Service public de la petite enfance : les communes bientôt désignées autorités organisatrices

Pour concrétiser l’engagement de mise en œuvre d’un service public de la petite enfance, Elisabeth Borne a annoncé ce 1er juin 2023 un objectif de création de 100.000 nouvelles places d’accueil d’ici 2027 et un effort financier supplémentaire de 5 milliards d’euros. Les communes et intercommunalités deviendront "autorités organisatrices", ce que salue l’Association des maires de France, tout en s’inquiétant de la possibilité d’atteindre les objectifs fixés au vu des graves difficultés de recrutement dans le secteur.

 

"Nous allons construire, enfin, un service public de la petite enfance, qui va permettre d'offrir à chaque enfant les mêmes chances." Et les communes seront officiellement chargées de le piloter, en devenant autorités organisatrices de l'offre d’accueil du jeune enfant. C’est ce qu’a annoncé la Première ministre ce 1er juin 2023 à Angers, en clôture d’une matinée dédiée à la restitution du Conseil national de la refondation (CNR) sur le service public de la petite enfance qui avait démarré à l’automne dernier (voir notre article). Pour concrétiser l’engagement présidentiel sur le sujet, le gouvernement fixe un objectif de création de 100.000 places en plus d’ici 2027 (soit en moyenne, sur quatre ans, 25.000 nouvelles places par an), avec également un horizon fixé à 200.000 places en plus d’ici 2030.

L’objectif de 30.000 places supplémentaires entre 2018 et 2022 "n’a pas été tenu"

Pour l’Association des maires de France, cette "reconnaissance du rôle des maires" dans un domaine qu’ils ont déjà largement investi est "une satisfaction", réagit Clotilde Robin, adjointe au maire de Roanne et co-présidente du groupe travail petite enfance de l’AMF, interrogée par Localtis. Il y a toutefois "une inquiétude sur la façon dont on pourra tenir ces objectifs", poursuit l’élue. Cette dernière rappelle que l’ambition fixée dans la précédente convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), pour 2018-2022, était de créer 30.000 places dans des crèches et que "ça n’a pas été tenu". Environ 15.000 places ont été créées sur cette période, chiffre duquel il faudrait déduire la baisse (de l’ordre de 10% par an) des effectifs d’assistantes maternelles.

Actuellement, 1,3 million de places d’accueil sont proposées aux familles, dont 770.000 par des assistantes maternelles et 458.000 places dans des crèches. L’objectif de création de 100.000 places supplémentaires d’ici 2027 paraît "totalement" irréalisable à Cyrille Godfroid, secrétaire général du syndicat national des professionnels de la petite enfance, rapporte l’AFP. Ces chiffres annoncés par le gouvernement sont "un peu arbitraires", estime Clotilde Robin, qui rappelle que l’AMF avait demandé à être associée à l’estimation des besoins, y compris à une échelle départementale dans le cadre des comités départementaux de services aux familles.

Une hausse de 5,5 milliards d’euros en cumulé sur la période 2023-2027

Afin de parvenir à un tel volume de places nouvelles, Elisabeth Borne annonce un effort "de 5 milliards d’euros supplémentaires pour la petite enfance d’ici la fin du quinquennat". Plus précisément, selon son cabinet, "le budget supplémentaire va monter en charge (en même temps que les créations de places) pour finalement représenter 1,5 milliards d’euros de plus par an à compter de 2027". Cela représenterait une hausse cumulée de 5,5 milliards d’euros entre 2023 et 2027, contre une augmentation de 400 millions d’euros pour la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). En 2022, le financement de l’État au titre de l’accueil du jeune enfant était de l’ordre de 4 milliards d’euros par an, resitue l’entourage de la Première ministre.

Ces chiffres seront détaillés dans la COG 2023-2027, encore en cours de négociation. "Elle sera conclue au début de l’été, afin de permettre son plein déploiement dès la rentrée", peut-on lire dans le dossier de presse diffusé ce jour sur le service public de la petite enfance. 

A ce stade, l’AMF relève qu’elle n’a pas de visibilité sur la répartition de ces fonds, entre le soutien à l’investissement (bâtiments, etc.) et le financement du fonctionnement. Et demande à l’État de ne pas négliger ces frais de fonctionnements "induits par le développement de nouvelles places", selon Clotilde Robin, qui rappelle que le reste à charge des communes est déjà "important".

Un schéma dans les communes de plus de 3.500 habitants, un relai petite enfance dans les villes de plus de 10.000

Au-delà des moyens, le gouvernement mise donc sur une clarification des responsabilités en attribuant une compétence désormais obligatoire au bloc communal. Ce volet de la réforme figurera dans le projet de loi plein emploi qui sera présenté au conseil des ministres le 7 juin 2023. Les communes, ou les intercommunalités en cas de transfert de compétence, devront recenser les besoins d’accueil et l’offre disponible sur le territoire, compléter cette offre, informer et orienter les familles. "Dans les plus grandes communes, un schéma stratégique sera mis en place, pour définir une trajectoire de développement de l’offre, adaptée aux besoins des familles", détaille la Première ministre. Selon son cabinet, les communes de plus de 3.500 habitants seraient concernées pour ce schéma.  Les villes de plus de 10.000 habitants seront également tenues de monter un relai petite enfance pour faciliter l’information et l’orientation des familles. Les CAF pourraient également prendre la main, en cas de défaillance de la commune, selon le cabinet.

