Tourisme : une articulation entre tous les acteurs aussi nécessaire que complexe

Des représentants des régions, des acteurs privés et de la Banque des Territoires se sont retrouvés pour évoquer les grandes lignes d'une stratégie commune en matière de tourisme. Quitte à porter des visions diverses sur quelques points, comme la répartition des compétences ou les enjeux environnementaux.

"La question du tourisme est d'abord la question de l'État." En ouvrant les débats d'une rencontre organisée ce 24 mai par Régions de France et intitulée "Les régions et les entreprises au service du tourisme : de l’ambition commune à la mise en œuvre d’une stratégie d’excellence", Hervé Morin savait qu'il n'était "probablement pas dans le ton" de ce que l'on attendait. Pourtant, le président du conseil régional de Normandie a insisté, posant quelques questions pour expliquer sa position : "Combien de temps faut-il pour passer la douane, sortir de l'aéroport en France ? J'ai eu la chance de voyager, c'est dans notre pays qu'on a le service le plus dégradé avec des temps d'attente de 30 ou 45 minutes pour pouvoir simplement présenter son passeport. Deuxièmement, si vous voulez accueillir massivement des touristes, il faut que ceux-ci se sentent en sécurité. La France donne-t-elle l'image d'un pays où l'on peut se promener à toute heure du jour et de la nuit en toute sécurité ? On a tous en tête des images de bus chinois pillés à Paris. Le troisième sujet stratégique est celui des prélèvements obligatoires, dont le niveau nous place au sommet en Europe et dans l'OCDE. Pour l'investissement touristique, c'est une vraie question."

La région, "échelon majeur"

Après cette entrée en matière musclée, Dominique Marcel, président de l'Alliance France Tourisme et du conseil d'administration de la Compagnie des Alpes, a apporté de la nuance : "Je souscris à tout ce qu'Hervé Morin a dit sur le rôle de l'État à propos de l'environnement juridique, la sécurité, la propreté. Mais on ne fera rien si tout le monde ne se met pas autour de la table pour définir et déployer dans la durée une stratégie tourisme." Dominique Marcel a alors expliqué pourquoi il considérait la région comme l'"échelon majeur" de la politique touristique : "Vous avez la taille critique, la capacité d'intervention et vous êtes près des territoires. Vous êtes les mieux placés pour créer des synergies entre l'ensemble des sites, le patrimoine naturel, la gastronomie, etc. Vous êtes les premiers partenaires des collectivités et vous possédez trois compétences fondamentales : la formation, le développement économique et les transports. Et il faut une dimension touristique bien intégrée dans la politique de transport car le maillage du territoire est ce qui permet de développer de nouveaux sites, de mieux répartir les flux de visiteurs."

La synergie des compétences de la région pour articuler une politique touristique a également été mise en avant par Franck Louvrier, président de la commission tourisme de Régions de France et vice-président de la région Pays de la Loire. Il a rappelé que "c'est le rôle des régions d'apporter des aides directes, à travers le développement économique, la formation." Mais le rôle de l'État a vite refait surface. "Le président de la République est l'ambassadeur du pays, a repris Franck Louvrier. Et au premier sommet Destination France (lire notre article du 5 novembre 2021), on a bien compris que la feuille de route venait de l'État."

La loi Notr dans le (rétro)viseur

État ou régions ? La réponse est bien évidemment dans la coopération. Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur de la Banque des Territoires, a rappelé que durant la crise Covid, son institution "avait fait en sorte que la machine ne s'arrête pas". Et c'est sous l'impulsion de l'État que s'est monté un grand plan tourisme dans lequel le groupe Caisse des Dépôts s'est engagé à hauteur de 3 milliards (1,5 milliard pour BPI et 1,5 milliard pour la Banque des Territoires). Surtout, a encore précisé Olivier Sichel, "cette phase a été incroyablement innovante" y compris à travers un travail partenarial mené avec les régions. "Avec Franck Louvrier, nous avons monté une foncière de 'lease-back' [cession-bail, ndlr] touristique en Pays de la Loire pour permettre aux hôteliers de rénover leur hôtel au moment où il était vide", a-t-il illustré.

