Séquestration du carbone : le gouvernement veut identifier des sites d'enfouissement

Les 50 industriels les plus gros émetteurs de CO2 ont remis au gouvernement leur "feuille de route" de décarbonation, lors du Conseil national de l'industrie réuni vendredi dernier à l'occasion du salon du Bourget. Celles-ci doivent à présent se traduire dans des "contrats de transition écologique". La Première ministre a, à cette occasion, présenté une stratégie de "capture, stockage et utilisation du carbone" (CCUS). L'enjeu : constituer des "autoroutes du carbone" et définir des lieux de stockage et de séquestration du carbone. Élisabeth Borne en a profité pour annoncer l'élargissement des Territoires d'industrie aux métropoles.

En plein débat au Parlement sur le projet de loi Industrie verte, la Première ministre, Élisabeth Borne, a présidé, vendredi 23 juin, un conseil national de l'industrie (CNI) consacré à la planification écologique, en direct du salon aéronautique du Bourget. Salon où il a beaucoup été question de l'avion vert (voir notre article). À cette occasion, les 50 industriels les plus gros émetteurs de CO2 ont remis leur "feuille de route" de décarbonation, comme l'avait demandé le président de la République le 8 novembre 2022, sachant que ces sites (métallurgie, matériaux, agroalimentaire, chimie), représentent à eux seuls 55 % des émissions industrielles et près de 20% des émissions nationales. Avec une forte concentration autour de Dunkerque et Fos-sur-Mer. Dans ces feuilles de routes, ils s'engagent à réduire de 45% leurs émissions de CO2 d'ici 2030, et de 80% d'ici 2050, comme le prévoit la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Elle-même s'inscrivant désormais dans le plan européen Fit for 55, qui vise à diviser par deux les émissions industrielles en dix ans et à atteindre la neutralité carbone en 2050. Une troisième version de la stratégie nationale est en préparation.

"Il s’agit d’une démarche donnant-donnant pour inciter les industriels à se doter d’une trajectoire climatique ambitieuse en échange d’un engagement de soutien financier massif de la part de l’État", souligne Bercy, dans son dossier de presse, précisant que les 50 feuilles de route vont pouvoir "être concrétisées par la signature de 'contrats de transition écologique' entre les industriels les plus émetteurs et l’État".

Un investissement de 50 milliards d'euros d'ici 2030

La décarbonation de l'industrie nécessitera des investissements très lourds, notamment pour électrifier des procédés, capter le carbone et se passer des énergies fossiles, en attendant des solutions nouvelles comme l'hydrogène. Selon le gouvernement, le coût de ces investissements se monterait à 50 milliards d'euros d'ici à 2030. Une première enveloppe d'aides publiques d'un milliard d'euros a été débloquée lors du CNI : 250 millions d'euros pour des projets "de petite et moyenne ampleur" et "750 millions d'euros" pour des "projets de plus grande ampleur, reposant sur des technologies émergentes", a précisé Élisabeth Borne, citée par l'AFP.

La Première ministre a également présenté une stratégie de "capture, stockage et utilisation du carbone" (CCUS) pour les industriels qui ne parviendront pas à éliminer toutes leurs émissions de gaz à effet de serre de leurs processus de fabrication. Cette stratégie fait l'objet d'une consultation jusqu'au 29 septembre 2023. L'enjeu : contribuer à la décarbonation de l'industrie en captant le CO2 en sortie d'usine, avant qu'il ne s'échappe dans l'atmosphère. Le CO2 peut alors être stocké à grande profondeur dans les couches géologiques ou bien réutilisé comme ressource, pour la production d'engrais par exemple. Plusieurs expérimentations sont actuellement menées dans le monde, notamment en Norvège et aux Pays-Bas. En France, le groupe Lhoist travaille à un projet de captage pour son site de Réty (Pas-de-Calais), plus grosse usine de production de chaux en France. "Le gaz capté, une fois compressé et purifié, serait ensuite transporté vers une plateforme d'exportation à Dunkerque puis expédié pour être stocké géologiquement en mer du Nord", précise Bercy. Mais attention, a prévenu la Première ministre, ces technologies de pointe ne sont pas toutes éprouvées et elles seront réservées à des émissions "incompressibles", ne pouvant pas être éliminées en amont.

