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Un arrêté met en place l'expérimentation du parcours de soins coordonné des enfants de l'ASE

Un arrêté met en place "l'expérimentation pour un parcours de soins coordonné" des enfants et adolescents confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements, reposant sur la création d'un forfait annuel pris en charge à 100% par la sécurité sociale" et financé par le fonds pour l'innovation du système de santé. Force est de s'interroger sur la complexité du système envisagé.

Les articles 39 et 51 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ouvrent la possibilité de mettre en œuvre toute une série d'"expérimentations dérogatoires" pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. Ces expérimentations visent en particulier à "permettre l'émergence d'organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médicosocial concourant à l'amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l'efficience du système de santé et de l'accès aux soins", notamment en visant à "optimiser par une meilleure coordination le parcours de santé, ainsi que la pertinence et la qualité de la prise en charge sanitaire, sociale ou médicosociale"

Des carences importantes

Un arrêté du 3 juin 2019, pris en application de ces dispositions, met en place "l'expérimentation pour un parcours de soins coordonné des enfants et adolescents protégés", pour une durée de quatre ans (2019-2022). Évoquant les enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements, le long document annexé à l'arrêté reconnaît que "les études disponibles montrent des carences importantes dans la prise en compte de leurs besoins en santé par rapport à la population générale : manque d'informations sur les antécédents personnels et familiaux, facteurs de risques (prématurité, retard de croissance néonatale, etc.), parcours souvent marqué de pathologies associées, de traumatismes et d'hospitalisations, fréquence d'insuffisances pondérales ou de surpoids, et besoin de prise en charge en santé mentale". Les situations de handicap sont également surreprésentées parmi les enfants de l'ASE. S'y ajoutent en outre souvent les conséquences de maltraitances subies. Cette situation a déjà été pointée par plusieurs rapports, dont celui de 2017 sur la "Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance".

Référent éducatif et coordonnateur de parcours de soins

L'expérimentation vise donc à mettre en place "un parcours de soins coordonné pour les enfants et les adolescents protégés, incluant une prise en charge somatique et en santé mentale précoce, reposant sur la création d'un forfait annuel par enfant ou adolescent, pris en charge à 100% par la sécurité sociale". Ce forfait sera financé par le Fonds pour l'innovation du système de santé. Un arrêté du 11 mars 2019 a fixé à 30 millions d'euros la dotation de ce fonds, sachant qu'il finance plusieurs expérimentations différentes. L'annexe de l'arrêté du 6 juin prévoit un coût total de 8,9 millions d'euros sur la période 2019-2022.

L'évaluation médicale, réalisée par un médecin généraliste ou un pédiatre, devrait faire prochainement l'objet d'un "cadre de référence national", élaboré par la Haute autorité de santé (HAS). Si l'objet de l'expérimentation apparaît indiscutable, les modalités de la coordination du parcours de santé apparaissent passablement lourdes. Il est en effet prévu, "en appui au référent éducatif désigné par le conseil départemental pour chaque enfant", de désigner également une structure, un établissement ou tout autre type d'organisme volontaire pour coordonner le parcours de soins, dans le cadre d'une convention passée avec l'ARS et le conseil départemental.

Ce coordonnateur – rémunéré sur la base d'un forfait de 430 euros par enfant suivi – aura notamment pour mission d'identifier et mobiliser les professionnels de santé du territoire volontaires pour s'impliquer (et qui signeront alors un "contrat d'engagement" et utiliseront des "outils normalisés communs"), de former les professionnels (notamment sur le repérage de la maltraitance, ce qui est pourtant supposé être fait en amont), de favoriser les échanges entre pairs, de coordonner et participer au suivi du parcours de soins des enfants et adolescents protégés, de réguler l'accès aux soins en santé mentale, mais aussi de "reverser aux professionnels de santé et aux psychologues exerçant en libéral, ou aux structures et établissements qui les emploient, une partie du forfait financé par la sécurité sociale".

Un dispositif très complexe

Par ailleurs, un comité départemental devra arrêter différents documents types et un système d'information devrait être mis en place, compatible avec la stratégie nationale e-santé 2020. Les échanges entre les acteurs devront nécessairement passer par une messagerie médicale sécurisée – ce qui est le droit commun –, mais il est également envisagé d'utiliser un "logiciel de coordination", "qui permettrait de donner la possibilité aux professionnels de santé d'accéder aux données médicales selon leur habilitation".

Le comité de pilotage départemental – installé sur la base d'une convention entre le département et l'ARS – semble également assez lourd, avec des représentants des établissements, structures, médecins, professionnels et psychologues participants (avec une majorité de libéraux), des représentants des référents éducatifs des enfants, des représentants des établissements de l'ASE et des assistants familiaux, un représentant de la MDPH, un représentant du parquet et/ou un juge des enfants, ainsi que des représentants des enfants et des familles.

En termes de périmètre, l'objectif de l'expérimentation est de toucher 100% des enfants et adolescents confiés à l'ASE des départements expérimentateurs et 30% de ceux protégés sans placement (hors aides financières). En termes géographiques, trois départements sont proposés, sans qu'il apparaisse clairement s'ils sont effectivement retenus, l'arrêté ne les mentionnant pas : la Loire-Atlantique, la Haute-Vienne et les Pyrénées-Atlantiques, représentant un échantillon de 7.000 enfants.

Au vu de l'arrêté et du dispositif mis en place, force est de s'interroger sur la complexité du système envisagé, alors que des millions d'enfants – certes moins fragilisés – sont suivis dans des conditions plus simples. Face à l'attirance des politiques de santé pour les organisations complexes – qui finissent généralement par dissuader les professionnels de santé libéraux de participer comme on l'a déjà vu dans d'autres dispositifs –, on peut se demander si un dispositif plus proche du droit commun n'aurait pas été plus approprié.

Référence : arrêté du 3 juin 2019 relatif à l'expérimentation pour un parcours de soins coordonné des enfants et adolescents protégés (Journal officiel du 16 juin 2019).