Territorialisation du ZAN : les régions commencent à décliner leurs stratégies

France Stratégie a présenté ce 28 novembre deux notes d'analyse complémentaires sur l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). L'une porte sur les dynamiques d'artificialisation des sols en cours, qui font ressortir une très grande hétérogénéité de situations justifiant la différenciation territoriale dans l'application du ZAN. L'autre montre que les régions, premier niveau de collectivités impliqué dans la déclinaison de l'objectif dans leurs documents de planification (Sraddet), sont toutes à pied d'œuvre pour tenir l'échéance de novembre 2024 même si elles n'avancent pas au même rythme.

Hasard du calendrier : au moment même où étaient publiés au Journal officiel les trois décrets d'application très attendus pour la mise en œuvre du Zéro artificialisation nette ou ZAN (voir notre article de ce jour), France Stratégie a publié ce 28 novembre deux notes d'analyse complémentaires, l'une sur les dynamiques actuelles de l'artificialisation des sols, l'autre faisant le bilan des orientations retenues par les régions à la mi-2023 pour décliner l'objectif ZAN dans leurs documents de planification.

Choix de politiques publiques

Ces études s'inscrivent dans la continuité de précédents travaux de l'organisme menés avant même la loi Climat et Résilience de 2021 instaurant le ZAN  – en 2019, il avait produit un premier rapport sur le sujet à la demande du gouvernement (voir notre article). Premières collectivités à devoir intégrer, d'ici à novembre 2024, les objectifs territorialisés du ZAN dans leurs documents de planification (-50% de consommation de foncier entre 2021 et 2031 par rapport à la décennies précédente), les régions vont donc devoir composer avec une ressource foncière de plus en plus rare et des profils de territoires en leur sein très hétérogènes en matière de consommation d'espaces. Il leur faut surtout arbitrer entre différents objectifs de politiques publiques aussi légitimes que contradictoires, voir concurrents, observent les auteurs des notes : maintenir les espaces agricoles, préserver les espaces naturels et la biodiversité, répondre à toute la diversité des besoins de logements, accueillir des activités économiques, construire des infrastructures de transport, qu'elles soient nationales, comme les lignes ferroviaire à grande vitesse ou locales (contournements routiers de grandes agglomérations, par exemple).

L'habitat, principal facteur d'artificialisation entre 2011 et 2021

La première note d'analyse montre que la baisse de la consommation d'espaces, amorcée en 2012, "marque le pas", alors que l'artificialisation "affecte durablement les fonctions des sols". Elle altère ainsi les fonctions écologiques et biochimiques des sols, notamment le stockage de carbone, l'infiltration des eaux, ainsi que les mécanismes biochimiques de dépollution", souligne l'étude. En perturbant le cycle de l'eau, elle contribue à accroître les risques d'inondations. Elle participe aussi à l'effondrement de la biodiversité, contribue à réduire la souveraineté alimentaire – ces vingt dernières années, 80% de l'artificialisation s'est effectuée au détriment de terres agricoles – et, du fait de l'étalement urbain et du mitage du territoire, augmente les déplacements en voiture individuelle et les infrastructures afférentes, contribuant à la hausse des émissions de polluants atmosphériques et des nuisances sonores.

"Au total, entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2021, période de référence fixée par la loi Climat et Résilience pour l’objectif de division par deux du flux de consommation d’espaces, ce sont finalement 231.000 ha d’espaces naturels, agricoles et forestiers (hors départements et régions d’outre-mer) qui ont été consommés", relève l'étude. Au cours de cette période, "l'habitat a été le principal déterminant de l'artificialisation", constatent les auteurs de l'étude, 63 % du flux de consommation d'espaces étant lié à la construction de logements. "Les opérations peu denses, de moins de huit logements par hectare, sont responsables à elles seules de 51% de la consommation d’espaces, détaille la note. Si, au niveau national, seulement 23% de la consommation est due à la création de zones d’activité et 7% à la construction d’infrastructures, ces projets peuvent représenter une emprise au sol importante au niveau local. Ainsi, la diminution de l’artificialisation des sols passera inexorablement par une réduction drastique de la construction de logements neufs en extension et par une densification des nouvelles constructions." France Stratégie estime toutefois qu'"à consommation foncière équivalente par logement neuf, et en prenant en compte le mal logement, la baisse de la croissance démographique devrait permettre de réduire la consommation d'espaces pour l'habitat d'environ 17% entre 2021 et 2031 par rapport à la décennies précédente, soit 11% de la consommation totale d'espaces."

