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Tissu d'entreprises : une France coupée en deux ?

L'ADCF vient de publier les deux premières notes d'une série de dix sur les forces et les faiblesses économiques des intercommunalités. Ces deux premières analyses montrent clairement une France coupée en deux, avec un nord caractérisé par un réseau de PME et d'ETI concentrant l'essentiel de l'emploi, face à un sud plutôt couvert de TPE et de micro-établissements. Pour l'ADCF, si la création d'entreprises se porte plutôt bien, "la question de leur croissance demeure tout aussi cruciale" pour le développement territorial...

Au moment où se déploient les 136 "Territoires d’industrie" et où le gouvernement lance son "pacte productif", l’Assemblée des communautés de France (ADCF) publie une nouvelle série de notes sur les tissus économiques des intercommunalités. Dix notes synthétiques seront ainsi diffusées tout au long de l’année 2019 afin d’y voir plus clair sur les dynamiques économiques des quelque 1.260 intercommunalités qui ont été largement recomposées en 2017.
Les deux premières notes de la série montrent ainsi une France coupée en deux, tant en termes de dynamique économique que de concentration de l’emploi

Les grosses PME surtout concentrées dans le nord

La France du nord, au-dessus d’une ligne Bordeaux-Genève, se caractérise ainsi par des intercommunalités dotées de grands établissements (250 à 5.000 salariés) ou de très grands établissements (plus de 5.000) privilégiant les localisations urbaines. Ainsi, parmi les dix communautés ayant la plus forte proportion de grands établissements, trois sont en Pays-de-la-Loire (communautés de communes du Pays de Saint-Fulgent-les Essarts, de Sablé-sur-Sarthe et du Pays de Pouzauges), deux en Picardie (communautés de communes du Val de l’Oise et du Pays de la Serre), deux en Bourgogne (Montbardois et de la Tille et Venelle), une en Franche-Comté (Terres de Saône) et une en Alsace (Val d’Argent). Les très grands établissement se concentrent pour leur part dans 16 communautés à peine, à Aix-Marseille, Toulouse, Paris et ses alentours, le Pays de Montbéliard, Saint-Omer, Mulhouse.
À l’inverse, le sud se caractérise par une "très forte fragmentation de son tissu productif" avec un poids considérable de micro-établissements, en particulier sur les littoraux atlantique et méditerranéen et le long de la "diagonale aride".
L’ADCF a cherché à mesurer l’impact de la crise de 2008 sur ces territoires. On dirait aujourd’hui la capacité de "résilience" de leur tissu productif. En volume, la progression du stock d’établissements a continué de progresser fortement, du fait de l’apparition du statut d’autoentrepreneurs en 2009. Mais la grande récession a été "particulièrement déstabilisante" pour les très petites entreprises : plus de 700 intercommunalités (soit les deux tiers environ) ont vu le stock diminuer entre 2008 et 2015.  En revanche, l’évolution des PME et ETI a été "beaucoup plus favorable pour les territoires" ; seulement un quart des intercos ont enregistré une réduction de leur stock.
À noter que six intercommunalités ont subi la disparition de leurs très grands établissements : Lyon, Lille, Clermont, Rennes et les communautés d’agglomération de Roissy et du Douaisis.
"Alors que l’action publique semble toujours autant focalisée sur les dispositions d’appui à la création d’entreprises, ces éléments d’analyse montrent à quel point la question de leur croissance demeure tout aussi cruciale (voire plus) pour le développement économique de nos territoires", en conclut l’ADCF, en guide d’avertissement. 

71% des entreprises n'ont aucun salarié

La deuxième analyse sur le degré de concentration et d’atomisation de l’emploi dans les tissus productifs vient confirmer ces tendances. Ainsi, 71% des entreprises françaises sont sans salarié ! Ce qui traduit le poids pris par l’autoentrepreneuriat dans le pays. L’emploi reste donc concentré sur un petit nombre d’établissements. La ligne de démarcation est en toute logique là aussi nord-sud, avec une forte concentration de l’emploi dans de grandes unités productives au nord (Pays-de-la-Loire, Bretagne, Île-de-France…) contre une forte dispersion au sud. Mais "aucune corrélation n’a été constatée entre la strate démographique des territoires intercommunaux et le niveau de concentration de leurs emplois". Ainsi, un grand nombre d’entreprises de plus de 500 salariés se situent dans les communautés de communes "au profil plutôt rural", comme dans des communautés d’agglomération franciliennes.
Dans l’interco de Tille et Venelle (5.000 habitants), 68% des emplois sont concentrés dans des entreprises de plus de 500 salariés comme le CEA Valduc (où l’on produit des armes nucléaires) ou le spécialiste de l’électroménager Seb. Mais les communautés de communes où l’emploi est très atomisé sont elles aussi très rurales, à l’image de la communauté de communes du Cap Corse où 70% des emplois sont le fait des TPE. "En fonction du niveau de concentration et/ou atomisation de l’emploi (…), les modes de dialogue avec le monde économique seront extrêmement variables", commente l’ADCF, qui sensibilise aussi sur l’impact des seuils sociaux (lissés par la loi Pacte), notamment pour ce qui est du lien fiscal entreprise-territoire : 1% logement pour les entreprises de 20 salariés et plus, versement transport à partir de 11 salariés…

"Bullshit jobs"

L’ADCF poursuivra son tour d’horizon avec les secteurs exposés à la concurrence internationale, une analyse sur les lieux de travail et d’habitation des actifs, sur les transferts d’établissement set les délocalisations, les centres de décision…
"Le but de ces analyses est d’identifier la gamme d’entreprises qui tirent l’emploi et la valeur ajoutée, c’est-à-dire la richesse des territoires, à l’opposé de ce qu’on appelle les ‘bullshit jobs’ ou les emplois low cost ; on commence à se poser les bonnes questions", commente Nicolas Portier, délégué général de l'ADCF. 
Une rencontre nationale du 12 juin des Territoires d’industrie sera organisée par l’ADCF et Régions de France, en lien avec la délégation aux territoires d’industrie, pour faire un premier bilan de la mise en oeuvre de ce nouveau programme. La sortie de la logique des appels à projets et de la compétition territoriale qui en découlait est bien accueillie sur le terrain mais elle ne résout pas le problème du besoin d’ingénierie de terrain pour bon nombre d’intercommunalités. "La question qui va se poser, c’est comment financer de véritables postes de chefs de projets, pour animer un vrai tissu collaboratif, il faut des gens de terrain à l’année", explique Nicolas Portier. L’autre gros sujet est, selon lui, le besoin de compétences. "Les boîtes recrutent un peu partout, dans l’est, en Mayenne, à Pontivy, Saint-Omer… L’attractivité territoriale et l’attractivité des métiers arrivent en tête de gondole des sujets", témoigne Nicolas Portier qui effectue en ce moment un "tour de France". Il faut, dit-il, se montrer extrêmement réactif pour répondre aux besoins des entreprises. "Les politiques de formation mettent l’accent sur les besoins en qualification des plus éloignés du travail, cela marche pour les élévateurs, la logistique ou autre, mais pour le pilotage de grosses machines, c’est de bac+2 ou de bac+3 dont on a le plus besoin", prévient-il.