Commande publique - Suppression des remises-rabais-ristournes pour l'achat de fruits et légumes frais
La crise à laquelle est confrontée la filière des fruits et légumes frais depuis l’été 2009 a incité le gouvernement à instaurer un nouveau dispositif visant à protéger les producteurs locaux des pratiques, parfois abusives, de la grande distribution. Selon le ministère de l’Agriculture, ces pratiques "consistaient à forcer le fournisseur à l’octroi d’une réduction, sans réelle contrepartie". La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) du 27 juillet 2010 met donc en place un "programme national pour l’alimentation" visant notamment à promouvoir l’approvisionnement issu de circuits courts. Son article 14 dispose que depuis le 28 juillet 2011, "un acheteur ne peut plus bénéficier des remises-rabais-ristournes (RRR) pour l’achat de fruits et légumes frais".
Rappelons que les rabais sont des réductions sur le prix de vente accordées aux clients en raison d’un défaut de qualité des produits ou de non-conformité avec la commande ; les remises sont les réductions accordées aux clients qui achètent en grande quantité ; les ristournes sont des réductions sur le montant global des ventes d’une certaine période (mois, trimestre…).
Une loi d’ordre public économique d’application immédiate
Si certains acheteurs publics se demandent si cette nouvelle interdiction les concerne, la réponse est manifestement oui. En effet, l’article 14 de la LMAP, introduit à l'article L.441-2-2 du Livre IV du Code de commerce (L.441-2-2), dispose que "par dérogation aux dispositions de l'article L.441-2-1, un acheteur, un distributeur ou un prestataire de services ne peut bénéficier de remises, rabais et ristournes pour l'achat de fruits et légumes frais". A la lecture des débats parlementaires, il apparaît clairement que le terme "acheteur" a été introduit pour viser les acheteurs publics. Toute réduction du prix, qui pourrait apparaître comme un taux de remise, ne peut plus être appliquée depuis le 28 janvier 2011.
Qu’en est-il du contrat conclu antérieurement, dans lequel le fournisseur de fruits et légumes frais s’engage à accorder des RRR ? Selon le Code civil (art. 2), une loi n’est en principe pas rétroactive : les contrats conclus avant la nouvelle législation restent régis par les lois sous l’empire desquelles ils ont été signés. Cependant, les juges ont rappelé que par dérogation, la loi peut être d’application immédiate si elle concerne un impératif d’ordre public et qu’elle ne porte aucune atteinte excessive à la liberté contractuelle des parties (CE Ass., 8 avril 2009, Commune Olivet). Or, une loi relative aux prix présente un caractère d’ordre public économique renforcé (CE 29 juillet 1971, Sieur Emery, n°71932). L’article 14 de la LMAP serait donc d’application immédiate d’autant plus que sa violation est assortie de sanctions (L.442-6 du Code de commerce).
Que faire avec les marchés en cours conclus avant le 28 juillet 2011 ?
Cet article du Code de commerce ne remet pas en cause les règles prévues dans les cahiers des charges visant à permettre l'évolution des prix (ajustement ou révision) par référence à des mercuriales, indices, tarifs (applicables à l'ensemble de la clientèle ou à une clientèle déterminée). En conséquence, la révision des prix apparaît comme toujours possible. Une solution pourrait être de "redéterminer" le prix initial (le prix de base affecté du coefficient proposé dans l'offre) et de le faire évoluer de la manière suivante : Prix à payer (P) = nouveau prix de base (Pø) multiplié par le prix de référence à la livraison (Rl) divisé par le prix de référence initial (Rø) soit : P = Pø x R1/ Rø
Des précisions de la DAJ sont attendues dans les jours prochains
En attendant l'explication de texte de la Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie qui devrait arriver très prochainement, il semble urgent de ne pas se précipiter. Et en tout cas de ne pas dénoncer les marchés en cours. Pour cette période de transition, les acheteurs peuvent établir un avenant sur les bases énoncées ci-dessus ("aucun bouleversement de l'économie du marché" signé sur la base d'un cahier des charges).
Si le titulaire conteste cette position et refuse de signer un tel avenant, le marché initial peut être dénoncé à ses torts. En effet, dans cette situation le bouleversement de l'économie du marché serait effectif (des rabais de 10% et parfois jusqu'à 26% sont régulièrement constatés), la remise en cause des conditions de la mise en concurrence initiale serait réelle et la rupture de l'égalité des candidats face à la commande publique, patente.
Références : Art.14 de la loi n°2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ; art. L 441-2-2 du Code de commerce ; Communiqué du ministère de l’Agriculture.
Une loi, quels effets ?
Deux questions se posent. L'une concerne l’interprétation de la jurisprudence, l’autre relève plus des conséquences économiques.
Dans l’arrêt Olivet, les juges subordonnent l’application immédiate d’une loi à deux conditions cumulatives : qu’elle ait un caractère d’ordre public et qu’elle ne porte pas d’atteinte excessive à la liberté contractuelle. Si le caractère d’ordre public de la loi semble bien réel (elle touche aux prix), le degré d’atteinte (excessive ?) à la liberté contractuelle est plus délicat à mesurer.
Sur le plan économique, on peut s’interroger sur les effets d’une telle réforme. dans la sphère de l'achat public. En effet, la pondération du critère "prix" reste dominante. Dès lors, une mise en concurrence entre la grande distribution et les producteurs locaux sera-t-elle vraiment effective, même après l’entrée en vigueur de l’article 14 ? L’effet de masse dont bénéficie la première rendra toujours ses prix plus attractifs que ceux du petit cultivateur de pommes de terre. D'où les doutes de certains sur l'amélioration effective de la qualité gustative et nutritionnelle de l’assiette dans les cantines.