Stations de ski : la Cour des comptes pour un fonds d'adaptation au changement climatique

Dans son rapport "Les stations de montagne face au changement climatique", la Cour des comptes évoque un modèle qui s'essouffle et plaide pour une solidarité financière entre collectivités afin de réussir leur adaptation. Les élus locaux de la montagne estiment que ce travail minimise l'effort engagé depuis de nombreuses années par les stations.

Une réorientation de la dépense publique pour assurer la survie des stations de ski dont le modèle "s'essouffle", c'est ce que prône la Cour des comptes dans son rapport "Les stations de montagne face au changement climatique" publié ce 6 février. Issu de contrôles réalisés par plusieurs chambres régionales des comptes sur 42 stations de ski des Alpes, des Pyrénées, du Massif central et du Jura, ce rapport entendait "préciser les conséquences du changement climatique sur le tourisme hivernal en montagne" et "examiner comment les stations s'y sont adaptées".

Car les stations de ski sont une affaire sérieuse en termes économiques. Avec  53,9 millions de journées-skieur, la France est la deuxième destination mondiale pour le tourisme hivernal. Et les 150.000 lits d'hébergement touristiques créés dans les années 1960 et 1970 en même temps que sortaient de terre des stations de sports d'hiver dans le cadre des plans neige lancés par l'État représentent 22,4% des nuitées touristiques en France. En outre, le secteur des remontées mécaniques, dont les communes assurent l'exploitation ou la délèguent, pèse 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel.

Toutes les stations touchées en 2050

La Cour des comptes met l'accent sur le fait que le modèle économique des stations de ski "s'essouffle" et qu'il est "durablement affecté par le changement climatique". Ce dernier a en effet entraîné depuis la fin des années 2000, "une diminution de l'activité ski" et "une inadaptation croissante du patrimoine immobilier des stations". Le tout ayant commencé "à fragiliser l'équilibre financier des remontées mécaniques et l'économie locale qui en découle pour partie".

Avec les "projections climatiques des scientifiques [qui] font état d'une accentuation du phénomène à moyen terme", il est à craindre "des conséquences plus marquées sur l'enneigement", pointe la Cour des comptes. Et si les stations de ski sont "inégalement vulnérables", toutes "seront plus ou moins touchées à horizon de 2050".

Face à ce phénomène, la cour déplore que "les politiques d'adaptation menées par les acteurs de la montagne reposent essentiellement sur la production de neige" et, dans une moindre mesure, "sur le développement d'activités de diversification".

Fausse neige, fausse solution

Or si "la production de neige permet de fiabiliser l'enneigement à court terme […] elle ne constitue qu'une protection relative et transitoire". De plus, la cour fustige le coût "important" de cette production, son impact "sous-estimé" sur les ressources en eau dans de nombreux territoires et son efficacité qui "tend à se réduire avec la hausse des températures".

Quant aux actions de diversification, elles ne sont que "rarement adossées à un véritable projet" et "tendent souvent à reproduire le modèle du ski, fondé sur des investissements importants et une forte fréquentation".

Plus globalement, les initiatives des collectivités territoriales sont "peu coordonnées entre elles" et "entraînent un risque de concurrence entre territoires". Au-delà des collectivités, ce sont l'État et les régions qui sont pointés du doigt. Quand la planification écologique du premier s'avère "peu opérationnelle pour le secteur touristique en montagne", les secondes se voient reprocher d'avoir "conforté les stratégies de renforcement de la production de neige sans tenir compte des perspectives du changement climatique".

Friches industrielles au cœur des montagnes

Mais ce que la cour nomme une "mal-adaptation" ne constitue pas la seule inquiétude face aux difficultés économiques des stations de ski. Un autre phénomène, plus définitif, s'est fait jour : près de deux cents installations inutilisées et non démontées sont aujourd'hui recensées en France, constituant autant de friches industrielles au cœur des montagnes. "Faute de provision dans les comptes des collectivités territoriales ou des exploitants, seules des initiatives ponctuelles et privées permettent de répondre en partie à l'enjeu de remise en état des sites fortement impactés par ces activités de loisirs", regrette la cour.

In fine, la Cour des comptes en appelle à "de véritables plans d'adaptation au changement climatique" et plaide pour que le soutien des financeurs publics soit "conditionné au contenu de ces plans", alors même que les financements publics perçus par les opérateurs des remontées mécaniques représentent en moyenne entre 23% et 28% de leur chiffre d'affaires.

Pour y parvenir, la France "aurait tout intérêt à promouvoir une organisation fédérant l'ensemble des acteurs concernés autour de projets de territoires et d'une gouvernance élargie, permettant de préserver les ressources et de valoriser les espaces naturels". Autrement dit, la cour plaide pour "une gouvernance des stations de montagne ne relevant plus du seul échelon communal". Cette organisation pourrait aller jusqu'à mettre en place "un fonds d'adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques". Pour la Cour des comptes, en effet, "les très fortes inégalités entre stations et le montant important des fonds publics déjà mobilisés justifieraient la mise en place d'une solidarité financière entre collectivités".

Rejet massif des élus

Sitôt paru, le rapport de la Cour des comptes a suscité une vive réaction de la part des acteurs des territoires de montagne. Dans un communiqué commun du 6 février, l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), l'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) et Domaines skiables de France (DSF) expriment "leur déception" face à une instance qui serait "restée sourde aux acteurs de terrain".

"La Cour des comptes minimise de manière importante l'effort d'adaptation des stations engagé depuis de nombreuses années. […] Ce rapport ne tient pas compte non plus de l'engouement persistant des clientèles pour les sports de neige, et plus globalement pour la montagne, ni des projections scientifiques très différenciantes qui tiennent compte des savoir-faire modernes de travail du manteau neigeux et qui améliorent considérablement la tenue des pistes de ski", écrivent-ils.

Les signataires critiquent également le recours à "un panel de 42 stations en large majorité petites et moyennes […] absolument pas représentatif de la diversité des situations dans les massifs français qui comptent à ce jour 320 stations de montagne". Selon eux, ce rapport "aurait pu faire apparaître les forces tout autant que les faiblesses d'un modèle qui, s'il doit certes évoluer, n'est pas sur le point de disparaître comme le laisse penser la Cour des comptes".