Ainsi "les modalités d'exercice de la compétence seront différenciées" en fonction de la taille de la commune et donc du nombre de jeunes enfants concernés, précise encore le cabinet. Pour répondre à "la demande des petites communes de bénéficier d’un accompagnement renforcé pour lancer des projets nouveaux (…), 100 postes seront créés dans les caisses d’allocations familiales pour des missions d’aide à l’ingénierie", indique la cheffe du gouvernement. Un soutien insuffisant, pour l’élue roannaise qui considère que "les CAF locales ont été vidées de leur personnel" et qu’il s’agit donc d’"un petit rattrapage de tout ce qui a été perdu"

Un fonds de 70 millions d’euros sur la qualité d’accueil et une mission sur la lutte contre les maltraitances

Le manque de bras pour le secteur constitue d’ailleurs le véritable point d’inquiétude des élus. "Même quand on a la volonté de créer des places localement et qu’on s’y est parfois engagé lors de la campagne électorale, on ne peut pas toujours tenir ces objectifs" du fait des difficultés de recrutement et, dans une moindre mesure, du manque de foncier disponible, explique Clotilde Robin.

A ce stade, le gouvernement reste flou sur ce sujet de l’attractivité, la Première ministre déclarant simplement que "la formation initiale et continue sera renforcée". Pour le cabinet, l’enjeu sur la formation est à la fois quantitatif et qualitatif : former plus de professionnels et les former mieux. Sur ce sujet comme sur celui des contrôles, la concertation se poursuit jusqu’à fin juin avec les acteurs concernés, dont les régions et les départements.

"Nous allons renforcer nos capacités d’alerte, de contrôle et de suivi en cas de suspicion de maltraitance", appuie toutefois Elisabeth Borne, suite au rapport très alarmiste de l’Inspection générale des affaires sociales d’avril dernier sur la qualité de l’accueil (voir notre article). Il s’agira notamment d’"instaurer une fréquence minimale de contrôle pour les crèches, en limitant dans le temps leur durée d’autorisation", ajoute-t-elle. Selon l’entourage de la Première ministre, l’amélioration du contrôle passe par une meilleure coordination de l’ensemble des acteurs publics impliqués – protection maternelle et infantile (PMI) du département, CAF et trois services déconcentrés de l’État. Une mission est aussi confiée à Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, pour permettre le "déploiement rapide et efficace des solutions pour lutter contre la maltraitance".

Un fonds de 70 millions d’euros sera également dédié à l’amélioration de la qualité d’accueil, "en complément du ‘Fonds d’innovation pour la petite enfance’ doté de 10 millions d’euros, destiné à financer les territoires accélérateurs de la nouvelle politique d’accueil du jeune enfant", est-il précisé dans le dossier de presse. Une annonce que salue l’AMF.

Alors que cette réforme importante figurera donc dans la future loi "plein emploi", le gouvernement insiste enfin sur le frein à l’emploi important que représente aujourd’hui le manque de solutions de garde. Et la Première ministre annonce le développement de 1.000 nouvelles crèches labellisées Avip (à vocation d’insertion professionnelle), permettant de privilégier l’accueil d’enfants dont les parents sont en recherche d’emploi et de proposer des amplitudes horaires plus importantes. Les crèches labellisées sont aujourd’hui au nombre de 700.

  • Quelle place pour l'interco ?

Si le gouvernement parle de "bloc local" et inclut ainsi de fait l'échelon intercommunal, c'est bien la commune qui a été principalement mise en avant. De quoi faire réagir Intercommunalités de France, qui dit regretter "que le dispositif ne tienne pas compte de l’existence de centaines de services déjà organisés à l’échelle intercommunale", sachant qu'"au moins un tiers des intercommunalités sont compétentes en matière d’accueil du jeune enfant". "Un grand nombre de services d’accueil et de guichets uniques existent d’ores et déjà à l’échelon intercommunal, en lien étroit avec les communes", et "près de deux tiers des intercommunalités ont signé une convention territoriale globale (CTG) avec leur caisse d’allocations familiales et mettent en place une stratégie transversale sur les questions liées à la petite enfance et aux jeunesses", poursuit l'association dans un communiqué diffusé ce 1er juin. Il est donc selon elle essentiel que les intercommunalités "qui assurent déjà la compétence" puissent "automatiquement disposer du statut d’autorité organisatrice". L'enjeu serait particulièrement important "pour les territoires ruraux et péri-urbains où les modes de vie des habitants et les déplacements domicile-travail se font à l’échelle du bassin de vie".