Six profils de consommations d'espaces à l'échelle intercommunale

Mais pour mieux comprendre les dynamiques territoriales de l'artificialisation, les auteurs de l'étude ont élaboré une typologie des consommations d'espaces naturels, agricoles et forestiers des EPCI mettant en évidence six profils de consommation d’espaces sur la dernière décennie.

Les EPCI cumulant un niveau de consommation d’espaces faible et une efficacité forte en matière d’habitat et d’activité sont considérés comme ayant réalisé les "efforts" les plus importants en matière de consommation d’espaces mais ils ne constituent qu’une faible part des EPCI (8%) et de la population (3%), en grande partie localisés dans les Alpes et plus largement dans les territoires montagneux. "Territoires fortement contraints du fait de la topographie et des réglementations existantes (loi Montagne notamment, qui contraint l’urbanisation), ils consomment peu d’espaces en valeur absolue, commentent les auteurs. De plus, du fait de leur localisation (territoires frontaliers, zones naturelles et touristiques), ce sont aussi des territoires soumis à une forte demande : ils présentent en 2020 légèrement moins de logements vacants qu’au niveau national (7% contre une moyenne nationale de 8%), et la plus forte part des résidences secondaires (27% contre moins de 10% au niveau national), expliquant une consommation d’espaces en matière d’habitat. Cela souligne par ailleurs que les 'efforts' réalisés semblent relever davantage d’une consommation sous contraintes (peu d’espaces disponibles combinés à une forte pression foncière) que d’une stratégie foncière de réduction de la consommation."

À l’opposé du spectre, les EPCI ayant beaucoup consommé, et de manière peu efficace en ménages et en emplois ne représentent que 6% des EPCI et 6% de la population. Ils sont présents dans toutes les régions sauf en Corse et en Île-de-France, et concernent des territoires aussi bien périurbains (autour d’Orléans par exemple) que ruraux (dans le département de l’Allier par exemple). "Ces territoires sont caractérisés par une part plus élevée de logements vacants (10% en 2020), mais surtout un taux de croissance de ces logements vacants important (+34% en dix ans), détaille l'étude. Dans ces territoires, on constate en moyenne une perte d’emplois salariés (-5 % entre 2011 et 2021 contre près de +7% au niveau national) et un gain relativement faible de ménages (+4% contre près de +9% au niveau national)."

Les EPCI qui ont consommé peu d’espaces, mais avec une efficacité en emplois et en ménages faible, représentent près de 20% des EPCI, mais 5% de la population. "Territoires peu densément peuplés, ils se situent notamment le long de la 'diagonale du vide', décrit France Stratégie. Ces territoires perdent des emplois (- 9%) et le nombre de ménages les composant stagne. 81% de leurs logements sont des maisons et le taux d’équipement en voitures a augmenté de 5% en dix ans, contre environ 1% pour les autres catégories de territoires. Leur taux de logements vacants est élevé (12%)."

Les EPCI qui ont, au contraire, consommé beaucoup d’espaces tout en accueillant de nombreux ménages et emplois, avec une forte efficacité, sont majoritairement des territoires urbains et périurbains situés notamment sur le littoral ou autour des métropoles de Brest, Rennes, Nantes, Tours, Bordeaux, Toulouse, Toulon, Aix-Marseille, Nice, Lyon, Clermont-Ferrand, Metz, Nancy, Strasbourg, Paris et Lille. Ils constituent 20% des EPCI, mais 56% de la population. "Ce sont les espaces ayant le plus gagné en ménages et en emplois (+11% pour les deux paramètres en dix ans) et les plus densément peuplés, analyse France Stratégie. Dans ces territoires, en 2020 seulement 41% des logements sont constitués par des maisons individuelles" alors que la moyenne nationale se situe à 55%.

Les profils jugés "atypiques" en matière d’efficacité de la consommation d’espaces par les auteurs de l'étude ont, pour près des trois quarts, "consommé de l’espace de manière intense en ménages, mais très peu en emplois". Ces territoires se trouvent sur tout le territoire métropolitain, et concernent des intercommunalités aux caractéristiques variées : les métropoles de Saint-Étienne et de Rouen, des villes moyennes comme Angoulême en Nouvelle-Aquitaine, mais aussi des plus petites villes comme Saint-Lô ou Lisieux en Normandie ainsi que des espaces ruraux comme le Val de Morteau ou la Grandvallière en Bourgogne-Franche-Comté.

