Taux de chômage et demande d’emploi : des évolutions parfois contre-intuitives

Lors d’un webinaire organisé le 1er juin, l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise a apporté des éléments explicatifs au découplage qui peut exister entre l’évolution du taux de chômage et l’évolution de la demande d'emploi.

Pourquoi le taux de chômage ne rend-il pas compte de l’évolution de la demande d'emploi ? Cette question a guidé les échanges d’un webinaire de l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise (OITC) organisé le 1er juin. "Il nous a semblé intéressant de traiter de la déconnexion entre le taux de chômage et la dynamique des demandeurs d’emploi, notamment tels qu’ils sont recensés par Pôle emploi", a souligné Olivier Portier, coordinateur de l’observatoire, en introduction.

Impacts très forts dans les zones touristiques de montagne

L’OITC s’est notamment attaché à détailler les effets de la crise des années 2020-2021 sur les 305 zones d’emploi (ZE) françaises. Au premier trimestre 2020 (T1 2020), toutes ont perdu de l’emploi sauf cinq avec des impacts très forts dans les zones touristiques de montagne. "Le 2e trimestre a été un peu moins violent avec 127 zones qui résistent, massivement sur la frange Ouest et pour partie en Auvergne-Rhône Alpes, quelques-unes dans le Grand Est, en revanche en Ile-de-France la situation est restée assez difficile", a commenté Olivier Portier. Un redémarrage est noté au T3, avant une nouvelle dégradation au T4 2020, liée au second confinement. "Seules 31 zones d’emploi en fin d’année 2020 avaient réussi à reconstituer leur stock d’emplois d’avant-crise", a souligné le coordinateur de l’observatoire.

En 2021, si la reprise se généralise sur à peu près tous les territoires de France, le bilan est "un peu mitigé" sur la période des deux années : 48 ZE ont perdu de l’emploi. "On les retrouve massivement le long de ce que l’on appelle la 'diagonale du vide', sur la partie Est de la région Bourgogne-Franche-Comté et sur quelques zones franciliennes et de la région Centre, a indiqué Olivier Portier. On voit aussi les territoires de montagne et de tourisme en souffrance ainsi que le Genevois français, territoire frontalier pourtant marqué par des dynamiques de développement extrêmement favorables avant crise". D’une façon générale, l’OITC relève que les territoires "locomotives", c’est-à-dire plutôt dynamiques avant la crise, ont été largement sur-impactés.

Géographies de la demande d’emploi très variables

Dans un deuxième temps, l’OITC a analysé quels effets la crise du Covid et la relance ont produit sur les marchés du travail locaux, en distinguant les demandeurs d’emploi de catégorie A (immédiatement disponibles), de ceux des catégories B et C (qui ont travaillé plus ou moins de 78 heures dans le mois) et, dans une moindre mesure, des D et E (en formation et en emploi aidé).

Sur les années 2020 et 2021, "on recense un peu moins de demandeurs d’emploi aujourd’hui qu’au moment du démarrage de la crise, fin 2019, a pointé Olivier Portier. Les demandeurs d’emploi de catégorie A ont baissé à un rythme très intense (-8,8% de baisse depuis T4 2019, 320.000 en moins), en revanche les B et C ont augmenté (+3%, 67.000 demandeurs en plus). Toutes catégories confondues A, B, C, D et E c’est une baisse totale de près de 150.000 demandeurs d’emploi. On voit ainsi que l’introduction d’autres catégories que les A vient rendre le bilan un peu moins positif".

L’analyse territorialisée de la structuration des demandeurs d’emploi par catégorie révèle quant à elle "des géographies extrêmement variables d’une catégorie à l’autre". "Si on observe la dynamique d’emploi juste à l’aune des catégories A il n’y a que 23 zones d’emploi impactées, mais si on regarde l’évolution des B et C le bilan peut apparaître catastrophique puisque seules 22 ZE ont résisté, a indiqué Olivier Portier. Et si on additionne ces trois catégories le bilan est plus mitigé puisqu’on a 70 zones d’emploi impactées, encore plus en ajoutant les D et E avec 111 ZE impactées par une hausse de la demande d’emploi."

Chômage élevé et dynamisme économique

Autre constat : "plus le taux de chômage était élevé en début et avant crise au T4 2019, plus la baisse enregistrée dans les territoires a été importante, comme s’il y a une relation entre l’intensité du chômage avant crise et sa dynamique de baisse sur l’ensemble de la période", a poursuivi le coordinateur de l’OITC.

Enfin, les analyses territorialisées de l’observatoire mettent en exergue une forme de découplage entre l’évolution du taux de chômage et celle de la demande d’emploi : certains territoires vont être marqués par une baisse du taux de chômage alors que le nombre de demandeurs d’emploi recensés par Pôle emploi augmente. Sur l’ensemble de la période de crise, 90 zones d’emploi sont dans cette "configuration contre-intuitive".

"A l’échelle intercommunale par exemple, on peut très bien avoir des intercos marquées par une très forte dynamique de créations d’emploi et qui dans le même temps enregistrent une très forte augmentation de la demande d’emploi, a expliqué Olivier Portier. On a tendance à penser les territoires comme des territoires uniquement de stocks fonctionnant de manière autarcique, alors qu’ils sont éminemment interdépendants : quand une interco crée un emploi il est très souvent occupé par un actif qui vit dans un autre territoire. C’est pour cela que la dynamique de l'emploi n’impacte pas forcément la dynamique du chômage à l’échelle de ce même territoire. Il faut intégrer des schémas de pensée plus centrés sur une dynamique de flux que de stocks".

Autre situation a priori paradoxale observée par l’OITC : une intensité du chômage élevée dans les territoires dynamiques, notamment dans les métropoles de l’ouest français. "Pour être un peu provocateur, on pourrait dire que le taux de chômage peut parfois être un indice de dynamisme économique", a glissé Olivier Portier.