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Smart territoire : une boîte à outils pour accompagner les collectivités dans leur transformation

Trop souvent considérés comme l'apanage des métropoles, les projets dits "smart" sont encore discrets dans l'agenda politique des petites et moyennes collectivités. A l'occasion du lancement du guide méthodologique "Construire son smart territoire", destiné aux élus et aux agents territoriaux, la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (Firip) et France Stratégie organisaient le 22 mai une matinée d'échanges sur le sujet.
 

La Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (Firip) a rendu public, à l'occasion d'un colloque co-organisé avec France Stratégie le 22 mai, un guide méthodologique afin de proposer aux élus et techniciens territoriaux des pistes concrètes de mise en oeuvre d'un projet de territoire intelligent. En partenariat avec la Caisse des Dépôts et le Commissariat général à l'égalité des territoires, la Firip s'est ainsi donné l'occasion de préciser les enjeux et les leviers de développement qui permettent de structurer de tels projets, à l'heure où sont lancés les projets de réseaux d'initiative publique (RIP) de troisième génération qui devraient assurer la connectivité nécessaire aux ambitions de ces territoires innovants. “Utiliser les données de façon intelligente, collaborative et interactive”, tel est le sens de la smart city défini par Julien Delmouly, délégué général adjoint de la Firip.

De nombreux freins au développement des territoires intelligents

Les intervenants de ce colloque, relevant les problématiques qui entravent le développement des approches smart à l'échelon territorial, ont avant tout insisté sur les freins économiques, dans un cadre budgétaire contraint qui laisse peu de marge d'action aux décideurs publics. Myriam Quéméner, avocat général auprès de la Cour d'Appel de Paris, a quant à elle souligné l'importance des freins juridiques - particulièrement à l'approche de l'entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur la protection des données (RGPD).
“Nos territoires doivent passer d'une logique de maîtrise d'ouvrage, basée sur l'informatique, à une maîtrise d'usage, basée sur le numérique et la transversalité”, a expliqué l'ancien député Luc Belot, rapporteur de la Loi sur la République Numérique et auteur d'un rapport sur les "territoires d'intelligences(s)". Il est venu rappeler la nécessité - et la difficulté - pour les collectivités de dépasser les cloisonnements entre différents secteurs d'activité d'une collectivité, y compris dans les métropoles, afin d'opérer un désilotage organisationnel favorable à l'élaboration d'une stratégie d'innovation territoriale. Dans une analogie éclairante, Luc Belot a averti les élus quant au caractère illusoire de certaines ambitions "intelligentes" : lorsque Netflix interroge ses utilisateurs sur les programmes qu'ils souhaitent visionner, ces derniers tendent à citer des chefs d'oeuvre de maîtres tout en persistant dans la consommation de produits grand public... Alors de même, dans le monde des collectivités, il faut veiller, explique l'expert, à la justesse des réponses apportées face à des besoins réels et non fantasmés. Pour évaluer cette pertinence de l'action publique, Julie de Brux, du cabinet Citizing, a présenté les méthodes actuelles d'analyse des projets de smart territoire.

Au-delà de la rentabilité financière, les gains socio-économiques des projets smart

La méthode d'évaluation socio-économique historiquement utilisée dans le domaine des transports s'applique efficacement aux projets de smart territoires : au-delà de la mesure de rentabilité à travers le seul prisme financier, sont pris en compte l'ensemble des impacts d'un projet sur les usages réels, appréhendés comme des externalités souvent non monétaires : gains de temps, pollution moindre, fluidité de circulation. L'évaluation du projet de stationnement intelligent de Strasbourg intègre - en plus des recettes perçues sur le stationnement - le gain de temps des usagers lors de la recherche d'une place, l'amélioration en termes de santé publique du développement de modes de mobilité plus toniques, ou encore la diminution de la pollution sonore due au nombre moins élevé de véhicules en circulation.
A l'origine de cette méthode d'évaluation, un constat majeur : en période de budgets restreints, les collectivités entendent consacrer leurs moyens à des projets réellement utiles. Dans ce cadre, l'analyse socio-économique se révèle être un outil d'aide à la décision pertinent et performant. Ce qui ne doit toutefois pas empêcher un décideur d'assumer un déficit au regard de la qualité du service rendu.

