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Territorialisation des politiques du logement : la Cour des comptes plaide pour une accélération

Dans un référé, la Cour considère que la territorialisation des politiques du logement est montée en puissance mais reste inaboutie. Parmi ses préconisations : faire des EPCI le cadre de référence, "conditionner les délégations des aides à la pierre au respect d'objectifs définis localement par l'État", autoriser des adaptations locales de certains dispositifs fiscaux nationaux dans l'esprit de l'expérimentation en cours en Bretagne, mobiliser plus fortement les départements sur le volet social (FSL, hébergement), constituer un contingent de logements sociaux au profit des EPCI...

Après s'être penchée sur le Logement d'abord (voir notre article du 8 janvier 2021) et sur le logement en Outre-mer (voir notre article du 23 septembre 2020), la Cour des compte rend public un nouveau référé consacré à la territorialisation des politiques du logement et sous-titré "Consolider les acquis pour franchir de nouvelles étapes". Ce référé s'appuie sur les travaux de la Cour et de huit chambres régionales des comptes sur l'évolution de la territorialisation des politiques du logement depuis la mise en œuvre de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (qui a autorisé la délégation aux EPCI et aux départements de la gestion des aides à la pierre en faveur du parc locatif social et du parc privé). Les travaux de la Cour et des chambres régionales ont été menés au sein de 27 EPCI ou départements, tous situés en métropole. Le référé intervient également à un moment où le gouvernement "réfléchit à de nouvelles étapes de décentralisation, de déconcentration et de différenciation des politiques publiques", à travers le projet de loi 4D.

Deux obstacles à surmonter

Comme son titre le laisse entendre, le référé porte un jugement plutôt positif et constructif, dans la mesure où la territorialisation s'inscrit "dans un contexte de montée en puissance de politiques locales du logement, idéalement fondées sur des analyses stratégiques partagées". Néanmoins, cette évolution "soulève, de manière de plus en plus aiguë, la question du dialogue entre l'État déconcentré et ces collectivités pour définir des outils coordonnés autour d'objectifs définis en commun".
Le référé commence par décrire la construction des politiques publiques coopératives. La loi de 2004 a introduit une dynamique, mais ne couvre pas tous les enjeux des politique du logement. Ainsi, les politiques sociales liées au logement (Dalo, hébergement) restent encore aujourd'hui très largement conduites par l'État et les départements. Il en est de même de la rénovation urbaine, toujours très centralisée, ce qui "limite les capacités d'adaptation des services déconcentrés de l'État et d'intervention des collectivités impliquées".
Aujourd'hui, une intégration plus aboutie, dans chaque territoire, des politiques conduites par l'État et par les collectivités et les EPCI délégataires des aides à la pierre butent sur deux obstacles principaux. D'une part, le manque d'échanges de données entre les CAF, pourtant très impliquées dans le logement (via les APL), et les services déconcentrés de l'État. D'autre part, des instances locales de pilotage – comités régionaux de l'habitat et de l'hébergement (CRHH) et conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement (CDHH) – qui sont en réalité des lieux d'échange d'informations plutôt que de pilotage.
Aux yeux de la Cour, il reste cependant possible, de "franchir de nouvelles étapes". Le référé évoque ainsi divers outils : mutualisation des méthodes et des connaissances, contrôle plus strict des engagements des bailleurs sociaux par les EPCI, optimisation des modes d'intervention des services déconcentrés de l'État (avec une répartition des compétences plus homogène entre DDT(M) et DDCS), utilisation des CUS (conventions d'utilité sociale) comme outil de pilotage des bailleurs sociaux...