Le quart restant a été très dynamique sur le plan de l’emploi, mais très peu efficace dans sa consommation d’espaces pour l’habitat, comme l’intercommunalité du Grand Saint-Emilionnais en Nouvelle-Aquitaine ou celle du Val d’Argent dans la région Grand Est. Enfin, les EPCI présentant des consommations moyennes représentent le plus gros contingent de la typologie (36%). Ils se situent également de manière relativement homogène dans l’ensemble des régions, plutôt dans des espaces peu densément peuplés (60 habitants/km2 en moyenne contre 120 à l’échelle de la France métropolitaine) ou en troisième couronne de métropoles. La part de maisons individuelles y est élevée (78% des logements).

Fortes hétérogénéités régionales

"Finalement, cette typologie souligne l’hétérogénéité régionale des dynamiques de consommation d’espaces", relève l'étude. Ainsi, en Auvergne-Rhône-Alpes, les territoires consommant peu d’espaces mais de manière peu efficace sont sous-représentés, tout comme en Bretagne, en Corse, en Hauts-de-France, en Normandie, et particulièrement en Pays de la Loire et en Île-de-France. Ils sont au contraire largement surreprésentés en Centre-Val de Loire. À l’inverse, les territoires ayant consommé beaucoup d’espaces mais de manière efficace sont surreprésentés en Auvergne-Rhône-Alpes, en Bretagne, en Occitanie, en Pays de la Loire, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France, mais sous-représentés dans les autres régions, notamment en Bourgogne-Franche-Comté. "Au total, 61% des intercommunalités de Provence-Alpes-Côte-D’azur sont très efficaces (…), quand seulement 10% le sont en Bourgogne-Franche-Comté, souligne l'étude. Par ailleurs, certaines régions présentent une part substantielle d’EPCI dits "atypiques", au sens où leur efficacité est contrastée entre habitat et activité : 25% en Normandie, contre seulement 1% en Bretagne. Ces spécificités régionales peuvent s'expliquer par la croissance des ménages et de l'emploi, elle-même fortement liée au "degré d'urbanité" des territoires, souligne France Stratégie.

Ce sont ainsi les centres urbains intermédiaires qui ont consommé le plus d’espaces sur la dernière décennie, avec une valeur médiane de 22 ha/an/commune quand les grands centres urbains ont consommé environ 9 ha/an/commune en valeur médiane et les communes à habitat dispersé et très dispersé environ 2 ha/an/commune. De la même façon, la part de la surface communale consommée au cours de la dernière décennie est beaucoup plus élevée dans les communes denses et de densité intermédiaire (entre 0,8% et 1,3% en valeur médiane) que dans les communes rurales (entre 0,1% et 0,5% en valeur médiane), notamment parce que les surfaces communales des grands centres urbains et des ceintures urbaines (700 ha environ en valeur médiane) sont plus faibles que celles des communes rurales (entre 1.000 et 1.400 ha en valeur médiane).

Plus de 40.000 hectares auraient pu être économisés...

Quels que soient le niveau de densité et la taille de la commune, il y a une marge d’amélioration, estime France Stratégie. Ainsi, au cours de la période 2011-2021, plus de 14.000 hectares (soit près de 10% de la consommation d’espaces destinée au logement) ont été consommés pour du logement dans des communes qui perdaient des ménages ou dont le nombre de ménages stagnait, et qui, dans le même temps, voyaient leur nombre de logements vacants augmenter de 33%, observe l'organisme. Selon son analyse, sur la décennie passée, près de 39.000 ha pour l’habitat et près de 22.000 ha pour l’activité économique − sur un total national de 230.940 ha consommés − auraient pu être économisés, soit 26% des surfaces consommées. En cumulé sur la dernière décennie, l'étude estime que le niveau de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) semble "plutôt augmenter à mesure que le degré d'urbanité diminue" – les bourgs ruraux et les communes rurales à habitat dispersé ont consommé près de 60% des Enaf alors qu'ils n'ont accueilli que 38% de la croissance des ménages.

L’attractivité touristique, la présence de zones frontalières dynamiques, la localisation par rapport à des axes de communication structurants, les formes urbaines historiques ou bien encore les choix politiques passés en matière de développement, sont également des facteurs d’artificialisation, fait aussi valoir France Stratégie qui juge que les "leviers principaux" pour rompre avec la façon dont l'urbanisation a été menée jusqu'à présent est d'améliorer la densité des opérations d'aménagement et de privilégier celui des espaces déjà artificialisés (friches, logements sous-utilisés, zones d'activité en déclin). Mais ces leviers sont "diversement actionnables selon les territoires", d'où la nécessité d'une "territorialisation du ZAN" aujourd'hui à la main des régions, souligne France Stratégie.

