Uniforme à l'école : l'Éducation nationale financera bien les deux années d'expérimentation
La fin programmée de la "tenue unique" dans deux lycées de Provence-Alpes-Côte d'Azur après seulement une année d'expérimentation a souligné les incertitudes pesant sur le cofinancement de l'État. Pour rassurer les collectivités concernées, le ministère de l'Éducation nationale a annoncé un redéploiement de ses crédits.

© Franck CRUSIAUX/REA
C'est une annonce qui a fait du bruit. Dans un communiqué du 5 mars 2025, le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) a fait savoir qu'il mettait un terme, pour des raisons budgétaires, à l'expérimentation de la "tenue unique" dans les deux lycées où il l'avait lancée. Cette annonce a provoqué une vague d'inquiétudes parmi la centaine de collectivités également impliquées. Après quelques atermoiements, le ministère de l'Éducation nationale a annoncé le 7 mars un redéploiement de ses crédits pour financer la poursuite de l'expérimentation durant l'année scolaire 2025-2026.
"Irresponsable d'engager 44 millions d'euros"
Lancée fin 2023 par Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale, l'expérimentation du port de l'uniforme à l'école vise à améliorer le climat scolaire. Elle repose sur le volontariat des établissements scolaires et... des collectivités, puisque celles-ci sont appelées à en financer le coût à parité avec l'État. Selon les derniers chiffres de la Dgesco (direction générale de l'enseignement scolaire), arrêtés au 17 février, 124 établissements expérimentent la tenue unique, dont 101 écoles, 15 collèges et 8 lycées.
En Paca, deux lycées – à Châteaurenard et Nice – étaient concernés par l'expérimentation pour un coût de 500.000 euros, dont la moitié à la charge de la collectivité. Et si cette dernière a décidé de ne pas prolonger au-delà de l'année scolaire 2024-2025, c'est en raison de "l'incertitude budgétaire" et de "l'absence de garantie de cofinancement avec l'État". La région a même fait ses comptes : "Sans visibilité sur un éventuel soutien de l'État, il aurait été irresponsable d'engager 44 millions d'euros, soit le prix d'un lycée neuf, pour une généralisation dans tous nos lycées."
"Les crédits pour l'année 2025-2026 n'ont pas été prévus"
C'est que la position du ministère de l'Éducation nationale était un peu bancale. Récemment, en réponse à une question écrite de Sandra Regol, députée du Bas-Rhin, Élisabeth Borne rappelait que les collectivités territoriales "ont pu bénéficier, dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR), d'un cofinancement par l'État à hauteur de 50% dans la limite d'un montant maximum de 100 euros par élève". Selon les derniers chiffres disponibles, en octobre 2024, l'État a versé 1,6 million d'euros pour 2024-2025. Mais la ministre ne s'engageait pas au-delà de l'année scolaire en cours. Une façon de dire qu'il ne fallait pas compter sur l'État au-delà ?...
Toujours est-il que les craintes de la région Paca étaient bien justifiées. Dans son communiqué du 7 mars, le ministère reconnaît en effet que "les crédits pour l'année 2025-2026 n'[ont] pas été prévus dans la construction initiale du budget 2025". Avant de préciser toutefois qu'il "s'engage à procéder à un redéploiement de crédits sur le budget 2025 afin de financer la poursuite de l'expérimentation pour l'année scolaire 2025-2026". C'est qu'entretemps, plusieurs collectivités avaient indiqué qu'elles allaient imiter le conseil régional de Paca. Et l'uniforme avait un sérieux accroc.
"Plusieurs milliards dans le cas d'une généralisation"
Si la question du financement de la deuxième année d'expérimentation semble réglée, la soutenabilité financière de l'uniforme à l'école à plus long terme se pose. Dans son communiqué, le ministère souligne en effet que l'expérimentation est "prévue pour une durée maximale de deux années scolaires". Dès lors, quid de son financement au delà de 2026 si l'évaluation à venir se révélait positive et si la généralisation de la mesure était décidée ?
Dans sa question à Élisabeth Borne, Sandra Regol rappelait que "certaines estimations font état de plusieurs milliards d'euros de dépenses publiques [...] dans le cas d'une généralisation". De fait, équiper les quelque douze millions d'élèves français d'un trousseau d'une valeur moyenne de 200 euros reviendrait à 2,4 milliards d'euros. Qui voudra régler la facture ?...
"Nous ne sortirons pas 400.000 euros par an"
Pas la ville de Roanne, où l'expérimentation, lancée dans une seule école, sera suspendue pour des raisons liées au contexte local à la fin de l'année. Joint par Localtis, Estéban Piat, adjoint au maire chargé de l'éducation, a fait ses calculs : "La généralisation de l'uniforme à l'école coûterait 800.000 euros, dont la moitié à la charge de la ville. Nous ne sortirons pas 400.000 euros par an." Et l'élu de s'interroger : "Est-ce le rôle d'une collectivité d'habiller les enfants, quand nous devons déjà prendre en charge le bâti scolaire, la cantine, etc."
Dans les Hauts-de-France, où la région a lancé la tenue unique dans deux lycées, Laurent Rigaud, vice-président chargé de l'éducation et des lycées, estime d'ores et déjà que l'expérimentation a des effets "très positifs", rapportés tant par les enseignants, les élèves que les familles. Mais il avertit : "Faire porter cette charge sur les familles n'est pas raisonnable." En d'autres termes, si le ministère a réussi à éteindre l'incendie après l'annonce spectaculaire de la région Paca, le feu continue de couver sous la cendre.