Une boîte à outils pour les décideurs des petites collectivités : les facteurs-clés de succès des projets smart territoire

Construit comme une boîte à outils opérationnelle, le guide "Construire son smart territoire" s'adresse à toutes les collectivités territoriales, et plus particulièrement aux petites et moyennes communes. Les pistes proposées s'inscrivent dans l'observation des évolutions sectorielles de la ville intelligente : on y apprend que si la connectivité et l'e-administration restent les sujets les plus mobilisateurs en la matière, les stratégies de maîtrise de la donnée (open data, outils d'aide à la décision) s'imposent de plus en plus dans les priorités de développement intelligent, RGPD oblige. Par ailleurs, la sécurité et l'énergie tendent à gagner du terrain face aux thématiques du développement économique et de la mobilité, sans doute déjà largement exploitées dans la définition de tels projets.
Le guide identifie ensuite les "déclencheurs" classiques du programme de territoire intelligent - faire des économies, profiter du renouvellement d'un contrat de délégation -, en puisant dans les initiatives de quelques métropoles (Lyon, Lille, Rennes, Nice, Dijon, Besançon) et surtout de nombreuses collectivités nettement plus petites (Saint-Amand Montrond, Ambérieu-en-Bugey, Albertville, Le Perray-en-Yvelines, Saint-Léon-sur-Vézere).

Une méthodologie concrète pour un smart territoire

Trois étapes sont proposées dans ce guide afin de mener à bien un projet d'innovation territoriale de manière pragmatique : un état des lieux des infrastructures et services numériques disponibles, une évaluation de l'impact socio-économique du projet envisagé, et enfin l'élaboration d'une feuille de route structurée autour de projets financièrement rentables et rapidement réalisables, afin de susciter l'adhésion des équipes et des usagers. Il est recommandé de ne pas attendre la finalisation de cette feuille de route pour lancer quelques opérations pilotes. A ce stade de la définition stratégique du projet, le guide met en garde sur certains points de vigilance potentiellement bloquants comme l'insuffisance du cadrage du projet et de l'examen des contraintes juridiques, ou encore le manque de partenaires publics et industriels. “Il ne faut pas que chaque territoire soit le laboratoire du monde, il faut faire preuve de bon sens et de pragmatisme”, a abondé en ce sens Stéphane Lelux, du cabinet Tactis.
En réponse sont présentées les “clés du succès” du projet : le montage d'une gouvernance transversale, la mobilisation des partenaires privés, l'implication des citoyens, le désilotage des capteurs et systèmes de données, et enfin la mise en oeuvre d'une gouvernance de la donnée afin de clarifier les conditions d'ouverture et de mise à disposition des multiples jeux de données produits au sein du territoire intelligent. En matière de mutualisation, Sophie Houzet, directrice générale du SICTIAM, a rappelé l'importance de privilégier des solutions en marque blanche que chaque acteur puisse s'approprier et personnaliser sans devoir la recréer.

Replacer le citoyen au cœur des territoires

Les participants au colloque sont unanimement revenus sur la nécessité de replacer le citoyen “au cœur des dynamiques de développement”. De fait, avec la parution de ce guide, la Firip entend prendre un virage décisif en s'émancipant du domaine des infrastructures de réseau pour s'engager dans une culture des usages numériques, c'est-à-dire celle des flux de données, d'informations et de communications, avec des approches centrées sur l'usager. Etienne Dugas, le président de la Firip, l'a souligné en conclusion : "Le smart territoire, c'est mieux vivre ensemble."

 

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