Cantonales - Vous faites quoi dimanche ?
La campagne officielle des cantonales est bien ouverte depuis dix jours, apportant son traditionnel lot de professions de foi dans les boîtes aux lettres, de panneaux accueillant les affiches électorales, de réunions publiques et de tracts… et tractations toujours intenses au sein des appareils politiques. En jeu, le renouvellement de la moitié des conseillers généraux des 100 départements français (à l'exception de Paris, mais en ajoutant Mayotte, qui s'apprête à devenir le 101e département). Soit 2.026 sièges, que se disputent 10.361 candidats. Ou, très exactement, la représentation des 2.023 cantons renouvelés en 2004 - dont 85 en outre-mer - et de trois autres faisant l'objet d'une élection partielle (Strasbourg 9, Levallois-Perret nord, et Sadat à Mayotte).
"S'il y a bien une élection qui touche de près la vie des citoyens, aux côtés des municipales, ce sont les cantonales", assure un président de conseil général. "Il est regrettable qu'on n'en fasse pas une élection aussi importante que les autres. Or, elle l'est. Les enjeux sont considérables", déclarait de même fin janvier Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). La plupart des acteurs locaux en sont certainement déjà convaincus. Mais la majorité des électeurs ? "On se fiche des cantonales qui, quel que soit le résultat, n'apporteront rien aux Français", pouvait-on lire encore ce matin parmi les commentaires des lecteurs-internautes d'un quotidien national en ligne. Une phrase parmi d'autres illustrant le climat d'indifférence qui semble marquer ce scrutin. Et ce, malgré la presse quotidienne régionale qui suit pour sa part d'assez près les campagnes… certes régulièrement ponctuées, çà et là, de querelles ne faisant pas franchement honneur au mandat convoité. Malgré, surtout, le travail de pédagogie réalisé par nombre d'exécutifs départementaux pour expliquer et réexpliquer encore le rôle du conseil général - et donc l'utilité d'aller voter les 20 et 27 mars …- à travers, notamment, des topos parfois très bien faits publiés dans le magazine de la collectivité.
Mais communiquer et mobiliser sur une élection qui ne concerne qu'un électeur sur deux, sur des cantons qui ne signifient plus grand-chose en milieu urbain, et qui plus est pour un mandat non plus de six ans mais de trois... n'est sans doute pas chose facile. Un mandat de trois ans… et qui sera théoriquement le dernier, 2014 devant on le sait venir marquer l'avènement des quelque 3.500 conseillers territoriaux appelés à remplacer les 6.000 conseillers généraux et régionaux actuels. D'aucuns relèvent d'ailleurs qu'un faible taux de participation risque fort d'être utilisé comme argument de plus en faveur de la réforme et de la disparition du conseiller général, voire de l'affaiblissement de l'institution départementale. Certains, même, ont mis cet enjeu en avant. "On pourrait transformer un peu cette élection en référendum national sur la réforme des collectivités. La question posée étant alors : est-ce que oui ou non vous voulez garder votre département ? Voulez-vous que ce soit la dernière élection de votre conseil général ?", confiait début février Didier Arnal, président du conseil général du Val-d'Oise.
L'essentiel est de participer ?
Quoi qu'il en soit, à la mi-février, moins de la moitié des Français savaient si leur canton était concerné par le scrutin, selon un sondage OpinionWay. A la question "Les 20 et 27 mars prochains se dérouleront des élections cantonales. D'après ce que vous en savez, êtes-vous appelé à voter à cette occasion ?", 43% des personnes interrogées donnaient en effet une bonne réponse, 24% une mauvaise et 33% reconnaissaient qu'elles ne le savaient pas. Par ailleurs, 64% des sondés donnaient une bonne réponse quant à la couleur politique de leur conseil général (14% de mauvaises réponses, 22% de "ne sais pas") et 34% étaient en mesure de donner le nom du président de leur conseil général. Pourtant, 71% des personnes interrogées se disaient satisfaites de l'action de leur conseil général (27% se disant mécontents et 2% ne se prononçant pas). 27% affirmaient qu'ils voteront plutôt en fonction d'enjeux nationaux, contre 72% comptant se prononcer en fonction d'enjeux spécifiques à leur territoire. Parmi les enjeux qui compteront au moment de voter au premier tour, l'emploi vient en tête pour 41% des électeurs concernés, suivi par les impôts (39%), le pouvoir d'achat (33%), la protection sociale (31%) et la sécurité (30%). Des préoccupations qui, on le voit, ne collent que très partiellement aux compétences réelles des départements... (il faut dire que la liste des thématiques proposées par les sondeurs était une liste fermée… n'incluant notamment ni l'action sociale à proprement parler, ni les collèges, ni les routes).