Autoroutes du carbone

Dans un premier temps, l'enjeu de cette stratégie CCUS sera de "réaliser des 'autoroutes du carbone', pour collecter le carbone capturé sur les sites industriels, puis le déplacer des grands sites industriels vers les trois ports que sont Fos, Le Havre et Dunkerque - qui ont vocation à devenir des 'hubs' du CO2 au niveau national", a précisé le ministre délégué à l'industrie Roland Lescure, dans un entretien aux Échos daté du 23 juin. Ces "carboducs" constitueront les "infrastructures du XXIe siècle", souligne-t-il. Il s'agira ensuite "d'identifier les sites possibles d'enfouissement, d'abord dans les gisements de gaz naturel vides en mer du Nord, et plus tard pourquoi pas en France". Ces sites pourraient être d’anciennes zones d’exploitation d’hydrocarbures. Un appel d'offres sera lancé avant la fin de l'année pour mener des campagnes d’exploration géophysique et des tests d’injection de CO2 dans des sites pilotes. Les premiers tests sont attendus courant 2024-2025. Le gouvernement travaille à un modèle économique pour la capture et la séquestration de CO2, sur la base de contrats pour différence (CCfD), comme c'est le cas aujourd'hui pour l'éolien. L'État pourrait apporter sa garantie aux futurs gestionnaires d’infrastructures afin de porter les risques de volume. Le dispositif prévu "sera prénotifié à la Commission européenne à l’automne 2023", précise Bercy.

Ce CNI a aussi été l'occasion pour Élisabeth Borne de rappeler les enjeux fonciers de la réindustrialisation avec un besoin de "20.000 hectares" pour accueillir les nouveaux projets d'ici 2030. Le gouvernement rappelle que la Banque des Territoires mobilise un milliard d'euros sur cinq ans pour proposer avec les collectivités une cinquantaine de sites dépollués et prêts à l'emploi. Il compte aussi sur les grands ports maritimes (Dunkerque, Fos-sur-Mer, Le Havre) qui "en raison de leur connexion avec les grands flux logistiques mondiaux" constituent une "réserve de foncier particulièrement stratégique". La Première ministre en a profité pour inviter les industriels a réhabiliter les milliers de friches héritées de la désindustrialisation. "Il y a entre 90.000 et 170.000 hectares de friches industrielles dans notre pays. Nous disposons donc du foncier nécessaire pour concilier réindustrialisation et sobriété foncière, mais à une condition : réhabiliter ces friches", a-t-elle lancé, toujours selon l'AFP.

Les Territoires d'industrie élargis aux métropoles

La Première ministre a enfin annoncé que lors de la deuxième phase, les Territoires d'industries s'élargiraient aux métropoles. Une nouvelle saluée par France urbaine qui militait en ce sens. "Les dynamiques industrielles ne doivent pas s’arrêter aux frontières administratives ou institutionnelles et doivent correspondre plutôt à la réalité des filières et à la cartographie d’écosystèmes qui impliquent entrepreneurs, chercheurs, entreprises, collectivités et agences de l’État", souligne l'association. "Dans les prochaines semaines, en partenariat avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires et la Banque des Territoires", elle proposera à ses adhérents de "s’impliquer pleinement dans cette nouvelle phase du programme Territoires d’Industrie".

La phase 2 du programme avait été annoncée par Emmanuel Macron, le 11 mai, lors de la présentation de son plan 
pour l'accélération de la réindustrialisation de la France avec, à la clé, une enveloppe de 100 millions d'euros par an (voir notre article du 12 mai). Le chef de l'État avait alors annoncé vouloir remodeler la carte des 149 Territoires d'industrie.