Nouvelles orientations retenues par les régions

Sa deuxième note d'analyse, rédigée sur la base d'entretiens avec les services de toutes les régions métropolitaines et de documents publics, dresse justement un premier bilan à la mi-2023 des orientations retenues par les régions. Au cours de la décennie 2011-2021, les régions dotées d’un Sraddet ont consommé près de 219.000 hectares, ce seront ainsi 99.500 hectares sur la décennie 2021-2031 qui devront être territorialisés, après déduction du forfait national de 10.000 hectares pour la consommation d’espace induite par les projets identifiés par l’État comme d’envergure nationale et européenne et d’intérêt général majeur, rappelle France Stratégie.

Si les régions ne sont pas toutes confrontées aux mêmes enjeux, du fait de la diversité des territoires qui les composent, elles étaient toutes, en juin dernier, déjà engagées dans une procédure de modification de leur document pour prendre en compte les obligations de la loi Climat et Résilience en matière de réduction du rythme d’artificialisation. "Toutefois elles n’avancent pas au même rythme, les régions Normandie (en mai 2023) et Bretagne (en juin 2023) ayant adopté en assemblée délibérante les modifications de leur Sraddet intégrant l’objectif de division par deux du rythme de consommation d’espaces et l’inscription de la territorialisation, tandis que les autres sont en cours de réflexion quant aux critères retenus et à leur pondération", indique l'étude.

Territorialisation à la maille des Scot

Majoritairement, les régions ont choisi de territorialiser le taux de réduction de la consommation d’espaces à la maille du Scot (73% des cas). Concernant les projets d’envergure régionale, dont la définition incombe aux régions, "la plupart d’entre elles ont intégré ou réfléchissent à intégrer une enveloppe à mutualiser entre les territoires infrarégionaux, observe France Stratégie. Les projets industriels et les projets routiers de contournement ou d’élargissement de voirie sont les plus souvent évoqués, et dans une moindre mesure des projets d’entrepôts logistiques. Dans 64% des cas, cette enveloppe a été déterminée. À propos du choix des critères de territorialisation, "la plupart des régions ont cherché un compromis entre la prolongation des tendances passées, une représentation des futurs acceptables ou souhaitables, et une forme d’équilibre territorial. Elles ont trouvé des solutions variées, spécifiques, qui se concrétisent dans une large palette de critères de territorialisation et de leur pondération."

Les stratégies sont variées : "certaines régions proposent une réduction de l'artificialisation moindre aux territoires dynamiques en matière d'emplois et de ménages quand d'autres ont choisi un rééquilibrage territorial en demandant une réduction inférieure aux territoires peu dynamiques par le passé", observent les auteurs de l'étude. Certaines régions ont sanctuarisé des enveloppes foncières importantes pour la réindustrialisation et plusieurs régions ont souhaité remobiliser les logements vacants pour réduire leur consommation foncière liée à la création de logements.

Critères environnementaux peu présents

Dans 91% des cas, l'équilibre du territoire fait partie des critères pris en compte, ainsi que les dynamiques démographiques et économiques prévisibles (73% des cas). Les enjeux environnementaux viennent loin derrière (45% des cas). Lorsque les critères environnementaux sont présents, "ils visent généralement à préserver des milieux déjà relativement préservés grâce à différents outils (zones Natura 2000, cœur de parc, réserves intégrales, zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique / Znieff, trames vertes et bleues, etc.), constate l'étude. Ainsi, la biodiversité ordinaire, les espaces peu remarquables ou bien les zones en déficit d’espaces naturels ne sont absolument pas considérés." Mais cela pourrait être amené à changer dans un futur proche du fait de l’adoption, en juillet 2023, du règlement européen pour la restauration de la nature, qui contraint les États membres à restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines, estime France Stratégie.

L'étude montre que les régions proposent en général des objectifs chiffrés différenciés : les écarts entre les taux de réduction de la consommation d’espace que les régions proposent d’appliquer aux territoires infrarégionaux peuvent varier de plus ou moins 10 points, autour de -50 %, indique l'étude. "Toutefois, à vouloir répondre aux nombreuses injonctions, qu’elles soient régionales, suprarégionales ou infrarégionales, il peut en résulter une profusion de critères, sous-critères et pondérations, ce qui rend parfois peu lisibles le processus de territorialisation et les choix en matière de politiques publiques, estime France Stratégie. La plupart des régions se sont essentiellement fondées sur les tendances passées. Les conditions de l’exercice n’ont pas permis, de fait, de mener à bien des exercices de prospective qui pourraient inclure de véritables scénarios 'de rupture'''. Ces premières orientations devront cependant être actualisées, reconnaît France Stratégie, afin d'intégrer les évolutions introduites par la loi du 20 juillet 2023, en particulier la surface minimale garantie à chaque commune et le forfait pour les projets d'envergure nationale.

 

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