Services publics dans les territoires ruraux : l'accès aux services de santé polarise les débats

Comment faire mieux avec moins ? Alors que le gouvernement vient de publier son décret annulant 10 milliards d'euros de crédits dans le budget de l'État pour 2024, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure répondait aux questions des députés concernant l'accès aux services publics dans les territoires ruraux, dans le cadre d'un débat organisé à l'Assemblée nationale mardi 27 février 2024. Parmi les inquiétudes, celles relatives à l'accès à la santé et à la fibre ainsi que les fermetures de classes dominent. 

"La semaine dernière, le gouvernement a rayé d’un trait de plume 10 milliards d’euros pour les services publics", regrette le député Bertrand Petit (SOC) estimant que cette "cure d’austérité" imposée "n'épargne" aucun service public dans les territoires ruraux. Des territoires ruraux qui représentent, rappelons-le, 91,5% du territoire français, 88% des communes et où vivent 33% des citoyens. A la question de savoir "comment faire mieux avec moins ?", la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure joue carte sur table : "il faut être conscient de la situation des finances publiques : notre dette s’élève à 3.000 milliards d’euros et le montant des frais financiers, qui est de 40 milliards à ce jour, atteindra 70 milliards en 2027 ! Nous devons donc suivre la trajectoire européenne si nous voulons que la note de la France ne soit pas dégradée". Voilà au moins une réponse qui a le mérite de la transparence.
Pour autant, si "aucun service public n'est "épargné" par cette "cure", comme l'affirme le député du Pas-de-Calais, ce sont surtout les questions dans l'accès au service public de la santé dans la ruralité qui ont dominé, lors de la séance de questions au gouvernement du mardi 27 février 2024.

Le quatuor derrière les maisons de santé

"Je m’étonne de commencer mon propos relatif à la santé en vous disant à quel point nous avons besoin des collectivités territoriales", a déclaré Dominique Faure. Elle rappelle l’objectif de doubler le nombre de maisons de santé : 4.000 d’ici à 2027. Et de décrire la recette qui selon elle fonctionne : "parmi les 125 maisons de santé que j’ai visitées, celles qui se trouvent en ruralité sont celles gérées par un quatuor composé de la collectivité à l’initiative du projet – intercommunalité, commune –, de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), qui comprend des professionnels de santé libéraux exerçant sur le territoire, de l’ARS et du préfet". "Grâce à ce quatuor, auquel le département et la région peuvent être associés, on arrive à bâtir un projet de maison de santé", se félicite la ministre, glissant au passage que "pour peu que la région ou l’intercommunalité décide de salarier les médecins, […] le projet se réalisera".

Stéphanie Kochert (Horizons) reconnait pour sa part que la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, proposée par le député Frédéric Valletoux, est une première étape pour remédier aux inégalités territoriales de santé (notre article du 9 janvier 2024). La députée du Bas-Rhin estime en effet que ce texte fait du territoire de santé "l’échelon de référence de l’organisation locale de la politique de santé" et "réforme les conseils territoriaux de santé (CTS) – qui sont, en liaison avec les agences régionales de santé (ARS), les organes de gouvernance des territoires de santé". Elle estime cependant qu'il faut changer notre mode de gouvernance en s’appuyant davantage sur les départements et les préfets.

100 médicobus partout en France d'ici la fin 2024

Par deux reprises lors de cette séance, la ministre va par ailleurs citer les médicobus. "L’un des quatre axes du plan France ruralités comporte trente solutions de proximité, dont l’une consiste à déployer dès à présent 100 médicobus partout en France d'ici la fin 2024", souligne Dominique Faure invitant départements et intercommunalités à s’en saisir et rappelant que l’ANCT pilote le projet.
Elle rappelle que le zonage France ruralité revitalisation (FRR) propose des exonérations fiscales et des déductions de charges sociales à tout médecin qui voudrait s’installer dans 17.500 – sur 28.000 au total – communes rurales, lesquelles deviennent donc plus attractives.
Elle incite aussi les élus locaux à se saisir d'un dispositif méconnu de renforcement de l’action des ARS dans les territoires – au moyen d’un décret leur permettant de déroger aux normes réglementaires – afin de répondre à un besoin particulier local.