Si la coopération État-régions en matière de tourisme figure en tête des priorités, qu'en est-il des autres collectivités ? Le débat du jour s'est permis un retour en arrière sur la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr). Un texte qui avait notamment donné de nouvelles compétences aux intercommunalités en matière de tourisme. Pour Franck Louvrier, "la loi Notr n'a pas tranché, elle a donné la compétence touristique quasiment à tout le monde. Cela ne donne pas de visibilité et pas d'efficacité. Il va falloir éclaircir et répartir les compétences de chacun. Mais il ne faut pas attendre de l'État, il faut faire nous-mêmes, la dynamique vient du terrain, pas d'en haut". Sur ce sujet, c'est au tour d'Hervé Morin de jouer les modérateurs : "Je suis souvent agacé par les compétences croisées, mais le secteur du tourisme n'est pas un secteur dans lequel cela me semble compliqué. On ne peut pas imaginer que le bloc communal ne soit pas en charge de la promotion touristique locale, et pour les investissements, on se retrouve très vite sur les logiques de développement économique dont la région est de loin le premier acteur. Parfois, elle est un peu aidée par le département et si le département n'est pas là, on fait sans lui. Là où cela me gêne le plus, c'est sur les stratégies d'attractivité. Quand vous avez créé une agence régionale d'attractivité, les départements se disent qu'ils doivent faire pareil, et parfois on se marche sur les pieds."

Pour une acceptation sociale du tourisme

Le débat a donc permis de dégager une vision commune sur la nécessité de fédérer les énergies et de donner sa place à chacun, y compris au secteur privé et en particulier le tourisme social "qui a beaucoup souffert", a souligné Olivier Sichel. Deux points noirs sont cependant restés sans réponse.

D'une part, la question des recrutements, alors que le secteur de l'hôtellerie-restauration a perdu plus de 200.000 emplois durant la crise sanitaire, selon Franck Louvrier. Pour Hervé Morin, "quand on est à 4,5% de chômage, on se retrouve avec des demandeurs très éloignés de l'emploi et le chemin pour les y amener est extrêmement compliqué". Et le président de la région Normandie de citer "des amis restaurateurs à Deauville qui payent bien leurs collaborateurs et qui malgré cela ne trouvent pas de main-d'œuvre car c'est un domaine dans lequel il y a des astreintes, où l'on travaille le week-end". La solution ? "Créer de l'appétence pour ces métiers à travers la formation et l'orientation."

D'autre part, la question environnementale, illustrée par deux visions différentes. Celle d'Hervé Morin, qui s'oppose aux contempteurs du "tourisme de masse" et s'élève contre la prochaine règle du "zéro artificialisation nette (ZAN) qui va être un cauchemar". "Pour arriver à implanter des équipements très attentifs à l'environnement, de type cabanes dans les bois, les règles sont extrêmement dures à lever. Il faudrait que l'État permette de développer ce type d'activités promises à un avenir gigantesque", a-t-il plaidé. Face à lui, Franck Louvrier a mis en balance "quantitatif" et "qualitatif" en assurant également se "préoccuper de l'enjeu environnemental" : "Il y a quelques années, on était à 90 millions de visiteurs étrangers en France et on se demandait s'il fallait passer la barre des 100 millions. Je ne suis pas sûr qu'il faille continuer sur cette ligne-là." Sur ce thème, Olivier Sichel a avancé l'idée d'un tourisme "DDP" – pour "durable, digital et participatif" – car, a-t-il estimé, "le tourisme a besoin d'une acceptation sociale, et c'est là qu'on a besoin de l'appui politique". Une façon de revenir à la nécessité, évoquée en amont, d'un travail collectif entre État, collectivités et secteur privé.