Une nouvelle proposition de loi pour enrayer les conflits de voisinage

Les députés ont adopté ce 4 décembre en première lecture une – nouvelle – proposition de loi visant singulièrement à protéger les exploitants agricoles de la quérulence de leurs nouveaux voisins ne supportant ni le chant du coq ni l’odeur du bétail. Un texte qui devrait toutefois en théorie "profiter à tous", y compris aux citadins confrontés aux nuisances des "dark stores".

En finir avec les procès abusifs des néoruraux menaçant l’activité des agriculteurs – et encombrant les tribunaux – au prétexte de troubles anormaux du voisinage. Tel est l’objectif qui se cache derrière la proposition de loi "visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels", adoptée ce 4 décembre en première lecture à l’Assemblée nationale. 

Le texte se résume à un seul article. Il consacre d’une part dans le code civil le principe général de responsabilité d’un trouble anormal de voisinage, qui n’était jusqu’ici que posé par la jurisprudence (depuis près de 40 ans). Il dispose d’autre part que la responsabilité de la personne à l’origine de ce trouble "excédant les inconvénients normaux de voisinage" n’est pas engagée lorsqu’il provient d’activités préexistantes à l’installation de la personne lésée, pour peu que ces dernières soient conformes à la législation et se poursuivent dans des conditions identiques après l’installation du nouvel arrivant. Il s'agit d'une reprise de la théorie de la préoccupation qui figure à l’article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation, article dont les députés ont voté l’abrogation pour éviter la coexistence d’une règle spéciale avec la règle générale qui serait désormais posée.

"On marche sur la tête"

Déposée par le groupe Renaissance, cette proposition de loi répond à une commande du ministre de la Justice passée le 3 mars dernier au Salon de l’agriculture. "L’idée, c’est qu’un voisin ne puisse pas se plaindre de nuisances qui préexistent à son emménagement. Ce n’est pas à vous de faire l’effort", expliquait-il alors aux membres de la FNSEA. "Le Parisien qui vient de s’installer près d’une ferme, c’est un rêve bucolique qui, pour lui, se transforme en cauchemar quand il entend le coq chanter", raillait-il encore.

Avec la naissance d’un "exode urbain" post-covid (voir notre article du 23 juin), pointé lors des débats par le député Thomas Ménagé (RN), le sujet se fait plus aigu – même si ce n’est sans doute pas pour cette raison que le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le texte. "On dénombre plusieurs centaines de procédures en cours engagées contre des agriculteurs par des voisins quérulents se plaignant de nuisances liées à leur activité (…). Pour tout dire, j’ai parfois l’impression que l’on marche sur la tête", a observé le garde des Sceaux lors des débats. Non sans faire ainsi référence à l’opération actuellement conduite par des agriculteurs consistant à retourner les panneaux d’entrée de villes et villages pour dénoncer précisément "une France qui marche sur la tête" – mouvement que David Lisnard vient de saluer dans une tribune au Point. 

Les dark stores aussi dans le collimateur

Reste que, comme le souligne le garde des Sceaux en séance, "l’introduction dans le code civil de la théorie de la préoccupation ne sera pas au seul bénéfice des habitants de la campagne. Cette protection profitera à tous, tout simplement parce que nous l’intégrons dans le code civil, et non dans le code rural". Et Éric Dupond-Moretti de prendre l’exemple des "habitants de grandes villes qui voient s’installer des dark stores dans les locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de leur immeuble" et qui pourront désormais "s’appuyer sur un texte ‘en dur’, sécurisé juridiquement" pour faire valoir leurs droits.

Suite de la loi patrimoine sensoriel

L’objectif n’est pas nouveau. Une telle réforme était préconisée par un rapport sénatorial de 2019 ou plus encore par le rapport du gouvernement au Parlement prévu par la loi "patrimoine sensoriel", remis sans publicité le 16 décembre 2021 (voir notre article du 4 mai 2022). Cette dernière loi, également connue comme la "loi Maurice" – du nom de ce coq accusé, mais innocenté, de troubler la sieste d’un mauvais coucheur oléronais (voir notre article du 22 janvier 2021) – se voulait déjà une réponse à ce phénomène. Mais après avis du Conseil d’État, le texte avait été passablement caviardé lors des débats, au point de perdre toute efficacité. La loi n’avait ainsi pas permis à "Pitikok" d’éviter de monter les marches du tribunal (voir notre article du 28 avril 2022), ou à un éleveur bovin d’être condamné par la cour d’appel de Caen à de lourdes sommes et à un réaménagement de ses bâtiments, sous peine de destruction.

Pas un "droit à polluer"

En l’espèce, rien ne dit toutefois que ce nouveau texte, qui devrait sauf surprise être adopté par le Sénat (seul LFI a voté contre, les écologistes s’abstenant), permettrait une autre issue. Pour rendre sa décision, les magistrats caennais s’appuyaient en effet, entre autres, sur "la notable évolution des capacités de production de l’exploitation agricole en volume" et "l’impact évident des nouveaux aménagements", en relevant par ailleurs que "certains impératifs, notamment de santé ou de salubrité publique, doivent, même en zones rurales, être pris en compte" (voir notre article du 4 mai 2022). 

"Il ne s’agit évidemment pas d’un ‘droit à polluer’" – crainte exprimée par la députée écologiste Sandrine Rousseau –, assure ainsi en séance Naïma Moutchou (Horizons). "Bien que la clause exonératoire soit élargie, elle ne laisse […] pas la place à une violation quelconque de la loi ou à un comportement irresponsable", estime-t-elle. "Cette proposition de loi laissera [au juge] une grande marge d’interprétation, car elle ne donne pas la définition d’un trouble anormal du voisinage. Ainsi, nous continuerons à retrouver devant les tribunaux des griefs analogues à ceux qui étaient soulevés antérieurement à son éventuelle promulgation", prédit André Chassaigne. Pour tarir la source contentieuse, le garde des Sceaux compte sur la médiation ou la conciliation qui doit nécessairement être tentée, à peine d’irrecevabilité, avant la saisine du juge. "Or il est plus facile de transiger lorsque l’on dispose d’une norme juridique claire et précise", croit-il. L’avenir le dira, même si un prononcé plus régulier d’amendes dissuasives pour recours abusif serait peut-être à terme une arme plus efficace.

 

Difficile inventaire du patrimoine sensoriel

La loi "patrimoine sensoriel" donnait notamment mission aux services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel d’étudier et de qualifier l’identité culturelle de chaque territoire, les données constituées dans ce cadre "à des fins de connaissance, de valorisation et d'aménagement du territoire" pouvant également "concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme". En mai 2022, son promoteur, le député Pierre Morel-À-L’Huissier indiquait à Localtis que les travaux étaient en cours. À l’en croire, c’est toujours le cas. En séance, l’élu a en effet indiqué s’être "heurté en la matière à un peu d’incompréhension de la part de certains ministères – cela arrive souvent, car les administrations centrales ne sont guère ruralisées. Quant aux régions, elles n’étaient pas très au fait du problème ; seules deux d’entre elles ont lancé un tel inventaire".

 

 

 

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