Transition écologique : une étude met en lumière le rôle de l’économie sociale et solidaire dans les quartiers populaires

Récemment publiée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, une étude appelle à développer les synergies entre l’économie sociale et solidaire, la transition écologique et les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans trois filières - la cyclologistique, l’alimentation durable et le réemploi de matériel informatique -, les efforts d’entreprises de l’ESS pour œuvrer à une transition écologique juste sont mis en avant.

"ESS + transition écologique + quartiers prioritaires = transition écologique juste ?" Au terme d’une recherche-action démarrée en 2021, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a récemment publié une étude intitulée "Agir pour une transition écologique juste avec l’ESS", réalisée par l’agence de conseil Les petites rivières. À partir d’études de cas, les auteurs se sont intéressés aux apports de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans la vie des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et à "la valeur sociale, économique et environnementale" créée par ces activités dans les QPV et au-delà.

L’insertion et la lutte contre l’exclusion au cœur des modèles économiques

L’équipe de recherche a analysé en particulier "trois filières et métiers de la transition écologique, dans lesquels les acteurs de l’ESS en QPV sont particulièrement moteurs" : la cyclologistique, l’alimentation durable et le réemploi dans le domaine informatique. Les acteurs de l’ESS permettent-ils à ces filières de "créer des chaînes de valeur territoriales vertueuses (coopérations entre entreprises classiques et ESS, participation aux politiques publiques, etc.)" ? L’ESS a-t-elle "une valeur ajoutée pour concilier le développement économique à la performance sociale" ? C’est ce que les auteurs sont allés vérifier, estimant a priori que les acteurs de l’ESS "proposent des modes de faire alternatifs, qui corrigent les inégalités sociales et économiques tout en fixant la valeur créée sur leur territoire d’implantation".

Pour chacune de ces filières, l’étude propose une analyse de trois structures de l’ESS implantées dans des QPV et développant des activités à impact social et environnemental (voir deux exemples dans l’encadré ci-dessous). Les spécificités des démarches de l’ESS par rapport à l’économie classique sont mises en avant. Ainsi, en matière de réemploi de matériel informatique, il s’agit de lutter contre l’exclusion numérique en s’appuyant sur des reconditionneurs locaux et en redistribuant des équipements (don ou bas prix), plutôt que de maximiser les profits sur ce marché d’occasion. Autre exemple dans un secteur où les conditions de travail sont difficiles : les entreprises de l’ESS cherchent à sécuriser les métiers de livreur et de cyclologisticien par l’accès aux droits du régime salarial. Quant aux traiteurs, ceux de l’ESS aspirent à développer des "bright kitchens", avec des pratiques responsables, des cuisines partagées et des programmes d’incubation, par opposition aux "dark kitchens" aux pratiques souvent peu favorables aux travailleurs (voir notre article du 24 mars 2023).

Des leviers : accès au foncier, montée en compétence des habitants et commande publique

Issus d’ateliers d’intelligence collective organisés dans le cadre de cette étude, des enseignements sur les atouts des acteurs de l’ESS dans ces secteurs sont mis en lumière : la création d’emploi dans les quartiers, la "dissémination" des pratiques vertueuses des projets d’alimentation durable via de nombreux partenariats et des activités de sensibilisation, ou encore la relocalisation d’activités. Cette partie recense également les freins rencontrés par ces acteurs (la concurrence du privé lucratif, l’accès au foncier, l’impact de l’inflation sur le modèle économique…) et des bonnes pratiques.

Des "leviers d’action" sont identifiés pour développer les synergies entre politique de la ville, ESS et transition écologique. Les auteurs appellent notamment à développer des programmes d’accompagnement des entreprises de l’ESS avec une approche par "filière clé de la transition écologique". Autres recommandations : faciliter l’accès au foncier des acteurs de l’ESS impliqués sur ces sujets, "définir des gisements de déchets et de produits usagés en biens communs locaux" au bénéfice des acteurs de l’ESS et en lien avec les éco-organismes, ou encore accélérer la formation des habitants des QPV sur les métiers de la transition écologique. Enfin, un appel à développer la commande publique responsable est lancé ; cela passerait notamment par l’ouverture d’un dialogue au niveau européen sur la définition d’un critère local, pour favoriser les entreprises de ces secteurs situées dans des territoires fragiles.

  • Un modèle économique plus ou moins dépendant des financements publics

Créée en 2004 en Isère à l’initiative du mouvement Emmaüs, la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Trira a 12 salariés en insertion et porte des activités de reconditionnement informatique, de maintenance, de formation et un tiers-lieu. La Scic permet la mobilisation de nombreux partenaires, dont huit collectivités, et le modèle économique de la structure repose à 76% sur des ventes et à 24% sur des subventions. Cet équilibre est très différent d’une structure à l’autre, avec parfois un rapport inverse ou bien un équilibre entre ventes et subventions.

Après un développement en Seine-Saint-Denis depuis 2012, l’entreprise Baluchon s’est implantée en 2019 à Lille, dans le QPV Fives-Cail, pour y développer une activité de traiteur – portée par une SAS, avec trois salariés en insertion et environ 20% de financements publics – et un incubateur – porté par une association, avec 60% de financements publics – pour accompagner des personnes issues des quartiers à l’entrepreneuriat culinaire. L’impact est à la fois environnemental (100% de produits locaux utilisés, 50% de bio, compostage des déchets en cours…) et social (porteurs de projet accompagnés et salariés en insertion), avec un rôle important dans la structuration de la filière (notamment dans le cadre du projet alimentaire territorial de la métropole) et l’animation du quartier.