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Territoire d'origine et mobilité sociale : quelle égalité des chances ?

Pour une personne issue d'un milieu modeste, le fait d'avoir grandi dans une région plutôt qu'une autre aura plus d'impact sur ses revenus futurs que le fait d'avoir grandi dans tel département, telle agglomération, en ville ou à la campagne, selon un expert de France stratégie qui rendait compte le 14 avril au Sénat d'une étude mettant l'accent sur la situation particulière des anciennes régions Nord-Pas-de-Calais et Languedoc-Roussillon. "La pauvreté est un phénomène surtout urbain", a poursuivi un représentant de l'Insee. Pourtant, les jeunes des territoires ruraux et des petites villes se retrouvent souvent face à des choix limités et à de nombreux obstacles dans leur parcours, a pour sa part témoigné Salomé Berlioux de l'association Chemins d'avenir. 

L'égalité des chances est décidément un sujet de débat au Sénat actuellement. Parallèlement à la mission d'information dédiée à ce sujet (voir nos articles du 15 mars et du 2 avril 2021), les sénateurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable entendaient trois intervenants le 14 avril 2021 autour de la question "Mobilité sociale et aménagement du territoire : comment restaurer la promesse républicaine de l'égalité des chances ?"   

Les "immobiles non-diplômés du supérieur"

Si "l'inégalité des chances est d'abord sociale", peut s'y superposer une "inégalité des chances entre territoires" qui est "avant tout régionale", selon Clément Dherbécourt, chef de projet à France stratégie. Selon une étude publiée en juin 2020 sur l'influence du lieu d'origine sur le niveau de vie des enfants d'ouvrier ou d'employé, le contexte régional dans lequel une personne grandit a un impact plus important sur ses revenus futurs que le fait d'habiter en ville ou à la campagne, ou dans un département plutôt qu'un autre. Il en ressort que deux (anciennes) régions, le Nord-Pas-de-Calais et le Languedoc-Roussillon, sont particulièrement défavorables de ce point de vue, avec de nombreux "immobiles non-diplômés du supérieur". Une particularité, a expliqué Clément Dherbécourt, car partout ailleurs, "plus la région est pauvre, plus les individus quittent la région".

Simultanément, les différences territoriales ayant un impact sur le revenu futur se situeraient à l'intérieur des unités urbaines, entre quartiers favorisés et quartiers défavorisés. France stratégie en conclut qu'il y a sur ce sujet "deux échelles pertinentes d'action publique". D'une part, l'échelle nationale pour combler les écarts de développement économique et d'emploi entre les régions, par exemple via une répartition plus ciblée de l'emploi public. D'autre part, l'échelle locale, notamment via l'éducation, l'accès aux études supérieures, la mobilité. Alors que les départements sont en charge des "solidarités territoriales", l'échelon départemental, tout comme d'ailleurs l'échelon régional, n'est ici pas considéré comme pertinent pour réduire ces inégalités de destin.

À noter que France stratégie publiait deux jour plus tard, le 16 avril, une note d'analyse de l'impact territorial de la crise sanitaire montrant que la Côte d'Azur, les Alpes ou encore la Corse ont été fortement affectées, tandis que d'autres territoires de l'ouest et du centre de la France ont été relativement épargnés, en partie grâce à une spécialisation dans l'agroalimentaire,.

Seuls 7% des 15-25 ans changent de département chaque année

En matière de géographie de la pauvreté, Michel Duée, chef du département de l'action régionale à l'Insee, a confirmé le fait que beaucoup de personnes peu ou pas diplômées habitaient dans le nord de la France et sur le pourtour méditerranéen ainsi qu'en Corse. Les plus diplômés résidant d'abord dans l'ouest de la France, l'Île-de-France et les grandes capitales régionales. Il a par ailleurs mis en avant le fait que les déménagements entre départements étaient peu fréquents, ne concernant par exemple que 7% des 15-25 ans chaque année alors qu'il s'agit de la tranche d'âge la plus mobile du fait des études et de l'accès au premier emploi. Parmi les bacheliers, ceux qui changent le plus souvent d'académie pour leurs études – soit en déménageant, soit par des mobilités quotidiennes – sont issus de milieux favorisés. Les bacheliers de milieux défavorisés sont "plus influencés par l'offre située à côté de leur lieu de résidence".

"La pauvreté est quand même un phénomène surtout urbain", a ajouté Michel Duée, précisant que, selon la grille de densité de l'Insee, les deux tiers du territoire français sont urbains. Dans le tiers restant, deux types de territoires ruraux seraient à distinguer : ceux qui sont étroitement liés à un grand centre urbain et ceux qui sont plutôt indépendants de tout centre urbain. C'est dans les seconds que la pauvreté est la plus importante, selon l'économiste citant en particulier les départements du Massif central où de nombreuses veuves vivent de pensions de réversion modestes.

Une imbrication de "déterminismes social, géographique et de genre"

Directrice générale de l'association Chemins d'avenirs et voix particulièrement consultée par les pouvoirs publics ces derniers temps sur les questions de jeunesses rurales, Salomé Berlioux a quant à elle insisté sur les nombreux "défis" rencontrés par les jeunes ruraux et des petites villes dans leur parcours. Des défis imbriquant fortement, selon elle, "le déterminisme social, le déterminisme géographique et parfois également le déterminisme de genre". "Vous êtes une jeune fille de zone rurale d'origine modeste : la probabilité que vous fassiez des études d'ingénieur, de diplomate ou dans le numérique est très limitée", a-t-elle résumé. Dans un rapport remis au ministre de l'Éducation nationale en mars 2020 (voir notre article du 6 mars 2020), Salomé Berlioux a mis l'accent sur le fait que les choix d'orientation sont plus limités en territoire rural, sur des formes d'autocensure de ces jeunes et sur les obstacles à la mobilité qu'ils rencontrent. "Les jeunes ruraux n'ont pas forcément le droit d'être ambitieux", a-t-elle déploré, mettant en avant la nécessité de considérer de concert les enjeux d'information, d'orientation et d'ambition. Saluant le démarrage de l'expérimentation des "territoires éducatifs ruraux" (voir notre article du 18 janvier 2021), elle dit croire en "des réponses en écosystèmes", permettant notamment à l'Éducation nationale de s'appuyer sur des entreprises et des associations pour accompagner les jeunes vers un parcours choisi.    

Les débats qui ont suivi ces interventions ont démontré l'intérêt des sénateurs, qui se sont fait l'écho des difficultés de leurs territoires ruraux à maintenir des collèges en nombre suffisant, options et enseignements de spécialité dans des collèges et lycées à faibles effectifs, ou encore à ouvrir des premières années de cursus universitaires. Sur la mobilité, malgré les efforts de la région, "les jeunes ne sont pas à même de profiter de la gratuité des transports qui leur est donnée", a témoigné Angèle Préville (socialiste, Lot) du fait de l'absence de transports en commun localement. Les échanges ont par ailleurs porté sur l'opportunité de remettre des services publics dans les territoires ruraux, ou sur celle de valoriser les atouts de la ruralité – accès au foncier, moindre impact de la crise sanitaire… – tout en levant certains obstacles à l'installation de nouveaux habitants, liés en particulier à l'éducation (voir notamment notre article du 17 novembre 2020 sur "l'envie de ruralité").  

 

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