Favoriser les adaptation locales

Le Cour formule donc plusieurs orientations. En premier lieu, il pourrait "être envisagé de conditionner les délégations des aides à la pierre au respect d'objectifs définis localement par l'État en matière d'urbanisme, de maîtrise foncière, de mixité sociale et d'engagement financier". Les documents d'urbanisme pourraient, par exemple, prévoir des objectifs relatifs à la mixité sociale. 
En second lieu, il pourrait également être envisagé de "mobiliser plus fortement les départements sur leur compétence sociale, notamment pour l'octroi et l'orientation des aides du fonds de solidarité pour le logement (FSL) et pour la réponse aux besoins d'hébergement et de droit au logement".
En troisième lieu, le référé préconise d'autoriser des adaptations locales de certains dispositifs fiscaux nationaux. À cet égard, "l'expérimentation conduite en Bretagne, sur le fondement du contrat pour l'action publique signé le 8 février 2019 avec le président du conseil régional, présente un intérêt particulier" (allusion à l'expérimentation d'une adaptation du dispositif Pinel, officialisée par l'article 164 de la loi de finances pour 2020).
Enfin, des dispositifs fiscaux ou budgétaires incitatifs et différenciés pourraient être déployés dans au moins deux domaines. D'une part, dans l'esprit de l'expérience bretonne, la territorialisation des dépenses fiscales applicables à un territoire, après validation par l'État d'un montant plafond dans le territoire de l'EPCI concerné. D'autre part, une modulation plus marquée des interventions de l'État en faveur des territoires aux politiques les plus intégrées, à l'image des EPCI dotés d'un PLUi-H (plan local d'urbanisme intercommunal-habitat) approuvé dans sa totalité par l'État.

Délégation ne signifie pas absence de contrôle

Pour mettre en œuvre ces orientations, le référé estime nécessaire "d'admettre que l'uniformité des règles applicables peut être atténuée par des expérimentations conduites de façon conjointe entre les collectivités et leurs groupements compétents et l'État déconcentré". Il convient également d'intégrer dans une réflexion globale au niveau local les données et les outils relatifs aux dépenses fiscales octroyées aux bailleurs sociaux comme aux particuliers bailleurs en faveur du logement. Il importe enfin de considérer que le développement d'une approche coopérative par les services déconcentrés de l'État ne signifie pas la disparition de leur capacité de contrôle de l'action des collectivités et de leurs groupements. Comme le rappelle la Cour, "même territorialisées, les politiques de logement demeureront assises sur des orientations nationales".
Le référé se conclut par six recommandations plus précises, comme la constitution d'un contingent de logements sociaux au profit des EPCI, le conditionnement de la signature ou du renouvellement des délégations des aides à la pierre à la mise en place d'un PLUi-H, on encore faire des EPCI le cadre de référence de la conception et de la mise en œuvre de politiques de logement territorialisées.

Large convergence entre la Cour et le gouvernement

Dans sa réponse au référé, le Premier ministre rappelle que "la territorialisation est déjà une caractéristique majeure de la plupart des politiques du logement, soit sous forme de décentralisation de certaines compétences, soit de forte déconcentration de l'exercice des compétences conservées par I'État". Il se dit donc favorable à l'orientation générale du référé de la Cour.
Plus précisément, le Premier ministre "partage globalement" la recommandation consistant à "faire des EPCI le cadre de référence de la conception et de la mise en œuvre de politiques de logement territorialisées". Une orientation déjà largement engagée à travers les lois Alur, Égalité et citoyenneté ou Elan. 
De même, la recommandation consistant à prévoir, pour favoriser la mixité sociale, la constitution d'un contingent de logements sociaux au profit des EPCI est déjà largement satisfaite. En contrepartie de la garantie financière qu'elles apportent aux emprunts pour des programmes de logements locatifs sociaux, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent bénéficier de droits de réservation, dans la limite de 20% du flux annuel de logements mis en location sur leur territoire et par organisme de logement social. Et des réservations supplémentaires peuvent être consenties en cas d'apport de terrain ou de financement.
En revanche, le Premier ministre se montre moins favorable au fait de conditionner la signature ou le renouvellement des délégations des aides à la pierre à la mise en place d'un PLUi-H. Il estime en effet que "cela serait sans doute de nature à complexifier et alourdir le PLU, qui doit par ailleurs intégrer de nombreuses problématiques autres que l'habitat. Cela pourrait également nuire à la clarté de la répartition des compétences entre les différents documents territorialisés".