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Territoires du Grand Paris Express : une gare ne fait pas tout

Une étude de l'Observatoire régional du foncier en Île-de-France consacrée aux "stratégies foncières autour des gares du Grand Paris Express" relève qu'un classique phénomène de densification urbaine est à l'œuvre dans ces quartiers, pointant même un certain "engouement" des acteurs urbains. L'étude souligne toutefois l'hétérogénéité des situations et met en avant le rôle "majeur" des collectivités pour initier – à tout le moins ne pas entraver – une "dynamique de transformation" que la crise du Covid-19, et les dernières municipales, remettent par ailleurs en question.

L'Observatoire régional du foncier en Île-de-France vient de publier une étude, réalisée par Urbanics, relative aux "Stratégies foncières autour des gares du Grand Paris Express". Annoncé en 2009, le réseau du Grand Paris Express prévoit de relier entre eux certains quartiers de banlieues, sans passer par Paris, en desservant 68 gares, nouvelles ou existantes. Avec pour objectif, rappelle l'étude, de rendre davantage attractif l'ensemble de la petite couronne, de lutter contre l'étalement urbain et de créer ou renforcer "des polarités urbaines en 1re et 2e couronnes". L'étude se focalise sur 19 de ces 68 gares et repose notamment sur l'analyse des cessions foncières de 2011 à 2017 et des entretiens semi-directifs conduits durant le second semestre 2020. Elle porte in fine sur 9.892 hectares composant les périmètres de 300m, 800m et 1.500m autour des gares retenues, dont le foncier public immuable a été exclu.

Un classique mouvement de densification

Sans grande surprise, l'étude décèle un "engouement" des acteurs urbains (aménageurs, promoteurs, établissements publics fonciers, établissements publics d'aménagement et assimilés) pour les territoires de ces quartiers-gares, l'apparition de nouvelles copropriétés et la présence renforcée des investisseurs, qui s'est faite sur du foncier détenu par des personnes physiques et du foncier à vocation économique. Bref, un phénomène connu de "transformation d'un tissu pavillonnaire en tissu résidentiel plus dense, avec l'apparition de petites copropriétés". Un engouement qu'il convient toutefois de relativiser : la présence de ces investisseurs et acteurs urbains "pèse peu au regard des hectares possédés" (autour de 7% en 2017).

Projets d'ensemble

Surtout, ce mouvement n'est pas homogène : "Chaque quartier-gare apparait ainsi comme spécifique". Dans certains territoires, cette mutation se fait majoritairement de façon diffuse – cas de Châtillon-Montrouge, l'un des quartiers étudiés les plus dynamiques en matière de mutation urbaine, majoritairement hors projet d'aménagement d'ensemble –, alors qu'il est davantage encadré dans d'autres – cas de Saint-Denis-Pleyel et de Saint-Ouen RER, où les "profondes mutations" à l'œuvre se font dans le cadre de projets urbains. Ces trois territoires partagent toutefois certaines caractéristiques – situés en première couronne, ils disposent de tissus déjà constitués et bénéficiant d'une bonne notoriété, avec des disponibilités foncières et des prix élevés – qui expliquent ce dynamisme qui fait défaut à d'autres. Ainsi, si les promoteurs "commencent à se positionner" sur des quartiers-gares jusqu'ici "peu explorés" – Rueil-Suresnes-Mont Valérien, avec des disponibilités foncières plus rares, Vitry-Centre –, d'autres restent encore délaissés, comme Sevran-Beaudottes, pour lequel l'étude souligne qu'il "faut créer de toute pièce la valeur de ce territoire et faire évoluer l'image". Bref, la gare ne fait pas tout, loin s'en faut : "En particulier dans l’est parisien, la création d’une nouvelle gare devra être accompagnée d’un projet d’ensemble, la gare n’étant qu’un élément du cadre de vie qui sera proposé".

Rôle majeur des communes, millefeuille administratif indigeste

L'étude insiste au contraire sur le rôle "majeur" des "collectivités et du niveau communal pour initier la dynamique de transformation" de ces quartiers. Or, relève-t-elle, si "certaines collectivités avaient déjà un projet de territoire défini à l'annonce du projet de Grand Paris" (Bagneux, Plaine Commune), pour d'autres "le projet de gare n'a pas été tout de suite appréhendé et relié aux projets communaux". En cause, outre des capacités d'ingénierie parfois insuffisantes, un "agenda politique très chargé", avec "la mise en place de la métropole du Grand Paris et des établissements publics territoriaux qui a beaucoup mobilisé les élus et leurs services", "une réorganisation des opérateurs publics" ou encore "une gouvernance complexe […] entre structures émanant de l'État, structures communales, intercommunales, départementales et régionales". "De nombreuses communes avaient de multiples sujets à traiter, ne serait-ce que pour faire fonctionner leur organisation (transfert de personnels et de compétences, renouvellement de conseils d'administration, etc.) et "le sujet gares n'a pas été considéré comme prioritaire", déplore l'étude.
A défaut d'initier cette "dynamique de transformation", encore faut-il veiller à ne point l'entraver. Or, "une coordination entre le niveau communal et intercommunal doit parfois être trouvée, rallongeant les délais de conception et de réalisation des projets immobiliers. Les opérateurs privés sont sensibles à la question du temps ; un temps long, avec des négociations dont l’issue peut être incertaine, est perçu comme une incertitude supplémentaire sur la bonne sortie du programme", pointe l'étude. Qui souligne par ailleurs à plusieurs reprises l'importance "pour sécuriser la sortie du projet" d' "entretenir de bonnes relations avec les élus locaux (critère aussi essentiel que le critère "emplacement")".

Densifier sans bureaux, sans commerces… et sans logements neufs ?

Si l'étude estime que "dans le contexte de crise actuelle, ces quartiers resteront certainement plus résilients que d'autres", ils ne seront pas épargnés par les phénomènes que la crise va, selon elle, accentuer. Ainsi, les investisseurs institutionnels restent "majoritairement dans les marchés matures et sécures" et "hésitent à investir dans les autres secteurs géographiques. […] Parallèlement, cette famille d'investisseurs revient sur l'actif résidentiel", qui apparaît comme une valeur "refuge".
Non sans logique, puisque l'étude prédit que le marché du bureau "va entrer en crise car, d'une part, l'offre est surabondante et, d'autre part, le recours au télétravail se généralise" (bénéfice collatéral, "la transformation d'immeubles tertiaires en logements pourrait se développer"). Autre victime évoquée, le commerce, "actif peu attractif avec une perte de confiance des investisseurs", même si "les quartiers-gares restent un atout par rapport à la création ou au renouvellement de zones commerciales".
Sans bureaux (et sans commerces), un quartier peut-il être attractif ? L'étude pointe les "nombreuses incertitudes et divergences de point de vue" en la matière, les uns convaincus que le recours aux espaces nouveaux de tiers-lieux et de coworking à proximité des secteurs résidentiels sera "massif", les autres remettant au contraire en question "la place prépondérante du Grand Paris comme lieu de vie par rapport à une attractivité potentielle des villes moyennes et des métropoles régionales".
A ces craintes, s'en ajoute une autre pour les opérateurs : la volonté affichée de nouvelles équipes municipales de "moins bâtir qu'auparavant". "Le rapport à la densité redevient plus sensible, voire dogmatique. Plusieurs maires, de tous bords politiques confondus, ont été élus sur la base d’un programme de maîtrise des constructions et plus particulièrement du logement", relève in fine l'étude, soulignant à son tour les difficultés de bâtir la ville de demain.