Le plan France ruralités ne se déploie que depuis le 1er janvier 2024

Pour Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES), le "gouvernement n’a pourtant rien entrepris pour que tous les habitants et toutes les habitantes disposent enfin d’un service d’urgences et de santé à moins de vingt minutes de leur domicile". Pire, "il laisse fermer, à l’instar des classes d’école, des services essentiels de proximité – d’urgences, de maternité ou de psychiatrie". La ministre s'en défend et plaide en faveur du temps : "le plan France ruralités ne peut d’ores et déjà produire des services publics pleinement fonctionnels, puisqu’il a été annoncé le 15 juin 2023" et qu'il se déploie depuis le 1er janvier 2024 (notre article du 15 juin 2023). Idem pour le programme "Villages d’avenir" qui implique de l’ingénierie pour les collectivités. "Elles en sont à la fin de la phase de recrutement et de formation : il portera ses fruits demain". "Charge aux départements, collectivités et intercommunalités de s’en saisir", insiste de nouveau la ministre (notre article du 9 janvier 2024).
 

Fibre pour tous en 2025 : "Vous affirmez que nous n’y parviendrons pas ; peut-être avez-vous raison"

S’agissant de la couverture numérique, le député Yannick Monnet (GDR-NUPES) s'inquiète de savoir si la promesse d’Emmanuel Macron d’apporter la fibre à tous en 2025 sera tenue. "Dans les zones rurales, le déploiement de la fibre plafonne – le taux de raccordement est de 74% – parce que le raccordement de certains territoires est jugé trop coûteux et trop compliqué et que les aides de l’État demeurent insuffisantes pour remédier aux difficultés des réseaux d’initiative publique", rappelle le député de l'Allier.
"Vous affirmez que nous n’y parviendrons pas ; peut-être avez-vous raison", lui concède Dominique Faure (notre article du 27 février 2024), soulignant toutefois l'engagement du gouvernement à hauteur de 3,5 milliards pour garantir une couverture numérique par la fibre optique de l’ensemble du territoire national d’ici à 2025. "Nous reviendrons vers vous, le cas échéant, pour vous exposer ce que nous envisageons de faire afin d’achever le déploiement". La ministre préfère attirer l'attention sur les 3.800 conseillers numériques formés qui sont en poste depuis 2021. "Ils ont souvent été recrutés par des intercommunalités ou des mairies et ont permis de réaliser 3,2 millions d’accompagnements auprès de 2 millions de citoyens".

Education : "en réalité, le dialogue est très difficile"

Sur le thème de l'éducation, Pierre Dharréville (GDR-NUPES) estime que "l'annulation annoncée de 691 millions d’euros de crédits, dont 592 millions pour l'enseignement public, va accroître les difficultés rencontrées par les enfants, en zone rurale comme en zone urbaine ou périurbaine" et mentionne que "la suppression de 650 postes dans l’enseignement primaire a suscité, partout en France, la mobilisation de parents d’élèves, d’enseignants et d’élus locaux".

Ce à quoi Dominique Faure lui répond "qu'il convient de prendre conscience de la baisse de la démographie française".  C'est la "raison pour laquelle le président de la République appelle de ses vœux un réarmement démographique", poursuit-elle. Elle établit ensuite un parallèle risqué entre Paris qui "compte de moins en moins d’enfants" et où "on y ferme beaucoup de classes" et la "ruralité". Elle vante le "cousu main" qui permet à Saint-Étienne-sur-Usson, dans le Puy-de-Dôme de maintenir deux classes de neuf élèves, dont trois relèveraient d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis).

La ministre encourage au passage plus de dialogue entre l’éducation nationale, représentée par le Dasen dans les départements, les préfets, "qui connaissent bien les collectivités", et les élus locaux. "Les maires nous ont demandé d’anticiper les ouvertures ou les fermetures de classes. Nous leur avons donc annoncé, avec Pap Ndiaye et la Première ministre Élisabeth Borne, qu’ils auraient de la visibilité en la matière dès la rentrée 2024 et qu’ils pourraient ainsi adapter leurs travaux de réhabilitation aux garanties qu’ils recevront".  Des instances de dialogue visant à informer, à écouter et à comprendre les spécificités ont été installées – certes, pas encore partout – et un bonus a été créé pour encourager les regroupements pédagogiques intercommunaux.

Mais selon Christophe Naegelen (LIOT), "en réalité, le dialogue est très difficile". "Le Dasen se voit imposer par son recteur, qui agit lui-même sur instruction de son ministre de tutelle, l’obligation de supprimer des postes", estime le député des Vosges qui réfute la possibilité "de faire du cousu main" mais se félicite de l'existence du dispositif des territoires éducatifs ruraux étendu sur l'ensemble de son territoire.