’État et les collectivités…Il sera essentiel d’expérimenter ce dispositif, d’en évaluer les impacts sur le pilotage, la gouvernance et également les métiers. 

Quel est le risque ? 
Il pourrait y avoir un risque de "secondarisation" du primaire. Nous devons veiller à ce que les spécificités de l’enseignement en primaire soient respectées, permettant d’accéder dans les meilleures conditions à l’autonomie attendue au collège. Il faut veiller également au respect et à la reconnaissance des cultures professionnelles différentes entre le premier et le second degré. En définitive, nous devons veiller à ce qu’on laisse aux enfants le temps de grandir et de se construire ! 

Jean-Michel Blanquer apporte "toute garantie" sur "le maintien de la fonction de directeur d'école"

Après avoir écrit aux enseignants, c'est aux directeurs d'école que le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, s'est adressé par lettre mercredi 3 avril 2019, pour calmer les inquiétudes causées par son projet de loi, leur garantissant le maintien de leur fonction, à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation. Des mesures de la loi "pour une école de la confiance", votée à l'Assemblée et attendue en mai devant le Sénat, "ont été caricaturées ou ont donné lieu à des erreurs d'interprétation", écrit le ministre. Loin d'"une quelconque menace" sur l'école maternelle, "c'est tout le contraire qui se met en place", assure Jean-Michel Blanquer. Il apporte "toute garantie" sur "le maintien de la fonction de directeur d'école".
Plusieurs points du projet de loi suscitent l'inquiétude de la communauté éducative, dont notamment la création d'"établissements publics locaux d'enseignement des savoirs fondamentaux" (EPSF). Les syndicats et enseignants y voient la mise sous tutelle des écoles et la disparition des directeurs d'école, lien indispensable entre les familles, les élus et l'école. 
Dans sa lettre de mercredi, Jean-Michel Blanquer souligne que les EPSF dépendront de "l'accord de la municipalité et du conseil d'école" et reposeront donc sur le volontariat.
Le ministre reçoit par ailleurs ces jours-ci les organisations syndicales, opposées au projet de loi, qui ont appelé à une nouvelle mobilisation des enseignants ce jeudi. Quelque 36.000 personnes étaient descendues dans la rue samedi et la grève du 19 mars avait été largement suivie (un quart des instits selon le ministère, 40% selon les syndicats).  Le SNUipp-FSU, premier syndicat dans le primaire, prévoit une forte mobilisation dans les zones très urbaines, notamment la région parisienne, où plusieurs écoles ont prévenu les parents qu'elles seraient fermées. "On continue de mobiliser pour peser sur la rédaction, voire l'abandon, de ce projet de loi", explique Régis Metzger, co-secrétaire général du SNUipp-FSU.