Mais le premier enjeu du scrutin sera, donc, la participation. D'autant plus que pour la première fois depuis 1992, ces élections ne seront pas couplées avec un autre scrutin. "La dernière fois que les cantonales n'étaient pas couplées, on a eu 39% d'abstention et la fois précédente, on avait eu plus de 50% d'abstention. Cette année, on risque encore une fois un taux d'abstention supérieur à 50%", prévoit Jérôme Sainte-Marie, directeur du département Opinion politique de l'institut CSA.
Lors de l'élection des conseillers généraux, qui partageront les hémicycles départementaux avec les nouveaux élus du 27 mars, autrement dit, lors du scrutin de mars 2008, la participation avait été de 64,87%. Mais on votait en même temps pour les municipales.
De quelle couleur ?
Quant à la coloration politique de ce qui sortira des urnes de dimanche, on rappellera simplement que la gauche est actuellement majoritaire dans 58 départements, après s'être renforcée lors des cantonales de 2004. Franchir la barre des 60 départements serait déjà "un très beau succès", indique-t-on au PS. En fait, les majorités sont fragiles, à moins de cinq sièges, dans une vingtaine de départements. Le PS espère être en mesure de l'emporter dans huit d'entre eux : Aveyron, Côte-d'Or, Hautes-Alpes, Jura, Loire, Pyrénées-Atlantiques, Rhône et Vienne. La droite fonde elle ses espoirs sur les Pyrénées-Orientales, les Deux-Sèvres, la Somme, le Vaucluse, le Val-d'Oise et la Seine-et-Marne – ces deux derniers départements constituant deux "reconquêtes stratégiques" potentielles. Europe Ecologie-Les Verts souhaite au moins doubler sa vingtaine de conseillers généraux, tandis que le Parti communiste défendra sa centaine d'élus et les deux départements qu'il préside, le Val-de-Marne et l'Allier. Quant au Front national… "C'est une élection qui risque d'être perçue comme permettant de se défouler sans conséquences… et donc de glisser vers un vote Front national", prévient Didier Arnal.
Mais – on le dit et on le lit désormais un peu partout -, de plus en plus de candidats, surtout de droite, masquent leur appartenance politique au profit d'un étiquetage local, jugé moins périlleux électoralement. En Aveyron par exemple, sur 22 cantons renouvelables, seuls trois candidats se sont déclarés UMP. Dans le Tarn, seuls deux candidats s'affichent officiellement UMP. "Beaucoup préfèrent concourir sous la bannière de la 'majorité départementale', ou sous leur propre nom dans les cantons à reconquérir", confirme un ténor du parti. "Cela s'est toujours fait, à droite comme à gauche", assure pour sa part le secrétaire national UMP chargé des élections (et ancien secrétaire d'Etat en charge des collectivités), Alain Marleix, citant le cas certes spécifique des Bouches-du-Rhône où les candidats PS préfèrent s'appeler "le 13 en action".
L'entre-deux tours redonnera-t-il des couleurs à tout cela ? En tout cas, dans certains départements, les négociations sur le maintien ou non de tel ou tel candidat iront sans doute bon train. En sachant que pour accéder au second tour, les candidats doivent franchir la barre des 12,5% des inscrits. Si un seul candidat - ou aucun - ne franchit ce seuil, ce sont les deux meilleurs placés qui sont sélectionnés. Au second tour, l'élection se fait à la majorité relative, quel que soit le nombre de votants. Et l'on n'oubliera pas qu'il faudra aussi attendre une troisième étape pour que la nouvelle carte des départements français soit vraiment dessinée – celle de l'élection des présidents. Rendez-vous pour cela le jeudi 31 mars. A l'issue de quoi les instances de l'ADF seront renouvelées, en principe à la mi-mai.